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Pénalités de campagne : les juges placent Sarkozy sous le statut de « témoin assisté »

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Pour cette fois, il a évité la mise en examen. À l’issue de son interrogatoire dans l’affaire dite « des pénalités », Nicolas Sarkozy est ressorti du tribunal de grande instance de Paris avec le statut de « témoin assisté », mercredi 1er avril. À ce stade, les juges chargés d’instruire sur des soupçons d’« abus de confiance », de « complicité » et de « recel », estiment qu’il existe « des indices rendant vraisemblable » que l’ancien chef d’État ait commis une infraction, mais pas d’« indices graves ou concordants ».

À leurs yeux, la démonstration n’est pas faite – ou pas encore – que Nicolas Sarkozy a enfreint le code pénal quand il a fait régler par l’UMP les sanctions financières que le conseil constitutionnel lui avait infligées, après le rejet de son compte de campagne frelaté à l’été 2013.

Nicolas Sarkozy et François FillonNicolas Sarkozy et François Fillon © Reuters

La loi électorale est pourtant intraitable : en cas d’explosion du plafond de dépenses légales, « le candidat est tenu de verser au Trésor public » un montant équivalent au dépassement. La sanction vise bien « le candidat » en personne.

À l’époque, c’est tout de même une somme de 516 000 euros que le parti, gravement endetté, avait gracieusement adressée au Trésor public (dans la foulée d'un « Sarkothon » lancé pour compenser le non-remboursement par l’État de 10,5 millions d’euros de frais de campagne).

Jusqu’à mercredi, la mise en examen de Nicolas Sarkozy pour « recel d’abus de confiance » semblait d’autant plus logique sur le papier, voire inévitable, que les juges avaient d’ores et déjà mis en examen l’ex-trésorière de l’UMP, Catherine Vautrin, pour « abus de confiance », lui reprochant d’avoir signé les chèques en lieu et place de Nicolas Sarkozy. Jean-François Copé avait d’ailleurs subi le même sort en décembre, en tant qu’ancien patron du parti.

Comment comprendre que les indices réunis à l’encontre du potentiel bénéficiaire d’un délit (le receleur) puissent être moins « graves » et moins « concordants » que les indices compromettant ses probables auteurs ? Le secret de l’instruction empêche de répondre à cette question pour l’instant, mais les juges ont pu tenir compte, dans leur raisonnement, du degré de conscience que Vautrin d’un côté, Sarkozy de l’autre, avaient d’enfreindre la loi au moment des faits.

En cas d’éléments nouveaux, les trois magistrats chargés de l’instruction, Renaud Van Ruymbeke, Serge Tournaire et René Grouman, pourront toutefois revoir le statut de Nicolas Sarkozy « à la hausse » – y compris par simple courrier, sans forcément le re-convoquer.

Au-delà de l’approche strictement pénale, il n’est pas impossible, par ailleurs, que les juges aient interrogé mercredi Nicolas Sarkozy sur ses déclarations fiscales. Comme Mediapart l’a déjà raconté, une question simple peut en effet se poser : si l’UMP a réglé 516 000 euros à la place de son ex-candidat en octobre 2013, celui-ci a-t-il signalé l’opération au fisc et déclaré cette faveur en tant que « donation » ? S’est-il acquitté de « droits de mutation » ? Le devait-il ?

D’après nos informations, l’un des avocats de l’UMP, Me Philippe Blanchetier, avait à l’époque estimé que Nicolas Sarkozy pouvait très bien s’en passer, dans une note confidentielle à la fois consacrée au règlement des pénalités et aux « incidences fiscales » pour le principal intéressé.

Pour tenter de clore toute polémique, l’ex-chef de l’État a en tout cas pris soin, en décembre dernier, de rembourser ces 516 000 euros à l’UMP. Si elle a mis fin au préjudice financier, cette « réparation » tardive n’a toutefois pas éteint les poursuites engagées par le parquet de Paris.

Ce « solde de tout compte » n’a d’ailleurs pas été une mince affaire à gérer pour le nouveau trésorier de l’UMP, le sarkozyste Daniel Fasquelle, qui s’est demandé s’il pouvait l’encaisser en toute légalité. D’après nos informations, il aurait sollicité l’expertise d’un professeur de droit de ses amis, en même temps qu’il réclamait à Nicolas Sarkozy un courrier précisant la nature exacte de ce « remboursement » – on n’est jamais trop prudent. Une personne physique, faut-il le rappeler, n’a pas le droit de donner plus de 7 500 euros par an à un parti politique… Une véritable quadrature du cercle juridique !

Bien d’autres questions, d’ordre non pénal, restent en suspens dans cette affaire, qu’il s’agisse du rôle joué par François Fillon pour encourager la « judiciarisation » du dossier, ou bien de l’attitude ambiguë des ex-commissaires aux comptes de l’UMP.

Reconstituée par les juges, la chronologie des événements montre bien que l’entourage de François Fillon, propulsé co-président du parti en juin 2014 à la faveur de l’affaire Bygmalion (alors que Jean-François Copé explosait en plein vol), a saisi à la fois la potentielle gravité des faits et l’avantage politique qu’il pouvait en tirer.

Ainsi Catherine Vautrin, interrogée par les juges, a-t-elle confié en décembre dernier : « J’ai la très désagréable impression d’être au milieu d’un règlement de comptes politique » (comme l’a rapporté Le Monde). À l’en croire, quand elle a signé les fameux chèques à l’ordre du Trésor public en octobre 2013, l’ancienne trésorière disposait de la fameuse note de Me Blanchetier évacuant tout risque d’« abus de confiance », sorte de « blanc-seing juridique » (l’avocat se retrouve « témoin assisté » dans la procédure, suspecté d’avoir produit une « note de pure complaisance »).

Ce n'est qu'en juin 2014 que l’affaire a pris corps (le 20 précisément), lors d’une réunion des représentants de la nouvelle direction (Fillon, Raffarin, Juppé). La question a alors été remise sur la table : l’UMP n’est-elle pas allée trop vite en besogne ?

Quatre jours plus tard, François Fillon déjeunait à proximité de l’Élysée avec le secrétaire général de François Hollande, Jean-Pierre Jouyet. À en croire ce dernier (enregistré par deux journalistes du Monde), le député de la Sarthe aurait agité ce dossier embarrassant pour Nicolas Sarkozy et suggéré à son interlocuteur de « taper vite » – des propos vigoureusement contestés par François Fillon. Bien entendu, Jean-Pierre Jouyet assure n’en avoir rien fait.

Le lendemain, en tout cas, un avocat proche de l’ancien premier ministre, Me François Sureau, fournissait à la nouvelle direction du parti, en un temps record, une analyse diamétralement opposée à celle de Me Blanchetier, qui se concluait en ces termes : « [Il existe] des indices graves et concordants qu’un abus de confiance a été commis. »

Le 28 mars, les commissaires aux comptes du parti, qui ont l’obligation de signaler toute infraction repérée au fil de leur mission, écrivaient au procureur de Paris pour révéler de possibles « faits délictueux ». Un réveil bien tardif. Le même jour, les mêmes ont certifié les comptes 2013 de l’UMP, déposés dans la foulée à la Commission nationale des financements politiques, sans émettre la moindre réserve.

À l’issue de leur instruction, les juges devront dire si ces experts ont agi conformément à leurs obligations déontologiques et légales, ou navigué au gré de pressions politiques. A minima, cette affaire des « pénalités » aura permis de questionner le sérieux ou la complaisance avec lesquels cette profession, seule en charge du contrôle des comptes des partis en France, exécute sa mission.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les gardiens du nouveau monde


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