Tout n’est pas permis dans l’attribution des HLM. Le tribunal de Nanterre a condamné vendredi 10 avril le maire (UMP) du Plessis-Robinson, Philippe Pemezec, à une peine de six mois de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité, pour « prise illégale d’intérêts ». Sa fille a en effet bénéficié d’un logement social dans sa propre ville et dans des conditions étonnantes, comme Mediapart l’avait révélé en mars 2012.
Marine Pemezec, poursuivie pour recel, a de son côté écopé de 2 000 euros d’amende avec sursis. En 2012, le groupe socialiste du conseil général des Hauts-de-Seine avait signalé les faits au parquet de Nanterre à la suite de notre article.
Comme Philippe Pemezec n’a pas manqué de le rappeler à l’audience, rien dans la loi n’interdit formellement à un enfant d’élu de bénéficier d’un logement social. Le maire, ancien vice-président du conseil général et relais historique de Nicolas Sarkozy dans le département, a d’ailleurs annoncé sur son blog qu’il faisait appel (de même que sa fille) d’un jugement incompréhensible « qui institue une véritable discrimination ».
En réalité, tout dépend des conditions d’attribution. Marine Pemezec, alors âgée de 23 ans, avait obtenu un deux-pièces lors de la commission du 9 février 2012. Sur sa fiche, il apparaissait que son dossier avait été déposé le 7 février. Soit deux jours d’attente dans une région où ce délai moyen s’élève à 5 ans…
À l’époque, il nous avait été rétorqué que la date de dépôt du dossier était erronée, due à un bug informatique. Ce qu’a tenté de prouver à l’audience Philippe Pemezec, témoins à l'appui. Mais l’essentiel n’est pas là. Car quelle que soit la date, c’est le personnel de la mairie du Plessis, sur lequel le maire a autorité, qui décide des dossiers à présenter.
Selon le tribunal, il y a donc bien eu passe-droit. « Au vu de sa qualité de membre de la commission d'attribution des logements et maire du Plessis-Robinson, Philippe Pemezec a pris, reçu et conservé un intérêt indirect, soit l'attribution d'un logement social à sa fille, ce qui permettait à cette dernière de quitter le domicile familial à moindre coût, a expliqué Isabelle Prévost-Desprez, présidente de la 15e chambre. Il avait aussi un intérêt direct, puisque cela lui évitait de payer un loyer dans le parc immobilier privé. »
Quelques jours avant l’examen du dossier, le 18 janvier, Philippe Pemezec avait lui-même rédigé l’attestation d’hébergement selon laquelle sa fille habitait bien chez lui. À l’audience, il a expliqué qu’il n’était pas physiquement présent lorsque la commission s’est prononcée. Sa signature figure cependant bien au bas du procès-verbal de l'attribution.
Certainement par le plus grand des hasards, il se trouve que l’appartement de 50 m2 attribué à Marine Pemezec (pour 465 euros par mois), se situe dans un quartier très agréable de la ville. Et quelle coïncidence : il s’accompagne d’une terrasse ! Pas vraiment le genre de « cages à lapins » qui ont pu être construites dans la région dans les années 1970. Au vu de ces éléments, le tribunal a estimé que lorsque un bel appartement s’est libéré, le personnel de la mairie de Robinson a opportunément sélectionné la fille du maire.
Les travaux réalisés dans l’appartement obtenu, financés par les parents du compagnon de Marine Pemezec à hauteur de 3 000 euros, ont convaincu le tribunal de « l'absence de problèmes financiers » des demandeurs. Ils laissent à penser que les jeunes tourtereaux avaient les moyens de se loger dans le privé. Ce qui n’est bien évidemment pas le cas de tous les demandeurs de logement de la ville.
En 2012, quand nous avions laissé un message à Marine Pemezec pour savoir si elle trouvait éthique cette attribution, c’est son père qui nous avait rappelés et menacés : « Si vous vous en prenez à mes enfants, ça va très mal se passer. » Un fils de Philippe Pemezec était également en attente ; inscrit depuis ses 18 ans, histoire de pouvoir faire valoir une certaine ancienneté le cas échéant.
À l'époque, Marine Pemezec était en stage d'après-étude. Et vu les revenus de son conjoint, il fallait faire vite : si elle trouvait un emploi, le couple risquait de ne plus être éligible à un logement social. Ce qui s'est probablement produit quelques mois plus tard, si on en croit son CV. Or cette règle-là est la même pour tout le monde : une fois en HLM, on ne peut plus être délogé, au nom du droit au maintien dans les lieux. C'était le moment ou jamais.
Tout le monde n’a pas autant de chance au Plessis-Robinson. C’est en effet par hasard que nous étions tombés sur la fiche de Marine Pemezec, en épluchant un par un quelque 500 dossiers examinés sur une année en commission d’attribution. À l’époque, nous avions cherché à vérifier une phrase rapportée par la journaliste Claire Checcaglini dans son livre Bienvenue au Front – Journal d'une infiltrée (éditions Jacob-Duvernet). Philippe Pemezec, ancien proche de Charles Pasqua, expliquait à des militants du Front national : « Ici, il n’y a pas de souci. Je loge très peu d'Arabes. Je fais très très gaffe. (...) Je suis un des rares maires à participer aux commissions d’attribution de logements à l’office départemental des Hauts-de-Seine et je peux vous dire qu’au Plessis, il n’y en a pas beaucoup [d’Arabes - ndlr]. »
D’après note enquête, moins de 5 % des dossiers sélectionnés au Plessis présentaient des noms à consonance maghrébine, un chiffre jugé « incroyablement bas » par un spécialiste du monde HLM travaillant à l’Union sociale pour l’habitat. La justice n'a cependant pas ouvert d'enquête sur ce volet.
Dans cette commission d’attribution, la CNL (confédération nationale du logement) avait été évincée de la commission au profit d’une autre association de locataires, l’UDLI (Union départementale des locataires indépendants). Pure coïncidence : le 1er décembre 2011, le fils du représentant de l’UDLI avait lui aussi bénéficié d’un logement social, après seulement sept mois d’attente, dans un département où 55 000 personnes rêvent d’obtenir un logement HLM.
Il est aujourd’hui peu probable que le contrôle citoyen se renforce. Aucun élu de gauche ne figure parmi les membres du nouveau conseil d'administration de l'office départemental HLM, Hauts-de-Seine Habitat. Jusque-là, Judith Shan, élue régionale du Parti socialiste, y siégeait au titre des personnalités qualifiées. Elle en a été évincée. En revanche, on retrouve désormais à ce titre Philippe Pemezec.
Il faut dire que celui-ci, s’il n’est plus un élu départemental depuis quelques semaines, reste un spécialiste du logement dont on ne saurait se passer. Preuve en est qu’en 2013, le ministère du logement occupé par Christine Boutin avait été prêt à débourser 5 400 euros par mois pour qu’il rende de mystérieux rapports. Selon Christine Boutin, c’est Claude Guéant qui lui avait demandé de recruter ce conseiller. Dans cette affaire aussi, le tribunal de Nanterre a ouvert une information judiciaire : contre X pour « détournement de fonds publics, complicité et recel ».
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