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Affrontement familial au FN : la stratégie risquée de Marine Le Pen

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Depuis quinze ans, c’est la même pièce qui se joue dans le petit théâtre du Front national : la brouille publique entre les Le Pen père et fille, le plus souvent après que Jean-Marie Le Pen a livré l’une de ses analyses sur la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vichy, ou l’Holocauste. C’est à nouveau ce qui s’est passé cette semaine. Mais cette fois-ci, Marine Le Pen n'a pas exclu des sanctions et a annoncé qu’elle s’opposerait à la candidature de son père en région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Un coup cadré et gagnant, ou un vrai risque politique ?

Après une semaine, l’incendie ne semble pas s’éteindre. Interrogé sur RMC le 2 avril, Jean-Marie Le Pen a réitéré les propos qu’il n’a de cesse de répéter depuis 1987, et qui lui avaient valu une condamnation en 1991 : pour lui, les chambres à gaz sont un « détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale ». Le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour contestation de crime contre l'humanité. Pendant une semaine, la tension est montée au FN et les micros ont à nouveau été tendus au président d’honneur, qui ne boude pas son plaisir : « Les élections sont passées, donc je dis ce que je pense, je n'ai pas changé », a-t-il déclaré au Point.

Le fondateur du FN a enfoncé le clou en donnant un long entretien à l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol. Le choix n’est pas anodin. En conflit ouvert avec Marine Le Pen, Rivarol n’a eu de cesse de cibler la présidente du FN et avait d’ailleurs soutenu Bruno Gollnisch dans la guerre de succession. Dans cette interview, le président d’honneur du FN récite ses classiques à coups de phrases “chocs”. Il n'a « jamais considéré le maréchal Pétain comme un traître, dit-il. L’on a été très sévère avec lui à la Libération. Et je n’ai jamais considéré comme de mauvais Français ou des gens infréquentables ceux qui ont conservé de l’estime pour le Maréchal. Ils ont selon moi leur place au Front national comme l’ont été les défenseurs de l’Algérie française, mais aussi les gaullistes, les anciens communistes et tous les patriotes qui ont la France au cœur. »

Jean-Marie Le Pen cible clairement le bras droit de sa fille, Florian Philippot, ancien soutien de Jean-Pierre Chevènement : « l’influence chevènementiste » est « nuisible » au FN, assène-t-il. Il évoque aussi l’« assez grand nombre d’homosexuels au Front national », qui « ont tendance à se regrouper, même s’ils se détestent les uns les autres » et « forment une communauté » au sein du parti, selon lui. Il adresse aussi directement un message aux dirigeants du FN lorsqu'il déclare qu'il faut « sauver l'Europe boréale et le monde blanc »: une manière de rappeler qu'il maîtrise l'arme doctrinale et les références de l'extrême droite (lire l'analyse de l'historien Nicolas Lebourg).

Pour le fondateur du FN, l’intérêt est d’abord de continuer à exister médiatiquement, alors qu’il est tenu à l’écart des décisions et cantonné à ses bureaux à Montretout, la demeure familiale. C’est d’ailleurs la stratégie qu’il a appliquée toute sa carrière : « Avant le détail : deux millions de voix pour le FN. Après le détail : quatre millions », a-t-il souvent répété. Dans Rivarol cette semaine, il le dit plus clairement encore : « Peu importe que l’on parle de nous en bien ou en mal. L’essentiel, c’est qu’on en parle ! Il faut exister politiquement. »

Jean-Marie Le Pen lors du traditionnel défilé du 1er mai du FN, à Paris.Jean-Marie Le Pen lors du traditionnel défilé du 1er mai du FN, à Paris. © Reuters

Mais il s’agit aussi de rappeler à sa fille son pouvoir de nuisance, ce qu'il a fait régulièrement ces dernières années.

En janvier 2005, il déclare dans Rivarol qu'en France « l'occupation allemande n'a pas été particulièrement inhumaine » et que la population était bien protégée par la Gestapo. Explication orageuse avec sa fille, alors vice-président du parti. Marine Le Pen claque la porte et fait savoir qu'elle se met en congé du parti. Elle quitte même, pendant quelques jours, la maison familiale de Saint-Cloud avec ses enfants. Elle écrit aussi à l'hebdomadaire pour signifier qu'elle ne renouvellera pas son abonnement. Dans son livre À contre-flots, publié un an plus tard, elle s'efforce de se démarquer de la vision de la Seconde Guerre mondiale de son père.

En avril 2008, nouvelle brouille. Jean-Marie Le Pen confirme, dans le mensuel Bretons, que les chambres à gaz sont un « détail » de l'histoire. Sa fille annule son intervention sur RTL et tente de rectifier le tir sur BFM-TV: « Je ne partage pas sur ces événements la même vision », explique-t-elle, en s'efforçant de minimiser. Son père « ne voulait pas créer la polémique », dit-elle, il avait d'ailleurs « interdit au journal la publication de cette interview ».

Mais en mars 2009, Jean-Marie Le Pen persiste, encore. « Je me suis borné à dire que les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire de la [Seconde] guerre mondiale, ce qui est une évidence », lâche-t-il au parlement européenVoilà à nouveau Marine Le Pen contrainte de faire la tournée des médias pour éteindre l'incendie. « Je ne pense pas que ce soit un détail de l'histoire », dit-elle sur France 5. Son père « n'a jamais nié aucun des événements de la Seconde Guerre mondiale », plaide-t-elle, en tentant de justifier l'injustifiable : « pupille de la nation, ayant perdu son père, (il) cherche en réalité à élargir en quelque sorte la mémoire collective à l'ensemble des victimes et le fait sûrement de manière maladroite », dit-elle.

Dès son élection à la tête du parti, en 2011, Marine Le Pen veut mettre les choses au clair dans Le Point. Ce qui s'est « passé » dans les camps nazis ? « Le summum de la barbarie. » L'occupation allemande ? Elle ne « [se] sen[t] aucune filiation avec ce que fut l'armée allemande », qui « a assassiné nos pères et nos frères ». Et ceux qui font preuve « d'ambiguïté sur la Shoah [l']agacent de la même manière ». Mais, dans le même temps, elle donne satisfaction à son père en refusant tout « devoir de mémoire » et en critiquant la « culpabilisation » des Français au nom de l'Histoire : « On leur a expliqué qu'ils étaient des salauds, des colonisateurs, des esclavagistes... »

D’autres épisodes ont suivi, parmi lesquels les propos de Jean-Marie Le Pen lors de la tuerie d’Oslo en 2011, ou encore ceux sur Patrick Bruel et la « fournée », en juin 2014. À l’issue de cette polémique, Marine Le Pen avait dénoncé une simple « faute politique » et décidé de ne plus héberger sur le site du FN les vidéos du « Journal de bord » de son père. Mais elle n'a jamais exclu ou même suspendu celui qu'elle a souvent présenté comme son « premier conseiller ». Lors de son élection en 2011, n’avait-elle pas expliqué qu’elle « assum[ait] tout l’héritage » du FN ?

Cette fois-ci, l’équation pourrait bien être plus compliquée. Jamais l’affrontement n’a été aussi fort. « Jean-Marie Le Pen semble être entré dans une véritable spirale entre stratégie de la terre brûlée et suicide politique », a déclaré Marine Le Pen dans un communiqué, mercredi matin. « Son statut de Président d’honneur ne l’autorise pas à prendre le Front National en otage, de provocations aussi grossières dont l’objectif semble être de me nuire », a-t-elle ajouté en annonçant qu’elle s’opposerait à sa candidature en Provence-Alpes-Côte d’Azur et qu’elle réunirait « rapidement un bureau exécutif » pour « protéger au mieux les intérêts politiques du Front National ».

Interrogé sur RTL, son père a réagi en l’appelant « Madame » : « Si le Front national ne défend plus [la liberté de penser et la liberté d'expression], Madame Le Pen doit se poser la question de savoir si ce qu'elle fait est utile à la cause qu'elle prétend servir. »

Le fondateur du FN peut-il être exclu du parti, ou perdre son statut de président d’honneur ? « Toutes les options sont sur la table (...). Il s'est exclu lui-même du mouvement », a affirmé Florian Philippot sur iTélé. Le vice-président du FN a évoqué une « réaction ferme » à venir.

Quel est le calcul de Marine Le Pen ? Pense-t-elle ainsi mettre en place l’ultime étape de sa stratégie de « dédiabolisation » ? Jusqu’à présent, les propos de Jean-Marie Le Pen l’ont, paradoxalement, plutôt servie. Car en montrant qu’elle le désapprouve sur plusieurs points, la présidente du FN accrédite l’idée qu’il y aurait un « nouveau » Front national bien différent de celui fondé par son père en 1972. Cette forme de répartition des rôles entre les Le Pen a aussi permis à Marine Le Pen de conserver la frange la plus dure de son électorat, tout en aspirant des électeurs à droite et à gauche, à travers le « Rassemblement bleu marine ». En clair, cela lui permet de faire oublier l’essentiel : au-delà de changements de forme, le programme du parti n’a pas varié, conservant ses fondamentaux (immigration zéro, préférence nationale, sortie de l’euro).

Marion Maréchal-Le Pen, Bruno Gollnisch, Jean-Marie Le Pen lors de la convention du FN sur les municipales, le 17 novembre 2013.Marion Maréchal-Le Pen, Bruno Gollnisch, Jean-Marie Le Pen lors de la convention du FN sur les municipales, le 17 novembre 2013. © Reuters

En durcissant le ton face à son père, Marine Le Pen peut aussi espérer affaiblir la ligne qu'impulse sa nièce Marion Maréchal-Le Pen. Ces deux dernières années, plusieurs épisodes ont révélé de profonds désaccords internes : les manifestations contre le mariage pour tous, auxquelles Marine Le Pen n’a pas participé ; le recrutement du cofondateur de Gaylib et ex-UMP Sébastien Chenu, qui a valu à la présidente du FN d’être accusée « d’être manipulée par le lobby gay » ; l'éviction de son conseiller international Aymeric Chauprade après sa vidéo expliquant que « la France est en guerre contre des musulmans ».

À ces occasions, la frange la plus conservatrice et radicale du parti a donné de la voix, emmenée par Marion Maréchal-Le Pen – soutenue par son grand-père –, Aymeric Chauprade et Bruno Gollnisch. « Il y a une guerre ouverte, il y a deux Le Pen contre un maintenant », résumait en janvier à Mediapart un membre du bureau politique, en affirmant que Jean-Marie Le Pen avait « entraîné avec lui les deux sénateurs », Stéphane Ravier et David Rachline. « On a le culte de la cheftaine, mais ça grogne !, prévenait-il. Florian Philippot est très seul, les gens en ont plein le dos de le voir broder lui-même la doctrine du FN sur BFM et aller fleurir la tombe de De Gaulle. Ça fume ici. Marine Le Pen est dans une position délicate. »

En s’opposant frontalement à son père, Marine Le Pen ne veut-elle pas mettre à mal cette alliance ? L’épisode a en tout cas contraint Marion Maréchal-Le Pen à désavouer son grand-père : « Provocation inutile », « Je suis en désaccord sur le fond »a-t-elle réagi, en estimant qu'il tirait « bien peu de gloire à s'installer dans sa vérité et à l'asséner comme une certitude sans tenir compte des conséquences ». Si Jean-Marie Le Pen n'est pas investi par le FN en Paca, c'est elle qui sera candidate. De quoi créer des tensions...

Cet affrontement permet aussi à la patronne du FN de rappeler qu’il n’y a qu’une seule ligne : la sienne. Mercredi, dirigeants et maires frontistes se sont massivement rangés derrière leur présidente, en condamnant avec une rare fermeté l’attitude de Jean-Marie Le Pen, qualifiée de « nuisible ».

Mais cette stratégie pourrait se retourner contre Marine Le Pen. Le risque est d’abord politique. Jean-Marie Le Pen fédère encore la frange historique du parti, qui a rassemblé à sa création des néofascistes d'Ordre nouveau, des anciens de la collaboration, des nostalgiques de l’Algérie française et ex-OAS, des nationalistes révolutionnaires, des poujadistes. Cette branche pèse encore dans la région Paca, où le président d’honneur est élu depuis de longues années et où il compte bien se présenter à nouveau aux régionales, en décembre. Le Front national peut-il se permettre de s’exposer à une candidature dissidente qui lui serait fatale dans ce bastion ?

D’autant qu’une sanction à l'encontre du patriarche pourrait avoir un effet remobilisateur chez les historiques du parti. Il n’y a « aucune raison » de « sacrifier » Jean-Marie Le Pen « en raison d'une diabolisation artificiellement entretenuea déjà estimé Bruno Gollnisch. « [Le] sanctionner est assez dérisoire, c'est oublier ce que lui doit ce mouvement. »

Marine Le Pen prend aussi un risque financier. Car son père a pris soin de conserver, via son micro-parti Cotelec, une main sur l’argent du parti. Fin 2010, dans un courrier à ses donateurs, le fondateur du FN avait annoncé qu’il resterait « bien sûr » président de Cotelec. En 2012, cette association de financement créée en 1988 a récolté 256 000 euros de dons, reversé 77 000 euros au FN et consenti près de 3 millions d'euros de prêts au parti. En 2013, elle a prêté 4 millions d’euros au Front national. En 2014, le prêt russe de deux millions d'euros décroché par Jean-Marie Le Pen a permis à Cotelec d'avancer des fonds aux candidats frontistes aux européennes.

Cet affrontement familial permet en tout cas à Marine Le Pen de faire diversion par rapport à un autre front, judiciaire celui-ci. Deux enquêtes judiciaires visant le Front national sont en cours et ont connu des développements récents: l'une, ouverte en avril 2014, porte sur les financements de campagne du parti; l'autre, ouverte le 24 mars, sur des soupçons de fraude au parlement européen.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les gardiens du nouveau monde


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