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Affaire HSBC : ce que Hervé Falciani n’a jamais dit

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Il est celui qui a fait sauter la banque. Hervé Falciani, le lanceur d’alerte de l’affaire HSBC, devenue le scandale “SwissLeaks” sous l’impulsion du quotidien Le Monde, publiera, jeudi 16 avril, son autobiographie. Coécrit avec la collaboration du journaliste italien Angelo Mincuzzi, Séisme sur la planète finance (La Découverte) se lit tout à la fois comme un polar et un manuel de survie en milieu bancaire hostile, dont Mediapart publie les bonnes feuilles.

Personne ne peut dire si la version des faits livrée par Falciani dans cet ouvrage est LA vérité. Mais c’est la sienne et elle mérite d’être entendue à la seule mesure de ce qu’il a, par son audace et son courage, permis de dévoiler au grand jour. Soit l’existence, au cœur de l’une des plus grandes banques du monde, d’un système organisé de fraude fiscale et de blanchiment, où se mêlent corruption, terrorisme et grande criminalité.

Grâce à ses informations, la maison mère du groupe, HSBC Holdings, a été mise en examen par plusieurs juges français le 9 avril et s’est vu fixer une caution d’un milliard d’euros, payable avant le 20 juin. Le premier procès d'un contribuable fraudeur découvert grâce à la liste Falciani s'est par ailleurs soldé, lundi 13 avril, par la condamnation à un an de prison ferme de l'héritière des parfums Nina Ricci.

Hervé Falciani, en janvier 2014.Hervé Falciani, en janvier 2014. © Reuters

L’un de ses avocats, Me William Bourdon, a bien saisi l’enjeu d’un tel livre dans la préface qu’il signe : « Alors, bien sûr, certains diront que la trajectoire d’Hervé Falciani n’est pas d’une pureté d’Évangile. Mais au nom de quoi devrait-on exiger d’un citoyen qui a servi l’intérêt général avec autant de bravoure une absolue “transparence”, niant la complexité, voire les parts d’obscurité, propres à tout être humain ? La dimension romanesque de son histoire, qu’il expose dans ce livre avec une sincérité dont personne ne peut douter, laissera peut-être quelques interrogations (…). Mais celles-ci sont objectivement secondaires au regard du message très structuré qu’il délivre sur les mécanismes animant les petits et grands acteurs de la finance mondialisée. Et sur les moyens à mobiliser pour tenter de les gripper définitivement. »

Dans les bonnes feuilles que nous publions, Hervé Falciani revient sur ses premiers contacts avec les services secrets fiscaux français et raconte les détails de ce jour de décembre 2008 où la justice a mis la main sur les listings HSBC. Surtout, il révèle qu’il n’a pas agi seul dans les prélèvements des données. Derrière lui, il y avait ce qu’il appelle « le réseau ». Extrait.

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Séisme sur la planète finance

Sur le conseil de mes amis, j’avais contacté la police judiciaire française qui s’occupe de la grande délinquance financière, dans le but de faire réagir les autorités fiscales. C’est en juin 2008 que le directeur de la DNEF [Direction nationale d’enquêtes fiscales – ndlr] me contacta. Nous avons parlé au téléphone et nous nous sommes rencontrés en France, dans un village proche de la frontière Suisse.

Il était inquiet et m’a demandé si je faisais tout ça pour l’argent. Je lui ai dit que j’avais en ma possession des données sensibles concernant de nombreux Français ayant un compte à la HSBC Private Bank, et que je voulais seulement m’assurer que ces informations pouvaient être partagées avec les autres pays européens. Il m’a répondu que c’était possible. J’ai alors envoyé un email qui contenait les noms cryptés de certains clients français de la banque, pour lui prouver que ces informations existaient vraiment. Nous avons décidé ensuite de nous revoir dans un hôtel, où je devais laisser un DVD avec de nouvelles données.

Normalement, les procédures de sécurité prévoient que, dans ces cas-là, on n’utilise pas le téléphone, mais les agents du fisc français avaient besoin d’un numéro pour pouvoir m’appeler et suivre mes déplacements. C’est pourquoi j’ai acheté un portable avec un numéro suisse. Mes amis du « réseau » m’ont seulement demandé de prendre quelques précautions et de ne jamais avoir ce téléphone avec moi quand j’allais en France. Puis ils m’ont dit que leur travail était fini et que je devais donner le plus de matériel possible aux agents du fisc pour établir avec eux un rapport de confiance. Ils ne m’ont laissé que le téléphone d’urgence, celui qui est de la taille d’une carte de crédit et à partir duquel je pouvais seulement être rappelé, en cas de danger. L’homme du fisc et moi nous sommes revus le 12 décembre, après nous être mis d’accord pour une nouvelle rencontre après Noël.

C’est ainsi qu’a commencé ma collaboration avec les autorités fiscales de Paris. Je savais que, si l’autorité judiciaire prenait une initiative, la Suisse ne pourrait plus rien faire pour bloquer la diffusion des informations que nous avions prélevées.

Les hommes du « réseau » qui parlaient anglais avec l’accent américain m’ont dit que les données ne leur étaient d’aucune utilité parce qu’elles ne pouvaient pas servir à ouvrir une enquête judiciaire aux États-Unis. La personne qui m’avait aidé pour le cloud, m’a expliqué qu’ils voulaient seulement mettre la Suisse sous pression. Les données, ils les avaient déjà.

J’étais stupéfait. Je ne savais même pas pour qui ils travaillaient. Je n’ai jamais demandé qui ils étaient. J’avais commencé à collaborer avec des gens que je connaissais bien et en qui j’avais une confiance aveugle et, par leur intermédiaire, j’étais entré en contact avec d’autres personnes. Celles qui parlaient anglais, par exemple, étaient très bien organisées et savaient très bien ce qu’elles faisaient. Elles s’étaient organisées pendant deux ans et avaient préparé les données en quelques mois.

Quand l’idée de mettre les données dans le cloud prit forme, nous avons commencé à nous demander quel pays aurait été le mieux adapté pour recevoir le matériel. Nous avons tout de suite écarté l’hypothèse allemande, parce que l’Allemagne se serait emparée de toutes les informations, nous aurait fait dis- paraître, ma famille et moi, peut-être dans un autre pays et avec un autre nom, et on en serait resté là. Tel n’était pas mon objectif. Je voulais que les données parviennent aux magistrats du plus grand nombre possible de pays dans le monde.

La seule marche à suivre était de faire en sorte que la justice suisse vienne saisir le matériel chez moi. Pour cela, il fallait que j’aille en France et que j’attende l’arrivée des magistrats sans demander aucune aide, en ne comptant que sur la protection discrète de mes amis.

Ma vie en danger

Le matériel de la HSBC fut prélevé en quelques mois, pendant l’année 2007. Le « réseau » était en contact avec des magistrats français et italiens, mais moi, je ne leur avais jamais parlé directement. J’avais des relations avec peu de gens, mais je savais que nous étions adossés à une organisation solide. La règle de base pour garantir notre sécurité était que chacun de nous ne connaisse que quelques personnes du « réseau », tout en disposant des informations nécessaires et en sachant précisément ce qu’il y avait à faire.

À la banque, il existait des systèmes informatiques différents, accessibles à des employés différents. Après avoir identifié les systèmes les plus importants et les personnes grâce auxquelles on pouvait récupérer les informations, les hommes du « réseau » les ont approchées pour les convaincre de collaborer. Ce sont elles qui devaient placer les données dans le cloud. En tout, à la banque, elles étaient une dizaine.

© Reuters

Le cloud n’était pas difficile à utiliser : c’était comme aller sur une page Web grâce à un terminal qui permettait de voir les données. Pour y accéder, il suffisait d’une clé de connexion à Internet, qui ne servait qu’à cela. Pour entrer dans le système et travailler, il me suffisait d’avoir une connexion wifi. Le mécanisme utilisait un logiciel semblable à Bit torrent, un protocole peer-to-peer qui servait à échanger des fichiers sur Internet. Les informations téléchargées par nos contacts de l’intérieur de la banque étaient fragmentées en milliers de fichiers et réparties dans les mémoires d’autant d’ordinateurs. Les propriétaires de ces machines ne savaient pas que dans leur disque dur étaient conservées les données de HSBC.

Un système de sécurité spécialement étudié permettait d’accéder au cloud. Je composais un numéro de téléphone et je recevais un code. J’entrai en utilisant la clé et en tapant la liste alphanumérique qu’on me communiquait de temps en temps. Le soir, je passais en revue les données ajoutées pendant la journée par ceux qui alimentaient en continu les informations du cloud. J’étais chargé de les vérifier : j’allais à la banque et je demandais aux opérateurs spécialisés de récupérer pour moi des données particulières que je confrontais ensuite avec les informations du cloud. Le contrôle était un point fondamental.

De HSCB, je n’ai personnellement prélevé aucune donnée, pour la simple raison que je ne le pouvais pas. Mais, quand j’ai commencé à travailler sur ce matériel avec les hommes des services secrets, alors oui, j’ai violé le secret bancaire. Mais je ne l’ai fait qu’à ce moment-là, et je suis le seul à pouvoir garantir la fiabilité de ces informations. Si, hypothèse absurde, j’affirmais demain que les données ont été falsifiées et qu’elles ne sont pas authentiques, les enquêtes seraient bloquées et closes. Tous les intérêts en jeu dépendaient de moi : voilà pourquoi ma vie était en danger, et qu’elle l’est peut-être encore.

En attendant, les enquêtes ont fourni la preuve que les données étaient authentiques parce que beaucoup de clients de la HSBC ont admis avoir eu un compte à la banque, ont confirmé le montant, et c’est en Espagne qu’ont eu lieu les premières condamnations pour évasion fiscale.

En février 2008, à mon retour du Liban, le travail sur le clouda été interrompu. Nous avions déjà collecté globalement 800 gigas d’informations, mais quand j’ai vu que les outils des autorités françaises étaient très anciens, je me suis rendu compte que la seule chose que l’on pouvait faire c’était de n’utiliser que les données les plus simples du cloud, c’est-à-dire l’équivalent de 200 gigas. Tout le reste est resté caché parce qu’en France, personne n’était en capacité de l’utiliser.

La disproportion des moyens entre les banques privées et les administrations d’État qui luttent contre le crime et l’évasion fiscale est une donnée constante. Les expériences de ces dernières années m’ont fait toucher du doigt à quel point les systèmes judiciaires de pays comme la France et l’Italie travaillent avec des moyens inadaptés. Ils étaient incapables de gérer les quantités de données que je pouvais mettre à leur disposition. Pendant les investigations, les enquêtes ne se croisaient pas : ils travaillaient en ordre dispersé, en utilisant plus le papier que l’ordinateur.

L’arrestation

Au matin du 22 décembre 2008, un lundi, j’étais en vidéo-conférence avec les développeurs de Hong Kong et j’étais en train de leur expliquer ce que j’attendais d’eux. Environ un mois avant, j’avais été promu chef des analystes techniques, une nouvelle étape dans ma carrière au sein de la HSBC. À 10 heures pile, mon téléphone a sonné. Au bout du fil, c’était le directeur de mon département. J’ai levé la tête et je l’ai vu dans l’entrée qui me faisait signe de le rejoindre. Il y avait deux autres personnes avec lui. J’ai tout de suite compris que l’aventure  commençait. […]

Ma femme n’était pas à la maison et les policiers m’ont demandé de l’appeler. Elle a tout de suite compris ce qui se passait et elle m’a seulement demandé si elle avait le temps d’acheter des yaourts pour la petite, comme pour me faire comprendre que tout allait bien pour elle. Je lui ai dit qu’elle n’avait pas le temps : elle devait rentrer à la maison immédiate- ment. Quand notre fille est arrivée, on s’est assis autour de la table du salon. Nous parlions entre nous pendant que les deux policiers perquisitionnaient la maison, cherchant ordinateurs et téléphones. J’avais ma fille sur les genoux quand j’appelai ma femme « darling », comme je le fais toujours. Un policier m’a interrompu brusquement, m’intimant de ne pas parler une langue étrangère. Ils m’ont menotté et, quand ma femme a pro- testé en disant que je n’étais pas un criminel, ils ont répondu que c’étaient les consignes de sécurité qui l’exigeaient.

La perquisition a continué pendant environ une heure. Vers midi, ils m’ont emmené au commissariat. J’ai attendu jusqu’à 3 heures de l’après-midi et, entre-temps, je me suis endormi. J’ai été réveillé par l’arrivée du magistrat, qui a commencé à m’interroger sur le voyage au Liban. J’ai dit que j’étais allé à Beyrouth pour présenter une société de systèmes informa- tiques et que j’avais eu un rendez-vous au siège d’une banque. C’était déjà le soir quand le magistrat m’a laissé partir et m’a fixé un rendez-vous pour le lendemain matin à 9 h 30, au tribunal de Lausanne. Quand j’ai quitté le commissariat et que je suis revenu chez moi, mes amis du « réseau » savaient déjà tout. Je ne devais rien faire d’autre que suivre le protocole. Le lendemain matin, j’ai dit adieu à Genève.

En France, la protection m’a été assurée par les mêmes hommes que ceux avec qui j’avais travaillé en Suisse. Je ne pouvais pas les appeler, je ne pouvais que les retrouver dans certains lieux, par exemple dans les trains. Quand j’avais besoin de les contacter, je devais laisser un signal à un endroit précis du train, sur la ligne qui m’avait été indiquée. Le lendemain, je prenais le même train et je m’asseyais à côté d’une place vide en attendant que quelqu’un l’occupe, ou bien j’attendais debout qu’un homme me dise quand je devais des- cendre et je rencontrais mes contacts à un endroit situé dans la gare ou hors de la gare, ou encore je remontais tout de suite dans un train qui allait dans la direction opposée, vers la gare d’où j’étais parti, et je parlais pendant le trajet avec la personne que j’avais demandé à voir.

Par précaution, je devais rester dans des endroits où on me connaissait ou me déplacer à l’air libre dans des lieux publics très fréquentés. Mes amis devaient toujours savoir où j’étais et comment je me déplaçais, surtout dans la période où nous attendions une perquisition en France. Quand j’ai commencé à collaborer officiellement avec la justice et le fisc français, ma protection a été assurée par les hommes de la gendarmerie nationale. Elle était difficile à organiser parce qu’en France il n’y avait pas de précédent pour des cas comme le mien.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Documentaire « Do not track » sur le tracking


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