Au Sénat, traverser la cour peut rapporter gros. À Noël dernier, d'après nos informations, l'un des conseillers de droite les plus influents du palais du Luxembourg, Alain Sauret, a empoché 173 000 euros en passant de l'aile cossue du groupe UMP, où il occupait le poste de secrétaire général, à un emploi à la présidence du Sénat, quelques dorures plus loin.
Cette somme provenant de fonds publics correspond à une indemnité de départ négociée avec le patron du groupe UMP arrivé en octobre dernier, le sénateur Bruno Retailleau, qui souhaitait un nouveau secrétaire général bien « à lui » à cette place stratégique. Remercié à l’issue d’une rupture conventionnelle (il était en CDI), Alain Sauret est finalement parti le 20 décembre avec un an de salaire dans ses cartons – il touchait plus de 14 000 euros brut mensuels !
Ce qui choque, c'est surtout qu’au retour des fêtes, ce « super conseiller » a été immédiatement recasé au cabinet de Gérard Larcher, le président UMP du Sénat, comme chargé de mission « outre-mer ». Il n'aura pas été inscrit un seul jour à Pôle emploi. Son salaire depuis janvier ? Environ 7 000 euros net mensuels.
Alain Sauret a bénéficié, en clair, d'une sorte de « parachute doré » de 173 000 euros brut pour passer, à quelques semaines d'intervalle, du service d'un sénateur filloniste au service d'un autre sénateur filloniste.
À l’heure où la justice enquête sur des soupçons de détournements de fonds au groupe UMP, ses « patrons » ont sans doute jugé prudent de ne pas braquer ce serviteur historique, trente ans de maison au compteur, qui détient moult secrets puisqu’il a occupé pendant douze ans le poste de secrétaire général du groupe UMP, après avoir assumé le même rôle pour le RPR.
Le versement de cette indemnité n'a rien d'illégal. Et la Constitution reconnaît aux groupes parlementaires (structures au statut ultra flou qui organisent le travail collectif entre élus d'une même étiquette politique) le droit de « s'administrer librement », de fixer le salaire de leur personnel comme d'acheter des conseils en communication à prix exorbitants (voir nos enquêtes sur les dépenses du groupe UMP à l'Assemblée, ici ou là). Mais est-ce bien nécessaire de rappeler que leurs caisses sont alimentées par de l'argent public, soit directement par les subventions du Sénat (environ 10 millions d'euros distribués chaque année), soit indirectement via les cotisations des élus membres ? Dans ces conditions, le montant de l'indemnité d'Alain Sauret fait tache.
« Un licenciement sans faute aurait coûté beaucoup plus cher au groupe, réplique l'intéressé. Demandez à un avocat de droit social : aux prud’hommes, j’aurais pu obtenir deux ou trois ans de salaire. Le montant a été négocié entre le président du groupe et moi-même. Vous savez, à soixante ans, c’est plutôt angoissant de se retrouver au chômage… » En l’occurrence, Alain Sauret n'a connu que quelques semaines d'inactivité.
À l'entendre, il n’avait aucune garantie de « reprise » quand il a signé son départ. Mais comment le croire ? « Les négociations sur ma rupture conventionnelle ont commencé en octobre, assure le chargé de mission. J'ai pris attache avec le président Larcher pour voir s'il pouvait me prendre, mais il s’est passé un certain laps de temps… J 'aurais aussi bien pu m’inscrire au chômage, j’imagine que j’aurais gagné plus à ne rien faire chez moi. J’aurais déprimé ! » Tandis que l’outre-mer…
Il est vrai que le groupe UMP peut se permettre ce genre de fantaisies budgétaires. D’après nos informations, il disposerait de quelque 5,5 millions d’euros de trésorerie, accumulés au fil des années dans le plus grand secret (puisque les comptes des groupes n’ont jamais été publiés, qu'il s'agisse des groupes UMP, PS ou bien centriste). Ces chiffres “officiels” sont tirés de l’audit interne lancé par Bruno Retailleau après son élection à la présidence du groupe en octobre dernier, en plein scandale judiciaire. À l’époque, Mediapart venait de révéler une liste de sénateurs UMP, dont Jean-Claude Gaudin ou Gérard Longuet, ayant bénéficié sans contrepartie connue de chèques ou d'espèces pour un montant avoisinant les 400 000 euros (rien qu’entre 2009 et 2012), encaissés par le biais d'une association semi-fantoche.
Saisis de possibles faits de « détournements de fonds publics », d'« abus de confiance » et de « blanchiment », deux juges d'instruction parisiens, René Cros et Emmanuelle Legrand, continuent de décortiquer les ingénieux canaux de dérivation qui partent des comptes du groupe UMP, censés servir exclusivement aux travaux parlementaires.
Les abus sont multiples. Comme Mediapart l’a dévoilé en février dernier, un ministre de Nicolas Sarkozy, Henri de Raincourt, ancien patron du groupe UMP au palais du Luxembourg, a même bénéficié d’un virement automatique de 4 000 euros par mois pendant qu'il était au gouvernement (entre 2009 et 2011), tirés depuis un compte bancaire secret du « groupe UMP du Sénat » (visiblement réservé à une poignée d'élus seulement). C'était « à la bonne franquette », s'est mollement défendu Henri de Raincourt, en reconnaissant les faits.
Il aura fallu cette pression des juges et des médias pour que le bureau du Sénat fixe enfin, le 11 mars dernier, de nouvelles règles à ses groupes parlementaires, qui devront dorénavant se constituer en association, faire certifier leurs comptes et les publier (à partir de l'exercice 2015 seulement). L'Assemblée nationale avait adopté la même décision en septembre dernier, là encore après des révélations de Mediapart et du Canard enchaîné sur la folle comptabilité du groupe UMP. Que de lenteurs et de résistances…
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