Le président de l’Assemblée nationale, le socialiste Claude Bartolone, a visiblement une curieuse conception de la liberté de la presse et du droit à l’information des citoyens. Lors de la revente des grands quotidiens régionaux du sud-est de la France, il en avait déjà apporté une première illustration, en multipliant secrètement des interventions en faveur de son encombrant ami, Bernard Tapie, qui a finalement mis la main sur La Provence. Et voici qu’il en apporte une nouvelle, à l’occasion de la procédure de nomination du nouveau PDG de La Chaîne parlementaire-Assemblée nationale (LCP-AN) : actuelle chef du service politique de France Info, Marie-Ève Malouines, qui a ses faveurs, est certaine de l’emporter, au terme d’une procédure qui a été gravement malmenée.
Avec un budget de 16,6 millions d’euros bloqué depuis trois ans et un peu moins de 80 salariés, LCP est certes une télévision publique de taille modeste, par comparaison avec les mastodontes du secteur. Comme son homologue Public Sénat, elle n’en a pas moins une mission démocratiquement importante, puisqu’elle a la charge de faire le lien entre les élus de la Nation et la Nation elle-même. Chaîne citoyenne dont le cahier des charges est de décrypter l’actualité politique et parlementaire, elle devrait donc être au-dessus de tout soupçon.
La procédure de nomination du PDG ne donne, certes, pas toutes les garanties qui devraient assurer l’indépendance d’une telle chaîne publique au service des citoyens et des élus. Car si, tous les trois ans, la délégation du bureau de l'Assemblée nationale chargée de la communication et de la presse lance un appel à candidatures qui dure un mois et demi, étudie tous les plans stratégiques déposés alors par les candidats, procède à des auditions publiques et dresse enfin une « short list » composée des deux meilleurs candidats, c’est au bout du compte le président de l’Assemblée nationale qui choisit entre les deux derniers candidats et propose son choix au bureau de l’Assemblée. C’est donc toujours un peu le fait du prince !
Mais enfin ! Cette fois, même ces maigres garanties ont été battues en brèche car Claude Bartolone a fait en sorte que Marie-Ève Malouines soit certaine de remporter la compétition, avant même que celle-ci ne s’engage.
C’est notre confrère de Challenges (son article est ici) qui a révélé le pot-aux-roses – nous avons obtenu confirmation de ses informations – en divulguant le fait que très peu de candidats se sont déclarés candidats au poste de PDG de LCP : « Première surprise : pour la première fois depuis la création de la chaîne en 1999, ces candidats ne sont que… deux, contre cinq à dix lors des éditions précédentes. Seuls se présentent le PDG actuel Gérard Leclerc, nommé en 2009 par le président de l’Assemblée nationale d’alors, l’UMP Bernard Accoyer, et Marie-Ève Malouines. » Et le magazine explique ensuite pourquoi : « Simplement, parce que personne n’a souhaité subir l’humiliation d’un échec dans une désignation jouée d’avance. Claude Bartolone répète en effet en privé depuis des semaines qu’il entend nommer une femme à la tête de La Chaîne parlementaire. » En somme, tout le monde a su que Marie-Ève Malouines serait proposée par le président de l’Assemblée nationale, et cela a asséché les candidatures.
La Société des journalistes (SDJ) de LCP s’en est émue. N’osant pas élever le ton de peur de représailles, elle n’en a pas moins fait comprendre par un communiqué prudent que la procédure avait déraillé. « La SDJ s'inquiète du déroulement de cette procédure, notamment du nombre de candidats : seulement deux, là où trois candidats avaient été auditionnés en 2012 (sans compter deux dossiers non retenus parmi le comité de sélection des candidatures), et quatre en 2009. Comment expliquer qu’il y ait si peu de candidatures ? Pour LCP-AN (…), la confrontation de plusieurs projets et idées nouvelles serait bienvenue pour lui permettre d’évoluer et de se développer encore. Une désignation plus collégiale du PDG de LCP-AN donnerait certainement lieu à une compétition plus ouverte. »
Par le biais de son délégué syndical (SNPCA/CFE-CGC), Fabien Jeanne, le personnel de la chaîne a adressé jeudi une lettre beaucoup plus vive au conseil d’administration de la chaîne : « Au moment où vont s'ouvrir les auditions des candidats à la présidence de LCP, le personnel représenté par son délégué syndical tient à vous faire part de ses inquiétudes concernant le déroulé de la procédure de nomination. Nous n'avons pas à prendre parti pour l'un ou l'autre des candidats et ne remettons pas en cause les compétences professionnelles des candidats. (…) Pour la première fois depuis l’existence de la chaîne il n’y a eu que deux dépôts de candidature, celui du président sortant et un autre. Pour la première fois, il semblerait que le président de l’Assemblée nationale veuille imposer son candidat. De plus un nom de "candidate" a circulé avec insistance dans les médias. Pour la première fois, le déroulé de cette procédure semble biaisé. Nous tenons à rappeler que derrière ces enjeux hautement politiques, il y a aussi 65 personnes, tous services confondus, dont il ne faut pas oublier le travail. Nous travaillons pour cette chaîne et tenons à en défendre les valeurs. Salariés et citoyens, nous souhaitons nous faire entendre et comprendre comment l'avenir de la chaîne de la République qui se doit d’être exemplaire et le nôtre vont être décidés. »
Et la lettre se termine par cette mise en garde : « Nous demandons au conseil d’Administration et à la Délégation du Bureau en charge de la communication de nous assurer que le choix qui sera bientôt fait, le soit seulement sur des critères de compétences télévisuelles et managériales. »
Dans l’entourage de Claude Bartolone, on conteste avoir voulu biaiser la procédure. On admet certes que le président de l’Assemblée a émis le souhait en privé qu’une femme soit présidente de LCP, mais on assure qu’il n’a jamais prononcé le nom de celle qui pourrait être l’heureuse élue. Et l’on veut voir, allez savoir pourquoi, de la misogynie dans tout le tohu-bohu que suscite cette affaire. De son côté, notre consœur Marie-Ève Malouines nous a fait ces observations : « Je respecte la procédure telle qu'elle a été rendue publique : d'abord un dossier écrit (CV, lettre de motivation et projet stratégique avec 4 volets). Je prépare maintenant l'audition qui aura lieu le 13 avril. Je n'ai pas du tout le sentiment d'avoir d'ores et déjà été choisie par Claude Bartolone. Je n'ai personnellement aucune information en ce sens. Tu sais comme moi que les rumeurs sur les supposés favoris sont toujours destinées à les discréditer par crainte de la confrontation de fond. Pour ma part, je considère la candidature de Gérard Leclerc comme très solide mais reposant sur d'autres orientations que moi. »
Quoi qu’il en soit, cette intervention du président de l’Assemblée nationale donne à la procédure une curieuse allure : le 13 avril prochain, la délégation du bureau de l'Assemblée nationale est supposée procéder à l’audition des candidats, mais la séance risque de prendre une tournure un peu surréaliste puisque les dés semblent dès à présent jetés. Et pour Gérard Leclerc, l’histoire risque d’être passablement amère. Malmené sous la droite du temps où il était à France 2, raillé pour cette même raison par Nicolas Sarkozy en ouverture d’une émission alors qu’il ne se savait pas encore sous l’observation des caméras (voir la vidéo ci-dessous), le voilà donc bousculé sous la gauche. Preuve sans doute qu’il n’y a pas d’alternance pour les mauvaises manières…
Cette liberté que prend Claude Bartolone avec l’indépendance de la presse n’est, en fait, pas une première. Dans un tout autre contexte, il a aussi lourdement pesé pour que le quotidien La Provence tombe effectivement entre les mains de son ami Bernard Tapie. Quand, à la fin de 2012, deux offres se sont opposées, d’un côté celle du groupe belge Rossel et de l’autre celle de Philippe Hersant allié à Bernard Tapie, pour prendre le contrôle des quotidiens du sud-est de la France issus du groupe Hersant Média, Claude Bartolone est en effet intervenu de manière très empressée auprès de François Hollande à l’Élysée pour que Bernard Tapie, avec lequel il est très lié depuis de longues années, obtienne gain de cause. Nous en avions obtenu confirmation à l’époque de très nombreuses sources.
Pourquoi Claude Bartolone a-t-il rendu ce service à son vieil ami ? Dans son entourage, on s’offusque de la question, et on refuse d’y répondre, au prétexte que le journaliste qui la pose prépare un article forcément malintentionné. Nous avons eu beau insister, dire que notre seul souci était de vérifier cette information, et qu’il suffisait que l’on nous dise que c’était faux pour que l’on en fasse état… peine perdue ! Dans l’entourage de Claude Bartolone, on n’a voulu nous apporter aucun commentaire à cette autre affaire. Ni même simplement démentir nos informations.
Il faut dire qu’un démenti serait périlleux car même Bernard Tapie – dont la discrétion n’est pas la première qualité – a un jour vendu la mèche, sans que quiconque ne le relève. C’était en novembre 2013, à l’occasion d’un long entretien vidéo avec Le Monde.
Interrogé sur l’opération de rachat des quotidiens, Bernard Tapie a en effet expliqué ce jour-là qu’il ne se serait jamais lancé dans cette aventure s’il y avait eu un veto à son encontre venant de l’Élysée. Il a donc dépêché son « facteur » – c’est le mot qu’il a employé – auprès de François Hollande pour savoir si ce dernier était opposé à son investissement. Réponse : « Mon facteur m’a répondu : il ne s’y intéressait pas. » Et c’est ainsi que Bernard Tapie, mis en examen pour escroquerie en bande organisée, est devenu le propriétaire de La Provence. Grâce à des aides multiples et occultes, dont celle de son petit « facteur »…
Et le petit « facteur » de Bernard Tapie, on l'aura compris, c'est Claude Bartolone, son vieil ami, avec lequel il fête parfois son anniversaire.
D’une histoire à l’autre, il n’y a pas de relation. Sauf qu’à chaque fois, c’est Claude Bartolone qui en est l’acteur principal, et le droit à l’information la première victime…
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