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La Chapelle-Saint-Mesmin, un saisissant cas d'écoles confessionnelles

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La Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret), de notre envoyée spéciale.- Il est une petite commune près d’Orléans qu’il conviendrait de rebaptiser « les chapelles » tout court. Quitte à blasphémer saint Mesmin qui lui a donné son nom après avoir terrassé, dit la légende, un dragon, symbole du paganisme au VIe siècle. Car quinze siècles plus tard, La Chapelle-Saint-Mesmin – 10 000 habitants sur 887 hectares, deux fleurs au concours des villes et villages fleuris, sous vidéoprotection sur une idée du maire socialiste – est un condensé des replis communautaires, des crispations identitaires, des peurs et des fantasmes de la société française. C’est aussi un miroir grossissant de nos transformations, dysfonctionnements, tabous et hypocrisies.

Sur les bords de Loire, l'église Saint-MesminSur les bords de Loire, l'église Saint-Mesmin © Rachida El Azzouzi

Dans ce recoin de la France ordinaire, ratatiné entre la Loire, les autoroutes, la voie ferrée, la nationale et les champs agricoles dévastés par les lotisseurs privés, les pavillons d’habitation (loués ou achetés selon les fortunes) sont des « chapelles ». À l’exception du joyau catholique pré-roman Saint-Mesmin, « monument historique » possédant toutes les caractéristiques ostentatoires d’une véritable église. « Il ne nous manque qu’une synagogue et des orthodoxes juifs », constate un habitant sans rire.

Rue des Forestiers, des Elders (frères) missionnaires de l'Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours, autrement dit des Mormons, ont transformé l’une des rares maisons dotée de panneaux solaires en « centre de formation mondial ». Plus loin, en face du collège public Louis-Pasteur, deux pavillons voisinent rue de Beauvois. Au numéro 20, « la salle du Royaume des Témoins de Jéhovah ». Les experts du prosélytisme porte-à-porte, considérés comme une secte en France mais comme une religion par l’Europe, y font salle comble cinq jours par semaine avec « des assemblées chrétiennes » et « des cultes » en quatre langues : français, anglais, portugais, roumain. Au crépuscule, un panneau illumine la façade et rend bien visible l’adresse de leur site internet jw.org.

Au numéro 22, dans une villa plus modeste et discrète, la mosquée Annour (la lumière en arabe). Elle reçoit une centaine de fidèles les jours de grande prière, les limites de sa capacité, prêche « un islam modéré, tolérant », « la paix avec le voisinage quelle que soit sa couleur », assurent ses dirigeants. Ces derniers rêvent de l’agrandir mais essuient depuis trois ans le refus de la municipalité PS. Sans comprendre : « Notre projet, dessiné par un architecte, s’insère parfaitement dans le paysage, ressemble à toutes les maisons et ne prévoit pas de minaret. » De guerre lasse, ils ont bricolé récemment, sans autorisation, une véranda qui agrandit de 25 m2 la salle de prière. Ils ne cachent pas avoir enfreint la loi, ont ouvert le portail à la police municipale venue photographier les travaux anarchiques et craignent désormais que le maire ne prononce la fermeture de la mosquée, « en représailles »…  

Ces différents lieux religieux cohabitent à La Chapelle-Saint-Mesmin, une commune de 10 000 habitantsCes différents lieux religieux cohabitent à La Chapelle-Saint-Mesmin, une commune de 10 000 habitants © Rachida El Azzouzi

Quelques rues plus loin, dans une vieille longère, rue de… l’Enfer – « on ne l’a pas fait exprès, c’est parce qu’autrefois, il y avait des hauts-fourneaux et des lueurs dans la nuit », s’excuse un paroissien, rouge de honte : la chapelle de l’Immaculée-Conception, la galaxie des catholiques intégristes lefebvristes. Refusant les changements du concile Vatican 2 qui a ouvert l’Église catholique au monde moderne, ils sont en rupture avec Rome et sous la coupe de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX). Connue pour ses liens étroits avec l’extrême droite, la FSSPX, fondée par feu Monseigneur Lefebvre, a pour bras armé politique Civitas, particulièrement offensif depuis le retour de la gauche au pouvoir et le mariage pour tous.

Les lefebvristes se sont enracinés en face du siège social de Monsieur Bricolage (fondé par un Orléanais exilé en Belgique). Pratique, les dimanches de messe en latin : ils peuvent emprunter son vaste parking. La centrale de bricolage a supplanté l'usine Michelin (qui a employé jusqu’à 1 500 ouvriers dans les années 1970) et définitivement gommé le passé industriel glorieux de cette ville qui abrite encore le fleuron de la verrerie Duralex, réduit à 200 salariés et repris par d'anciens cadres (Arnaud Montebourg était venu en 2013 y célébrer « le made in Loiret »).

Depuis 2008, rue Montaut, dans un autre quartier résidentiel, les lefebvristes ont leur école privée confidentielle derrière les murs décrépis d’une maison en location de moins de 90 mètres carrés à la toiture peu engageante. L’école des Saints-Anges-Gardiens est hors contrat, n'est reconnue ni par l’Éducation nationale, ni par l’évêché d’Orléans. 

Vingt-deux enfants, divisés en deux groupes – « les petits » (la maternelle) et « les grands » (l’élémentaire) –, y sont scolarisés moyennant 150 euros par mois par tête, « mais l’Église aide les familles dans le besoin même si elle n’a pas la puissance de Rothschild », précise la direction. Ils viennent de l’Orléanais et d’au-delà, font des kilomètres matin et soir, déjeunent sur place, « les grands » prenant en charge « les petits » pour réchauffer les Tupperware, portent la blouse et ont un espace récréatif exigu, la maison ne possédant pas véritablement de terrain. Une fois le cursus terminé, ils rejoignent le collège en internat où la mixité n’est plus tolérée « à Châteauroux ou Saint-Malo pour les garçons et près de Poitiers pour les filles à moins que les familles n’optent pour le catholique sous contrat mais nous le déconseillons vivement », détaille encore la direction.

« Le local, aussi riquiqui soit-il, ne fait pas l’école, défend-elle. C’est le contenu qui compte. Ici, on suit un enseignement très traditionnel, celui que vos arrière-grands-parents ont connu avec curé en soutane, messes en latin, confessions les vendredis et vieilles méthodes. En mathématiques, par exemple, on s'appuie sur le manuel très ancien sur ‘‘le calcul vivant’’ des éditions Nathan. Quand ils nous quittent, ils savent l’essentiel, lire, écrire, compter, prier. On ne prêche aucune théorie sulfureuse sur l’évolution ou autre. On demande seulement aux parents de respecter l’unité d’esprit qui nous lie en venant avec leurs enfants à la messe obligatoire le dimanche. »

Que des salon-cuisine-chambre soient transformés en lieux de culte ou salles de classe, progressistes ou fondamentalistes, par « des étrangers à la commune » (sauf la mosquée, dirigée et fréquentée par des Chapellois), n’a jamais donné de boutons aux habitants et aux élus de La Chapelle-Saint-Mesmin, une cité dont le cœur balance, au gré des scrutins électoraux et des alliances opportunistes, entre l’UMP ou le PS. Cela n’a jamais non plus déclenché de querelles de chapelles entre croyants et non-croyants, fous de Dieu et ayatollahs de la laïcité la plus radicale et obtuse, chacun respectant le droit d’autrui à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

Certes, la mosquée et « le royaume des Témoins de Jéhovah », de par leur proximité avec le collège public, ont pu donner et donnent encore des sueurs froides à des parents inquiets que leur progéniture en plein âge ingrat « bascule dans l’islam ou la secte » à la sortie des cours. Comme ils agacent des riverains et des élus lorsque leurs fidèles envahissent les jours de grand-messe les parkings municipaux et les trottoirs. Cela n’a néanmoins jamais provoqué de heurts, ni entraîné une mobilisation générale du conseil municipal, majorité et opposition réunies, pour mettre des bâtons dans les roues de leurs véhicules.

Mais depuis un an, depuis qu’une école musulmane privée hors contrat – la première de la région Centre – veut s’implanter dans la zone industrielle au milieu des hôtels Formule 1, la question du fait religieux est devenue extrêmement sensible à La Chapelle-Saint-Mesmin. Enfin, uniquement la question de l’islam. Quant à l’interprétation de la laïcité, elle est brandie par les élus de gauche à droite, à rebours de l'esprit de 1905.

Cette école musulmane, embusquée derrière l’appellation « Les ateliers Montessori », c'est même le nouveau « dragon » à combattre au pays de Saint-Mesmin. De partout, entre Sologne et Beauce, on la guette avec angoisse et effroi. Elle a pourtant le pavillon le plus vaste et le plus fonctionnel pour recevoir du public s'il fallait la comparer aux chapelles précitées : une ancienne crèche inter-entreprises du réseau Les Petits-Chaperons-rouges qui a périclité faute de berceaux suffisants, dotée de 520 m2 et de deux cours de récréation de plus de 1 000 m2.

L'école musulmane a repris en location les locaux d'une ancienne crèche privée : 520 m2 et deux cours de récréation de 1 000 m2.L'école musulmane a repris en location les locaux d'une ancienne crèche privée : 520 m2 et deux cours de récréation de 1 000 m2. © Rachida El Azzouzi

« Ici, nous sommes sur les terres de Jeanne d’Arc. Chaque année, on a des fêtes johanniques qui célèbrent la pucelle qui a délivré Orléans des Anglais. On n’est pas à La Courneuve. Une école musulmane, ça fait peur, c’est perçu comme “un début d’invasion”», synthétise Richard Zampa, un ancien journaliste de La République du Centre, qui a fondé Apostrophe 45 un “pure player” payant, sur le modèle de Mediapart, « las de ne pouvoir faire du vrai journalisme ».

Portée par des musulmans domiciliés dans des villes alentour (et pas dans le « neuf-trois » contrairement aux rumeurs propagées), l’école perturbe même des musulmans de La Chapelle. En ces temps illisibles de convulsions autour de l’islam, encore plus depuis les attentats de Paris, ils craignent « l’amalgame ». Ainsi Karim (qui témoigne sous un nom d’emprunt) s'alarme : « À cause de leur bordel, le maire risque de [nous] refuser définitivement le permis d’agrandir notre salle de prière. »

Il faut dire que les Ateliers Montessori se sont mis à dos la province entière en ne jouant pas cartes sur table. Créés en juillet 2013 à Saint-Jean-de-Braye, au sud-est d’Orléans, à l’opposé de La Chapelle-Saint-Mesmin, les statuts de leur association déclarée en préfecture annonçaient « un accompagnement pédagogique d’enfants et adolescents inscrits au CNED et/ou instruits en famille, des ateliers de découverte Montessori, du soutien scolaire ». Avant une modification majeure, le 8 mars 2014 : « La création et gestion de tout établissement scolaire – maternelle, primaire, secondaire –, d’une crèche et d’une halte-garderie. »

C'était peu de temps après les SMS et les délires sur « la théorie du genre » de Farida Belghoul et sa nébuleuse appelant à déscolariser les enfants et promettant l’ouverture d’écoles musulmanes privées (relire ici notre enquête)« Nous n’avons aucun lien avec cette affaire. Nous travaillons sur notre projet depuis des années et nous étions en mars prêts pour son lancement », balaie l’équipe des Ateliers Montessori. Tout en admettant avoir été « profondément choqués » par les ABCD de l’égalité, ce programme destiné à lutter contre le sexisme dès le primaire, abandonné par le gouvernement sous la pression des obscurantistes.

En avançant masquée sous l’étiquette “Montessori” (du nom de cette médecin italienne dont la méthode d’enseignement est de plus en plus plébiscitée par les familles musulmanes), l’association a étendu son champ d’ennemis. Jamais elle n’a précisé le volet confessionnel de son projet : un éveil religieux à l’islam  10 % du programme, optionnel »). Le directeur Shourane Mejjoui obtiendra assez rapidement les sésames indispensables à toute ouverture d’une école privée en France : le 24 mars 2014, en plein entre-deux tours des municipales, « le récépissé de déclaration d’ouverture » (signé par Alexandra Albuisson, l’adjointe au maire chargée des affaires sociales, qui, jointe par Mediapart, dit « ne plus s’en souvenir »), puis l’agrément de l’inspection académique, le 14 avril, et enfin celui du procureur de la République, le 26 juin.

« La loi Debré (qui régit les rapports entre l’État et l’enseignement privé – ndlr) ne les obligeait nullement à préciser le caractère confessionnel de leur école, ni les cours d’arabe, ni les repas halal. Mais il faut imaginer le choc dans cette commune recroquevillée sur elle-même, où on compte moins de 400 familles musulmanes et où on connaît peu l’islam sinon à travers les raccourcis, les fantasmes, véhiculés par les médias et les politiques. Se cacher a été vécu comme une volonté de dissimuler un projet intégriste », pointe un proche du dossier. Il refuse d’apparaître « tant c'est le bourbier », ni de les accabler : « Vu ce que subissent depuis des décennies en France les musulmans en terme de discriminations, on peut les comprendre. »

Mustapha Ettaouzani, président des Ateliers Montessori, assume : « Si nous avions évoqué dès le départ une école Montessori ET musulmane, nous n’aurions jamais eu d’agrément. Le coup d’épée aurait été immédiat et fatal. On ne pouvait pas avancer en fanfare. Il y aurait eu des pressions sur le bailleur privé, sur l’inspection académique. » En mémoire : le projet avorté de l’école privée musulmane El Amana (“contrat de confiance” en arabe) en 2013 dans « le quartier-ghetto » de l’Argonne à Orléans portée par une tout autre équipe.

Le député-maire UMP Serge Grouard, qui gouverne la ville depuis quatorze ans (et qui a entonné une Marseillaise reprise à l’unisson à l’Assemblée au lendemain des fusillades de janvier), ne s’est pas embarrassé. Dès qu’il a eu vent du projet, il a d’autorité préempté le terrain. Sollicité par Mediapart, il a fait savoir qu’il avait « tout dit sur le sujet à l’époque dans la presse locale ». Sa réaction, partagée par l’opposition socialiste et communiste, est à relire ici.

Extraits : « On ne veut pas de communautarisme, on cherche une logique de creuset, d'intégration, de mixité » ; « Si ce projet se fait, des enfants vont sortir des écoles républicaines. (...) On ne pourra pas venir se plaindre que des classes ferment » ; « On m'oppose l'argument des écoles dédiées à d'autres religions. Mais ça n'a rien à voir ! Les écoles catholiques (...) acceptent aussi des enfants d'autres religions, des enfants musulmans. (...) là, c'est une porte ouverte vers de possibles dérives. »

En matière d’écoles privées musulmanes, la liberté de l’enseignement, garantie par la loi Debré de 1959, par le principe même de laïcité à la française et la Constitution, est éminemment problématique pour les élus de l’Orléanais, de quelque parti qu’ils soient. Comme pour les habitants, désorientés par les bruits les plus fous portés par des groupuscules extrémistes type Résistance républicaine (les adeptes des apéros saucissons-pinard) annonçant « un centre d’endoctrinement coranique », mais pas seulement. Durant des mois, de mai à décembre 2014, une virulente polémique sera alimentée par la presse locale dès la découverte, au lendemain des municipales, du caractère confessionnel des Ateliers Montessori, sortis du bois pour lancer un appel aux dons sur les plates-formes de crowdfunding musulman (aoon et easy up).

La classe politique défilera dans les journaux pour matraquer le projet. Le Front national du Loiret (qui n’a pas d’antenne à La Chapelle-Saint-Mesmin), alors emmené par Bernard Chauvet, très proche des Le Pen (il a depuis quitté le parti avec fracas), placardera partout dans la ville des affiches appelant à s’opposer à « l’école coranique », à « l’islam conquérant ». Quant aux élus chapellois, « partisans de la laïcité et de l’école publique et gratuite », ils voteront à l'unanimité, en juin 2014, un « vœu » où ils se déclarent « défavorables à tout type d’établissement hors contrat (…) pas le bienvenu dans [notre] commune ».

Les tirs de barrage seront tels que les Ateliers Montessori se replieront un peu plus dans les bosquets des bords de Loire, entretenant le mystère autour de l’ouverture de l’école jusqu’au jour J, le 1er septembre. Vingt-cinq jours plus tard, l’établissement sera fermé sur décision du maire socialiste, Nicolas Bonneau, « en vertu de ses pouvoirs de police ». Motif : locaux non conformes aux normes de sécurité. Prévisible. L’édile, sous pression maximale, n’avait que l’arme de la sécurité pour s’extirper du nœud de vipères et circonscrire les feux.

Capture d'écran du site internet de La République du Centre.Capture d'écran du site internet de La République du Centre.

« Après s’être invité le jour de la rentrée scolaire avec deux policiers municipaux devant les enfants, il mandatera la sous-commission départementale de sécurité trois jours plus tard. Elle relèvera plusieurs anomalies à corriger sous vingt jours, un délai intenable », raconte l’avocat des Ateliers Montessori Me Philippe Bataille, du barreau de Versailles, qui leur a été conseillé par le collectif contre l'islamophobie (CCIF).

La sous-commission de sécurité a notamment exigé certains travaux car des maternelles seraient scolarisées à l’étage, ce que conteste l’association. Ces « suspicions » reposent notamment sur « des traces de déjeuner à l’étage » (« présence de chips, de jus d’orange, de papier d’aluminium et de yaourt à boire pour enfants » dans les poubelles), « la découverte de stylos et cahiers dans les armoires de la salle de réunion », « la salle des profs ». Ou encore sur la visite impromptue d’un inspecteur de l’Éducation nationale venu lui aussi le 1er septembre. Il aurait constaté une salle de classe CE2/CM1 au premier étage. Contactée, l’inspection académique n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

La première école musulmane de la région Centre aura ainsi vécu moins d’un mois. Clou final : son portail a été maculé d’un « sale raton » et d’une croix gammée. Une rentrée scolaire traumatique pour 75 écoliers âgés de 4 à 9 ans. Dans la précipitation, la plupart en oublieront dessins, chaussons, cartables et manteaux au vestiaire.

Dans la précipitation de la fermeture de l'école musulmane, les enfants oublieront chaussons, cartables et dessins au vestiaireDans la précipitation de la fermeture de l'école musulmane, les enfants oublieront chaussons, cartables et dessins au vestiaire © Rachida El Azzouzi

En catastrophe, leurs parents, qui les avaient désinscrits du public ou du privé catholique pour les scolariser dans cet établissement, devront les réinscrire dans ces écoles sous contrat avec l’Éducation nationale dont ils disent « ne plus vouloir pour [leurs] enfants ». Une poignée de familles, définitivement fâchées avec l’école républicaine, « trop discount » (sic), choisira l’option la plus radicale : la déscolarisation, préférant recruter une enseignante à domicile pour instruire leurs minots moyennant 250 euros mensuels par enfant.

Maurad a choisi cette voie pour son fils de six ans « très en avance ». Enseignant dans un lycée professionnel de l’Orléanais, marié à une professeur, il témoigne à visage couvert de peur que le rectorat le reconnaisse et le licencie : « Il n’apprécierait pas que j’aie déscolarisé mon gamin et que je milite pour une école privée musulmane. » Il se dit « à bout », « épuisé », voit « un complot », « des élus de mèche avec les magistrats ». « Il n’y a pas que des juifs qui veulent quitter la France. Des musulmans aussi. Liberté-égalité-fraternité, c’est du pipeau », lâche-t-il devant son fils, qui « souffre de ne pas avoir de copains » et demande : « Papa, pourquoi on nous veut du mal ? »…

« Quand on veut tuer un chien, on dit qu’il a la rage, dénonce Mustapha Ettaouzani, le président des Ateliers Montessori. Ce n’est pas la première fois que l’islamophobie, le péril vert, sont maquillés par des prétextes urbanistiques. On trouve toujours des failles. Nous, musulmans, devons être au-dessus des normes. » La quarantaine et une certaine faconde, Mustapha Ettaouzani, passé par l’usine automobile PSA-Poissy et revenu au pays pour se lancer dans « l’entrepreneuriat social et associatif », parle d’« acharnement ». Il impose aussi la comparaison « malgré [lui] » : « On prétend avoir droit à nos écoles confessionnelles comme les catholiques ou les juifs. Il y en a zéro dans la région Centre et à peine une trentaine en France alors qu’on dénombre plus de 9 000 établissements catholiques et plus de 300 juifs. »

Il a débarqué dans le dossier en septembre, « en pompier », au plus fort des hostilités. Connu et reconnu par les autorités locales (lire ici son portrait), il dirige l’union des associations musulmanes de l’Orléanais qui fédère sept mosquées d’Orléans. Et il possède, de fait, une certaine expérience : « Chaque fois qu’on veut monter un projet musulman institutionnel en rapport avec l'autorité publique, c’est le chemin de croix. Des mosquées ont mis dix, trente ans avant de se construire car ils n’en voulaient tout simplement pas. »

Il donne rendez-vous dans l’école de la discorde. Avec lui, trois quadras mobilisés autour du projet, des « Français musulmans de la classe moyenne » : Myriam, une enseignante voilée qui veut bien témoigner si l'on change son prénom ; Shourane Mejjoui, le très discret directeur qui a « pensé » les Ateliers Montessori, et Baddre-Eddine Bentaïb, « le chargé de communication ».

Consultant indépendant dans l’associatif, fondateur du site trouvetamosquée.com (qui recense les salles de prière à travers l’Hexagone), ce dernier passe son temps « à déconstruire les fantasmes des médias sur l’islam », « de la mosquée dans une cave qui abrite des terroristes à l’école musulmane forcément coranique qui oblige les enfants de trois ans à se lever à l’aube pour faire leurs ablutions et la prière ».

À l’heure où l’association a sollicité « le meilleur architecte de la place » (président du conseil régional de l’ordre des architectes de la région Centre – ndlr) et un nouveau permis de construire pour rouvrir en septembre prochain, il s’interroge. « La question de parler à Mediapart fait débat entre nous. Est-ce utile, opportun ? Ne risque-t-on pas de se saborder en médiatisant l’affaire au national alors que la polémique est aujourd’hui retombée ? C’est terrible pour une école de devoir mobiliser un spécialiste de la communication mais nous n’avons pas eu le choix. Les médias locaux ont été tels qu’ils ont contribué à la fermeture de l’école en véhiculant préjugés et stéréotypes pour bousculer le maire. »

De gauche à droite : Mustapha Ettaouzani, Badre-Eddine Bentaïb, Shourane Mejjoui.De gauche à droite : Mustapha Ettaouzani, Badre-Eddine Bentaïb, Shourane Mejjoui. © Rachida El Azzouzi

Tous ont grandi dans les ZEP d’Orléans ou de la région, devenues des « apartheid territorial, social, ethnique », pour reprendre la formule du premier ministre Manuel Valls, concentrant les pauvres entre eux, majoritairement des musulmans. Et ce sont leurs trajectoires personnelles, faites d’injustices, de discriminations, de relégations et de petits riens accumulés, qui les motivent à créer cette école pour que « les Français de l’immigration » échappent au déterminisme social. À cette injonction, dit l’un d’entre eux : « enfant d’ouvrier et de femme de ménage analphabètes, tu resteras et seras orienté dans l’enseignement professionnel ou la délinquance »…

« À notre époque, les années 80, il n’y avait que trois, quatre familles immigrées au milieu des Blancs, l’école de la République fonctionnait encore. Elle n’était pas une fabrique à sous-citoyens qui ne savent pas lire en arrivant au collège, décrochent du système scolaire du fait de l’effet ghetto des cartes scolaires et de l’abandon total des pouvoirs publics », assène Shourane Mejjoui.

Éducateur de formation à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), il s’anime pour défendre cette méthode Montessori appliquée à ses propres enfants, jamais scolarisés et « très en avance ». « L’élève est acteur de son apprentissage », « évolue à son rythme », « ne passe pas huit heures assis sur une chaise »… Tout en conspuant l’Éducation nationale, « ses classes surchargées », « ses moyens archaïques d’enseignement », « ses profs inexpérimentés jetés dans l’arène des quartiers difficiles » : « En France, il n’y a plus de génie, on veut que nos jeunes arrivent tous au bac avec un niveau moyen. Dans les quartiers populaires où la ségrégation est en place depuis trente ans, tout est organisé pour qu’ils échouent. »

À ceux qui les accusent de velléités intégristes, Shourane Mejjoui répond sans ciller et en caressant son collier de barbe : « On ne va pas transformer des gamins de six ans en théologiens. C’est juste un éveil à la spiritualité, à l’histoire des prophètes, l’enseignement d’un savoir-être, savoir-vivre, dans un monde matérialiste, individualiste, en perte de repères, de valeurs. C’est une option. » Il précise qu’ils accepteront tous les enfants quelle que soit leur confession, mais on voit mal dans un tel cadre des familles non musulmanes inscrire leurs mômes.

« On aimerait bien avoir un centime du Qatar mais on n’a pas les liens de Sarkozy ou de Hollande, renchérit Mustapha Ettaouzani. Les musulmans sont si mal représentés en France que nous n’avons aucun rapport avec les instances dites représentatives de l’Islam, l’UOIF, les Frères musulmans. Il n’y a pas plus indépendants que nous. Autrement, cela se saurait. Nous aurions de superbes locaux et nous ne serions pas là, à courir de galas en galas après les fonds pour payer le loyer (3 500 euros par mois et 45 000 euros de charges annuelles – ndlr). Cette école vivra des contributions des parents et des dons privés. »

Myriam intervient timidement : « Il ne s’agit pas de réciter le Coran toute la journée mais de former une élite qui pourra se battre à armes égales dans la société et sur le marché du travail. » Bac + 5 en langue et littérature, elle se destinait à une carrière dans l’enseignement. Mais elle a été stoppée net dans son ascension par le foulard qu’elle a choisi de porter sur les bancs de la faculté et toujours refusé d’enlever car « c’est une part de [son] intégrité, [sa] liberté d’être ». Elle n’a jamais travaillé de sa vie sinon comme bénévole dans des associations : « Je sais que mon obstination est criminelle pour beaucoup de gens. »

Les Ateliers Montessori, c’était son premier CDI, à quarante ans, mais elle a été licenciée sitôt l’école fermée. Elle est encore « sous le choc de la rentrée de septembre », n’oublie pas Emeline, sa collègue blonde et blanche, mariée à « un Français musulman », interpellée par des riverains à la sortie des classes : « Qu’est-ce que tu fous dans cette école d’Arabes ? Tu n’as pas honte d’y enseigner ? »

Dans cette école où les effectifs et la liste d’attente affichent complet tant la demande serait « forte »« les frais de scolarité s’élèvent à 200 euros mensuels par enfant, 10 % des places sont réservées à des enfants dont les familles n’ont pas les moyens et les cours sont mixtes, contrairement à ce qu’on a pu entendre », explique Mustapha Ettaouzani. La blouse est de rigueur et le foulard accepté. Si tôt ?! « 99 % des fillettes ne seront pas voilées mais si des familles évoluent dans un cadre très religieux et l’imposent à leurs gamines de six ans, plutôt que de les voir déscolarisées, privées d’une éducation, nous les accepterons. »

En plus des « savoirs fondamentaux » et de « l’éveil religieux » optionnel, les écoliers apprendront l’arabe et l’anglais. La cantine sera « halal ». « Un soulagement pour les familles », dit Myriam. « On a forcé ma fille à manger de la viande alors que j’avais bien précisé de ne pas lui en donner, que je me chargeais d’équilibrer le menu le soir. J’ai dû demander des explications au maire de ma commune », ajoute-t-elle.

Mustapha Ettaouzani, qui a longtemps scolarisé ses quatre enfants dans le privé catholique sous contrat – « Quand on veut offrir la réussite à ses gosses, la croix ne nous dérange pas » –, conte une autre histoire. Celle d’un maire UMP qui voyant grimper le nombre de familles musulmanes dans son patelin a mis fin à un dispositif qui n’avait jamais souffert la controverse, ni heurté « le pacte de laïcité » : « Il permettait aux enfants végétariens, juifs ou musulmans, moyennant une participation financière pour le service, de venir avec leurs propres repas. »

Cet après-midi de février, « un nouveau coup de massue » assomme l’équipe. « Le maire nous demande de démontrer qu’il n’y aura pas de stationnement sauvage sur les voies publiques à la sortie des classes alors que dans toutes les écoles de France, c’est warning et stationnement en double file. Il dit partout qu’on refuse le dialogue alors qu’on a multiplié les prises de contact formelles et informelles », lâche le « chargé de communication ». Les visages sont las, tendus…

Le sénateur socialiste Jean-Pierre Sueur, ancien maire d’Orléans, a tenté la médiation. En vain. Il soutient néanmoins Nicolas Bonneau : « Des maires refusent sous des prétextes d’urbanisme des mosquées et des écoles. Pas lui. Il se fonde sur la sécurité. Lorsque les conditions seront remplies, aucune autre raison n’empêchera cette école d’ouvrir. L’islam est la deuxième religion de France. Il faut des rapports apaisés, qu’elle soit reconnue dans ce qu’elle est, ni de l’intégrisme ni du terrorisme. »

Sur le bureau du maire justement, l’épais dossier des Ateliers Montessori. Nicolas Bonneau est sur la défensive avant même qu’une question soit posée. Il nous accueille en présence de Jean-Christophe Bernard, son ancien directeur de cabinet passé à la communication, fils d’un ancien maire PS de la commune. Il se dit « dans les clous », attend « sereinement » le jugement sur le fond du tribunal administratif et compte les victoires comme un boxeur : « J’ai gagné deux rounds judiciaires. » Il assure que « le caractère musulman » des ateliers Montessori ne le dérange « vraiment pas du tout » et dément « tout acharnement ». Il estime n'avoir « fait qu’appliquer les lois de son pays », sans « jamais déroger sur un seul permis de construire, contrairement à bien des élus »

La mairie de La Chapelle-Saint-Mesmin, dans le vieux bourg.La mairie de La Chapelle-Saint-Mesmin, dans le vieux bourg. © Rachida El Azzouzi

Quand on lui rappelle que le Code de l’éducation lui permettait, dès mars 2014 et la signature du récépissé par son adjointe, de visiter les locaux et de s’opposer à l’ouverture de l’école s’il la jugeait non conforme, ce qui aurait évité une rentrée violente à 75 enfants, il s’agace : « Si vous êtes venue pour me tenir ce discours, nous allons clore l’entretien. » Puis il se détend, desserre son col de chemise, confie qu’à l’époque, il battait la campagne des municipales, qu'il a « 10 000 habitants, 200 agents, je ne sais pas tout », et que « de toute façon », il n’aurait eu « aucun pouvoir ». « On nous demande de faire l’équivalent de La Poste, d’accuser réception des demandes, notre rôle est celui d’une boîte à lettres. »

« Même la préfecture et l’académie, qui ont ce pouvoir de visiter les lieux, ne l’ont pas fait. Les pouvoirs publics sont démunis. Et puis, comment apprécier l’hygiène et les bonnes mœurs d’une école qui n’a pas encore ouvert ? On n’est pas dans une optique à voir le mal partout », coupe son bras droit. Il tend une copie du fameux vœu voté à l’unanimité par le conseil municipal en juin à son initiative. Il y demande au législateur de durcir les conditions d’ouverture des écoles confessionnelles : « C’est tout de même fou en France. On peut ouvrir une école privée hors contrat dans son salon. »

Quid alors de cette école catholique intégriste des Saints-Anges-Gardiens dans un pavillon à la toiture peu incitante, ouverte peu après sa première élection, en 2008, par des lefebvristes ? « Je l’ai contrôlée à plusieurs reprises, même de manière inopinée, il y a encore quelques mois. Les conditions de sécurité sont remplies. Quant à la toiture, elle ne m’apparaît pas défectueuse et quand bien même elle le serait, les enfants sont concentrés au rez-de-chaussée dans la salle à manger et n’ont pas classe à l’étage si une fuite ou un effondrement survenait », détaille l’élu. Avant de clore le débat : « On n’a pas à comparer ces deux écoles. »

Nicolas Bonneau, maire PS de La Chapelle-Saint-Mesmin.Nicolas Bonneau, maire PS de La Chapelle-Saint-Mesmin. © Capture d'écran du site internet de la municipalité

Décrié pour ses « méthodes de cowboy », mais fort de sa réélection « inégalée par [mes] prédécesseurs » – 64 % en mars dernier, dans un contexte national de débâcle socialiste –, l’édile a démarré son deuxième mandat dans la fureur. Après un premier exercice déjà très éprouvant. Sa majorité ne tenait qu’à un fil (quinze conseillers face à quatorze dans l’opposition) et les conseils municipaux étaient réputés à des kilomètres à la ronde pour être une foire d’empoigne. 

En 2008, cet agent du ministère des finances a ravi la ville à la droite grâce à une alliance avec le MoDem. Mais l’union a tourné court. Six mois plus tard, les centristes claquaient la porte, dénonçant son « autoritarisme » et « l’absence de démocratie ». En 2014, il s’est associé aux communistes (personne ici ne dit Front de gauche) solidement implantés dans cette terre agricole et vigneronne de « rouges » (les ouvriers paysans) et de « blancs » (les grands propriétaires terriens qui votent à droite).

La droite (UMP, UDI, MoDem) s'est serré les coudes, mais « une rumeur venue de la gauche » lui aurait pourri la campagne. « Nous aurions eu le projet de construire une mosquée ! Un comble alors que les services du maire donnaient le feu vert, en catimini, pendant l’entre-deux tours, à l’école coranique », rage un élu de l'opposition.

Jean Moreau, le secrétaire du PCF local, lui, jubile. Ce nouveau mandat se fait « grâce aux cocos ». « En 2008, on a fait seuls 25 % au premier tour », clame cet ancien de Duralex à la retraite. Il invite Mediapart à venir fêter le vin doux, fin septembre, « place des grèves », où le PCF perpétue la tradition des vendanges, refait le monde avec les associations de solidarité avec la Palestine et ranime Jaurès. « C’est sans alcool », tient-il à préciser (considérant que, de par son nom, l’auteure de ces lignes est musulmane pratiquante). Depuis un an, il est adjoint aux travaux et « agréablement surpris par Bonneau » : « J’ai appris à le connaître en faisant équipe avec lui. C’est un homme de gauche, un vrai. Bon, pour les départementales, il s’est rangé derrière son parti alors qu’il passe son temps à critiquer Valls et sa politique. Il m’a déçu, mais c’est un bon maire. Dans le dossier de l’école musulmane, il a fait son boulot. Il est devenu un mur mais ce sont les porteurs du projet qui l’ont construit avec leur agressivité, leurs mensonges. Leur attitude les a rendus intégristes aux yeux de tous. »

Laïcard, « attaché à l’école publique gratuite », Jean Moreau est « comme tout le monde » « contre l’école musulmane ». « Elle s’inscrit dans un rejet global du communautarisme. » Mais il ne s’opposera pas à son ouverture : « Après tout, on a d’autres chapelles à La Chapelle », soupire-t-il. Suppléant dans le canton 19 du Loiret, où le FN s'est imposé au second tour, il a ressenti « un mal-vivre incroyable » pendant la campagne : « Les Français sont malheureux, dégoûtés de la politique. Dès qu’on tend un tract, peu importe le parti, ils nous repoussent en hurlant et le FN engrange les voix sans jamais se montrer. »

Conseiller municipal dans l’opposition, le centriste Arnaud Dowkiw a le même ressenti. Mais pas tout à fait la même analyse. « L’extrême droite peut remercier Nicolas Bonneau. Sa gestion du dossier des Ateliers Montessori aura fait le lit du FN alors qu’il aurait pu réconcilier la société et la communauté musulmane en ‘‘homme de gauche’’, avoir la première école musulmane de la région Centre sur son territoire, lui qui aime tant faire croire qu'il est le premier en tout. »

Il vient de Moselle, de Longwy, ville sinistrée où « le PS te promet le luxe et te maintient dans la misère ». S’il écrit un livre un jour, le titre sera : « Il est tellement plus facile de se faire élire en se disant de gauche. » Il y racontera comment, en 2008, sensible aux idées de Bayrou, il a sacrifié sa vie familiale pour se lancer dans la vie politique locale, accepté, « naïf », l’union avec le PS, une aventure qui fera long feu et le traumatisera à jamais.

Pour ce scientifique, chercheur en agronomie, catholique pratiquant, « la lâcheté des politiques qui ne comprennent rien à la spiritualité ont conduit à ce blocage ». Il n’absout pas pour autant les Ateliers Montessori qui jouent « un peu trop facilement » les victimes suppliciées : « Personne n’est clair, franc dans cette histoire. »

Des mois durant, à l’aune de ce qu’il lisait dans la presse locale et de la cacophonie ambiante, Arnaud Dowkiw imaginera « une école coranique ». Jusqu’à ce qu’en novembre dernier, une collègue de bureau l’interpelle sur le sort d’une de ses amies, dont les enfants étaient scolarisés aux Ateliers Montessori. « J’ai rencontré une famille désemparée puis j’ai visité ladite école, dit-il. J’ai eu alors une autre version que celle du maire et de La République du Centre, celle des acteurs du projet, des Français normaux, pas des fanatiques. J’ai vu des salles de classes comme les autres, en meilleur état même que celles qu’on trouve dans le public où j’ai mes enfants. J’ai vu les dessins des gamins et leurs chaussons oubliés. Ça m’a retourné. J’avais juré de ne pas les défendre, mais aujourd’hui, je me sens obligé de le faire. »

Arnaud Dowkiw leur a conseillé d’ouvrir les portes de leur école aux Chapellois, « pour qu’ils se fassent leur opinion ». Il les a aussi encouragés « à cesser de jouer les opprimés » : « On a l’impression qu’ils veulent venger leurs parents. » Quand, en janvier, la brutalité des attentats a obscurci un peu plus le ciel déjà plombé par la crise économique, la peur du chômage, le déclassement social et les désordres du monde, ce Lorrain au sang mêlé italien et ukrainien a « immédiatement » pensé à « eux » : « Ils vont vivre l’enfer. »

« Le climat est devenu puant. Dans nos petites villes de province, il est bien plus difficile d’être musulman pratiquant que dans les métropoles », avoue Mustapha Ettaouzani. Le président des Ateliers Montessori a quitté les barres HLM de son enfance, vit dans un village de 3 000 habitants où l’école publique fonctionne « très bien ». Il y a inscrit le plus jeune de ses fils, Mohamed. « Au moment de l’affaire Merah, tout le monde s’est mis à l’appeler Merah dans la cour. Je n'ai pas porté plainte »…

« Le racisme dans nos contrées rurales peut être très violent », témoigne, sous un nom d'emprunt, Antoine. « Blanc », baptisé par ses parents, des fonctionnaires « catholiques pas pratiquants », il ne mesurait pas « le degré d’islamophobie en France ». Jusqu’à sa conversion à l’islam. C’était il y a quatre ans. Comme « une déflagration » à La Chapelle-Saint-Mesmin. « J’ai l’impression d’être un terroriste avec une bombe dans mon sac », raconte cet animateur sportif de 22 ans. « Équilibré, pas fou », il a découvert « Allah à travers des lectures et des sites internet. »

Ses proches ont espéré une « lubie passagère » après une rupture sentimentale, puis ont réalisé le « sérieux » de sa démarche. Antoine a un nouveau prénom « Hicham », ne mange plus de porc – « j’y suis allé en douceur, comme un végétarien, pour ne pas les choquer ». Il fréquente dès l'aube la mosquée à quelques pas de chez lui : « Quand on est converti, on a une foi très élevée. » Qui peut devenir très soupçonneuse pour l’entourage et le voisinage : « Mes parents trouvaient bizarre que je me lève à cinq heures du matin, ils m'ont demandé de me calmer. »

Point de grands ensembles HLM à La Chapelle-Saint-Mesmin, une ville de classes moyennes.Point de grands ensembles HLM à La Chapelle-Saint-Mesmin, une ville de classes moyennes. © Rachida El Azzouzi

Il va bientôt se marier avec une étudiante « de Paris ». « Elle porte un foulard et doit affronter en permanence le regard accusatoire de la société. Elle essaie de se présenter à des entretiens professionnels, sans succès. » Il est « dégoûté de la gauche », persuadé que « l’interdiction du voile intégral dans l’espace public par les politiques n’est qu’un début » : « Bientôt, ils vont interdire le voile. »

En septembre dernier, Antoine est parti en pèlerinage à La Mecque accomplir « [son] devoir ». À son retour, l’école des Ateliers Montessori où il assurait le service les midis, était fermée : « Je n’ai pas compris. Le maire, parfois, c’est Jean-Marie Le Pen dans un costume socialiste. » Membre actif de l’association culturelle des musulmans (ACM) de La Chapelle-Saint-Mesmin qui gère la mosquée Annour, il contribue à l’organisation, une à deux fois par an, de dîners-conférences-prières où « des lumières de l’Islam » (sic) sont invitées.

Ces rencontres se déroulent dans la salle municipale. La dernière remonte à mai 2014. Cent cinquante personnes sont venues applaudir l'imam de Massy (Essonne) Nourredine Aoussat et le « professeur d’éthique » « en sciences islamiques » Sofiane Meziani du lycée Averroès, à Lille, l’un des rares établissements musulmans en France sous contrat avec l’Éducation nationale (relire ici notre enquête). Thème de la soirée : « L’excellence, l’essence spirituelle de l’Islam, adorations et comportements. » Il y avait là un stand des Ateliers Montessori. Ils n’étaient pas encore diabolisés. Depuis, leurs faits et gestes sont épiés. Ils ne font plus couler autant d’encre qu’en septembre dernier, mais affolent toujours autant. Le 7 mars 2015, leur « gala caritatif » pour maintenir à flot leur projet d’école a fait le plein, 15 000 euros ont été recueillis. « La location de la salle aurait dû être gratuite, raconte un organisateur, mais la municipalité a décrété qu’elle était payante pour nous, 600 euros. » À la tribune, Tahar Mahdi, l’ancien imam de la « mosquée modèle » de Cergy dans le Val-d’Oise qu’avait inaugurée Manuel Valls, alors ministre de l'intérieur.

Dans cette bourgade de « Blancs » parmi les plus tranquilles de France, mi-campagne, mi-banlieue dortoir pour classes moyennes, où l’on voit rarement passer des foulards et des djellabas dans les rues, ces rassemblements où interviennent des personnalités qui ne prêchent pas l’islam le plus progressiste catalysent toutes les angoisses de la population repliée dans ses foyers sur les chaînes d'information en continu. Ils sont aussi « troublants » que l'arrivée prochaine d'un deuxième commerce « arabe » : « une boulangerie orientale » tenue par un proche de la mosquée et voisine de la boucherie « halal ».

Les habitants évoquent « ces événements », en écarquillant les yeux, la voix offusquée, ponctuée de « on nous cache la réalité ». Ils terminent toujours leur récit par la description d'une « invasion de burqa et de barbus descendus des cités HLM de la région parisienne », une légende urbaine comme cette terre de rumeurs sait en produire. En mai 1969, à dix minutes en voiture de là, c'était la communauté juive qui était visée par la tristement célèbre « rumeur d'Orléans » (démontée par une équipe de chercheurs dont le sociologue Edgar Morin). Elle avait soulevé la panique et suscité des fantasmes de disparitions de jeunes filles dans les cabines d'essayage des commerçants juifs qui n'ont jamais existé.

Antoine appelle cela « l’esprit reptilien, la peur de l'étranger ». S'il convient du « choc local » que peuvent représenter certains « frères considérés comme déviants », « le fantasme de la burqa » l’exaspère : « Il n’y en a jamais eu une seule dans nos conférences, ni à La Chapelle. Des femmes portaient le foulard et quelques-unes, mais elles sont très rares, un niqab ou jilbab. »

Bientôt, deux commerces “arabes” voisineront à La Chapelle.Bientôt, deux commerces “arabes” voisineront à La Chapelle. © Rachida El Azzouzi

« On n’a pas vocation à connaître l’encyclopédie des voiles », rétorque, outrée, Marie, qui, elle aussi, n'accepte de parler que sous un prénom d'emprunt.  « Catho cool », mariée à un athée encarté à la CGT, deux ados au collège « pas baptisés », elle fréquente l'église Saint-Mesmin « à Pâques et à Noël », n’a « rien contre les musulmans et leur école malgré tout ce qu'on voit à la télé et entend sur l'islam ». Elle s’inquiète « des communautarismes » : « On nous a vendu l’unité nationale après les attentats alors que le pays n’a jamais été aussi fracturé. La religion devient la seule échappatoire aux souffrances avec le risque de laisser se développer les extrémismes. »

Sa fille et ses copines ont été interpellées l'autre jour à la sortie des cours par « deux mémés Témoins de Jéhovah qui voulaient leur bourrer le crâne », et elle a appris, en faisant son marché, que la mosquée voisine s’était agrandie sans autorisationElle demande si « c'est vrai que les petites filles vont porter le foulard dans l'école coranique ». Elle ne dit jamais « école musulmane ». On le lui fait remarquer. « Ce n'est pas la même chose ? », répond-elle en feignant l'innocence. Puis elle s'empresse de parler des intégristes lefebvristes, « les pires » : « Vous avez vu la maison qui leur sert d'école et la vieille ferme où ils font leurs messes en latin ? J'espère que vous allez écrire qu'ici, c'est la Chapelle-aux-dingues de religion. »

BOITE NOIRECette enquête a été réalisée tout au long des mois de février et mars. Je me suis rendue à La Chapelle-Saint-Mesmin du 11 au 16 février. Toutes les personnes citées ont été, sauf mention contraire, rencontrées ou jointes par téléphone. Compte tenu du climat délétère autour de l’ouverture de cette école musulmane, de nombreuses personnes témoignent sous couvert d’anonymat et/ou sollicitent un prénom d’emprunt.

Nicolas Bonneau, le maire PS de La Chapelle, m’a accordé un entretien d’une quarantaine de minutes. Celui d’Orléans, le député UMP Serge Grouard, qui s’est opposé à l’ouverture d’une école musulmane en 2013 dans le quartier populaire de l'Argonne, a refusé de s’exprimer. L’inspection académique n’a pas donné suite à ma demande d’entretien.

Trop complexes et techniques à lister, les points de sécurité litigieux qui ont conduit en septembre dernier à la fermeture de l'école musulmane peuvent être consultés ici dans « le mémoire en réplique » de l’association des Ateliers Montessori produit devant le tribunal administratif où la bataille s’est déportée. Il donne un aperçu des joutes en cours. La municipalité de La Chapelle-Saint-Mesmin, elle, a refusé de nous transmettre tout document.

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