Les ennuis judiciaires de Nicolas Sarkozy ? Un non-sujet. Sa mise en examen pour “corruption active”, “trafic d'influence” et “recel de violation du secret professionnel” dans l’affaire “Paul Bismuth” ? Un acharnement. Son placement, ce mercredi 1er avril, sous le statut de témoin assisté dans celle des pénalités ? La preuve qu’il n’y est pour rien. Ses convocations à répétition devant les juges ? La routine. Sa garde rapprochée cernée de toutes parts ? De pures sornettes. Le calendrier judiciaire qui rythme le calendrier politique de l’UMP ? Une fatalité.
Rue de Vaugirard, au siège du parti, chaque question concernant les affaires qui cernent le patron de l'opposition a ses réponses toutes faites. Et qu’importe si ces dernières n’éclairent en rien le fond des dossiers, si elles ne soulèvent jamais le problème que pose le retour de l’ex-chef de l’État à la tête de l'UMP et si elles confinent bien souvent à la mauvaise foi. Elles remplissent leur rôle, celui de balayer un sujet fort encombrant, tout en faisant de Nicolas Sarkozy un martyr, victime d’un hypothétique complot politico-judiciaire.
Depuis le temps que l'ancien président et son entourage ont maille à partir avec la justice, les arguments sont rodés. On pourrait s’étonner que ses adversaires en interne ne s’emparent pas davantage des affaires pour en faire une arme en vue de la primaire de 2016. Qu’ils ne se soient pas inquiétés outre mesure lorsqu’ils l’ont entendu expliquer, durant la campagne pour la présidence de l’UMP, que lesdites affaires avaient « beaucoup renforcé [sa] détermination » et motivé son retour en politique. Ce serait oublier que les rares figures à s’être aventurées sur ce terrain s’y sont rapidement embourbées.
Ce fut notamment le cas de François Fillon à qui les attaques répétées contre le patron de l’opposition ont valu d’être qualifié de « pire des traîtres ». Car le noyau dur de l’UMP reste farouchement sarkozyste. Et il ne supporte pas qu’on s’en prenne à son champion. L’ancien premier ministre l’a bien compris, lui qui a cessé de critiquer ouvertement Nicolas Sarkozy, tout en continuant à croiser les doigts pour que les affaires empêchent ce dernier de franchir à nouveau le seuil de l’Élysée en 2017. Alain Juppé, qui avait lui-même été condamné en 2004 dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, sait que les ennuis judiciaires signent rarement la « mort politique » des élus incriminés. Il préfère donc ne même pas y penser.
Pourtant, le nombre de procédures dans lesquelles apparaît le nom de Sarkozy est tel, que la tentation de les utiliser supplante parfois le bon sens politique. C’est ce qui ressort de l’histoire du déjeuner que Fillon avait partagé avec Jean-Pierre Jouyet en juin 2014, et durant lequel il aurait demandé au secrétaire général de l’Élysée d’accélérer les enquêtes visant l’ex-chef de l’État. Après les révélations du Monde, s'ensuivirent moult démentis, plusieurs plaintes pour “diffamation” et la publication, par Mediapart, du verbatim de la conversation balbutiante entre Jouyet et les deux journalistes à l’origine de l’affaire. En attendant le procès qui se tiendra le 28 mai, l’histoire s’est quelque peu tarie et n'a eu pour seul effet que d'offrir au patron de l'UMP une nouvelle occasion de ressortir la bonne vieille antienne du complot.
C’est un des arguments préférés des sarkozystes quand ils n'ont plus grand-chose à dire. Si les affaires se multiplient autour de leur héros, ce n’est pas parce qu’il a quelque chose à se reprocher, bien sûr que non, c’est simplement parce que tout le monde veut sa peau : les politiques, de gauche comme de droite, les journalistes, mais aussi les juges. Les attaques répétées contre la magistrature sont devenues monnaie courante à l’UMP, comme dans l’intelligentsia de droite.
En témoignent les sorties récurrentes d’Henri Guaino sur le sujet. Après la mise en examen de son « ami » dans l'affaire Bettencourt, l’ex-conseiller spécial de Nicolas Sarkozy s’en était pris directement au juge Gentil, estimant qu’il avait « déshonoré la justice » et « sali la France en direct et devant le monde entier ». Des propos qui lui avaient valu d’être poursuivi pour “outrage à magistrat” et “discrédit jeté sur une décision de justice”, avant d’être finalement relaxé.
En février dernier, lorsque nous l'interrogions sur l’imminence d’une nouvelle convocation de l’ex-chef de l’État devant les juges dans l'affaire des pénalités, Guaino pestait encore. « Les juges se permettent n’importe quoi », s'est-il agacé face à Mediapart, en dénonçant « les dérives de l’institution judiciaire », mais aussi celles des journalistes qui « sortent des affaires tous les jours sans faire de distinction » quant à la nature de leur importance. « Quand on pourrit tout, il ne faut pas s’étonner que tout soit pourri », a-t-il fini par trancher. Il aura suffi que le Syndicat de la magistrature (SM) épingle un portrait de l'ancien président sur son “mur des cons” pour parfaire la démonstration de cet avocat bénévole.
Nicolas Sarkozy n'est pas le dernier à jouer les martyrs, façon Berlusconi. Le 2 juillet 2014, au lendemain de sa garde à vue dans le cadre de l’affaire “Paul Bismuth”, l’ex-chef de l’État en personne s’offrait une tribune sur TF1 et Europe 1 pour expliquer combien il s’était senti « humilié » par les « deux dames » qui l’avaient convoqué en pleine nuit pour lui notifier sa mise en examen. « Monsieur Cahuzac, le ministre du budget de monsieur Hollande, qui était en charge de la lutte contre la fraude fiscale et à qui on a découvert un compte en Suisse, n’a pas fait une seconde de garde à vue », avait-il plaidé, usant d’une autre rhétorique chère à cette droite qui ne manque jamais de pointer les problèmes du camp adverse lorsqu’on la place devant ses propres turpitudes.
Quelques mois plus tard, en pleine campagne pour la présidence de l’UMP, l'ancien président profitait encore d’un meeting à Vélizy-Villacoublay (Yvelines) pour ironiser sur les procédures judiciaires qui le visent. « Vous savez, j'ai consacré 35 ans de ma vie à la politique, j'ai été maire de Neuilly, président du conseil général, et je me dis quand même “la politique c'est quand même autre chose que ça, cela ne peut pas être que la boue tout le temps”, se plaignait-il au sujet de l’affaire Bettencourt. En pleine campagne présidentielle, voilà qu'on explique à tous les Français que j'aurais abusé d'une vieille dame. 22 heures d'interrogatoires et de confrontations, 4 perquisitions, je suis successivement sur les mêmes faits témoin assisté, mis en examen et non-lieu, en sept mois. Y a peut-être eu une erreur à un moment ? »
Il y a une erreur, en effet. Elle est principalement due à la lecture pour le moins partielle que font les sarkozystes de la décision prise par les juges d’instruction dans cette affaire. Le délit de “financement illégal de campagne électoral” étant prescrit, l’ex-chef de l’État avait été poursuivi pour “abus de faiblesse”. Les juges lui ont certes accordé un non-lieu pour insuffisance de charges, mais ils ont également signé des conclusions au vitriol. « Le comportement incriminé de Nicolas Sarkozy, à savoir sa demande d’un soutien financier occulte, nécessairement en espèces, formulée à Liliane Bettencourt, personne âgée et vulnérable, alors qu’il exerce les fonctions de ministre de l’intérieur, et qu’il est candidat déclaré à l’élection présidentielle, est un comportement manifestement abusif », ont-ils notamment écrit dans leur ordonnance.
Vérité de faits ou non, le matraquage des éléments de langage étant ce qu’il est, l’opinion publique n’aura retenu qu’une chose : dans l’affaire Bettencourt, Nicolas Sarkozy a été innocenté. Mieux encore, son ex-trésorier pour la campagne présidentielle 2007, Éric Woerth, jugé en février dernier à Bordeaux pour “recel” dans le cadre de la même affaire, semble bien parti pour être relaxé. Le travail de sape collectif entrepris depuis des mois pour affaiblir le témoignage de l’ancienne comptable Claire Thibout aura porté ses fruits. Le volet politique de l’affaire s’est réduit comme peau de chagrin, jusqu’à finir par disparaître comme par enchantement, offrant un boulevard aux sarkozystes qui ont pu une nouvelle fois s’engouffrer dans la brèche légendaire des affaires qui font pschitt.
À peine Nicolas Sarkozy est-il ressorti, ce mercredi 1er avril, du tribunal de grande instance de Paris avec le statut de “témoin assisté”, que la machine à dégonfler les affaires s'est remise en marche sur les réseaux sociaux. En fanfaronnant parce que leur champion a – pour l'heure – échappé à une deuxième mise en examen, ses défenseurs se sont évidemment bien gardés de rappeler que ce statut signifie qu’il existe « des indices rendant vraisemblable » que l’ex-chef de l’État ait commis une infraction, mais pas d’« indices graves ou concordants ».
Comme le voulait l'évidence @NicolasSarkozy n'a pas été mis en examen car il n'y a rien à lui reprocher— Sébastien Huyghe ن (@SebastienHuyghe) 1 Avril 2015
Entendu après une écrasante victoire électorale @NicolasSarkozy est placé sous le statut de témoin assisté : la montagne accouche d'1 souris— Valérie Debord ن (@DebordValerie) 1 Avril 2015
Une nouvelle affaire qui fait pschitt contre @NicolasSarkozy #acharnement politique— Eric Ciotti ن (@ECiotti) 1 Avril 2015
Brandir la carte du complot ou celle des affaires sans fondement fait toujours mouche auprès des militants UMP qui continuent de soutenir aveuglément l'ancien président. On pourrait imaginer que les choses se compliquent, une fois dépassé le cercle des quelque 200 000 adhérents du parti de la rue de Vaugirard. Mais c’est compter sans une autre vérité jusqu’alors peu démentie : les ennuis judiciaires que connaissent les politiques influencent rarement leurs électeurs.
Patrick Balkany, autre grand « ami » de Nicolas Sarkozy, en est la preuve vivante. Condamné à plusieurs reprises au cours des vingt dernières années, de nouveau mis en examen en février pour “blanchiment de fraude fiscale”, “corruption” et “blanchiment de corruption”, le député et maire UMP de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) a été reconduit pour un cinquième mandat en mars 2014, et ce, dès le premier tour.
On le sait, la politique, la communication, l’information et la justice progressent à des rythmes différents. Ce mélange des calendriers brouille le message et permet à Nicolas Sarkozy de s’en sortir en tordant les faits et le temps à son avantage. D'autant qu'aux effets de manches réalisés devant les caméras, s'ajoute une offensive plus discrète, organisée par ses avocats sur le terrain judiciaire. Le patron de l’opposition peut plaisanter, jouer les martyrs et feindre le détachement, les efforts qu’il multiplie pour faire place nette d’ici 2017 en disent long sur l'importance qu'il accorde aux affaires.
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