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Contrôle des comptes de campagne : Mediapart remporte la bataille de la transparence

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C’est une victoire historique. Après trois années de batailles, Mediapart vient d'obtenir devant le conseil d’État que le contrôle des comptes de campagne électorale se fasse désormais à ciel ouvert, dans la transparence. Un an après l'affaire Bygmalion, qui a démontré l'existence de failles béantes dans le dispositif français, il était temps.

La Commission nationale des financements politiques (Cnccfp) aura guerroyé jusqu’au bout pour tenter de sauver, recours après recours, le secret qui règne sur ses opérations de vérification. La plus haute juridiction du pays l'oblige aujourd'hui à ouvrir ses portes et ses tiroirs.

L'arrêt rendu vendredi 27 mars par le conseil d’État autorise non seulement Mediapart à consulter une série de pièces relatives à l'instruction menée en 2007 sur le compte de Nicolas Sarkozy (réclamées depuis 2012), mais il fait œuvre de jurisprudence. Il impose la transparence sur le contrôle de tous les candidats et de toutes les élections, passées comme à venir – à l'exception des présidentielles antérieures à 2007. De François Hollande à Marine Le Pen, en passant par François Bayrou et Philippe Poutou, personne n'y coupera.

Nicolas Sarkozy en meeting à Marseille en 2007Nicolas Sarkozy en meeting à Marseille en 2007 © Reuters

Sollicité par Mediapart, le président de la Cnccfp, François Logerot, a fait savoir qu'il ne commentait pas les décisions du conseil d’État. Mais dans ses bureaux de la rue du Louvre, à Paris, l'ambiance est maussade.

Jusqu’ici, pour faire respecter les règles de financement des campagnes (plafonnement des dépenses, interdiction des dons d'entreprises, etc.), les « vérificateurs » de la Cnccfp opéraient derrière leurs portes closes au fil d'échanges confidentiels avec les candidats, dans une sorte de mano a mano, sans que l'égalité des armes soit toujours assurée. Depuis sa création en 1990, la Cnccfp est en effet sous-dotée en moyens juridiques, humains et financiers.

Histoire d’assurer un minimum de surveillance citoyenne, la loi électorale autorisait explicitement la consultation de deux catégories de documents : les comptes déposés par les candidats eux-mêmes (des piles de factures, de fiches de salaire, etc.) ; et les décisions rendues à huis clos par les neuf membres de la commission, après l'examen du compte par des « rapporteurs » (rejet, validation, etc.). Entre les deux, mystère. Les journalistes, les adversaires défaits ou les simples curieux n'avaient aucun droit de regard sur la phase d'instruction elle-même, longue de plusieurs mois.

Concrètement, la Cnccfp a toujours refusé de communiquer la liste des questions adressées aux candidats, de même que les réponses et justificatifs renvoyés par les trésoriers. Quant aux conclusions provisoires des rapporteurs, elles ont toujours été conservées sous clef. Au nom de quoi ? Pourquoi soustraire ces documents à la curiosité des citoyens ?

Convaincu que les Français ont le droit de demander des comptes à la commission, Mediapart a décidé, dès le printemps 2012, de mener cette bataille de la transparence, en partant d'un cas d'espèce, et jusque devant les tribunaux si nécessaire. Les Français ont bien le droit de vérifier si les rapporteurs de la Cnccfp procèdent avec opiniâtreté ou se contentent du « minimum syndical », s'ils ont les moyens de leur mission ou sont condamnés à bricoler dans leur coin. Se poser la question, ce n'est pas faire injure a priori à leurs compétences, ni à leur honnêteté.

Nous avons ainsi réclamé l'accès à l'instruction menée sur le compte de Nicolas Sarkozy en 2007 (en clair, aux courriers échangés entre son trésorier et les rapporteurs de la Cnccfp). Pourquoi lui ? Parce que nous avions découvert un projet de financement occulte de sa campagne par le régime de Mouammar Kadhafi, susceptible de remettre en cause la sincérité de son compte, validé sans retouches (ou presque) par la Cnccfp.

Il s'agissait de regarder, entre autres, si les rapporteurs avaient émis quelques doutes à l'époque ; s'ils les avaient rapidement levés, ou bien enterrés ; si les membres de la commission les avaient ignorés, etc. Rien ne l'indique à ce stade, mais encore faut-il vérifier.

Pour appuyer notre demande officielle à la Cnccfp, nous nous sommes fondés sur la loi de 1978 qui consacre le droit d'accès aux documents administratifs, inspirée de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration »). Ce texte méconnu et sous-exploité autorise en effet les Français à consulter n'importe quelle pièce produite par une entité administrative (une mairie ou un ministère par exemple), à quelques exceptions près qui visent à protéger la vie privée, le secret de l'instruction judiciaire, etc. Bien que la commission soit une autorité administrative, elle s’y est refusée tout net.

Avec obstination, elle a contesté notre analyse au nom des exceptions prévues par la loi de 1978, s'arc-boutant sur la confidentialité de ses travaux et le « secret des délibérations », épuisant tous les recours possibles. La confidentialité de l'instruction serait « essentielle pour que le rapporteur puisse agir en toute indépendance et liberté intellectuelles », a plaidé le président de la Cnccfp, dans ses observations écrites.

En plus, « la commission (…) ne retient pas nécessairement tous les griefs des rapporteurs », a-t-il confié. Dans un tel cas, la divulgation d’un « soupçon initialement développé par le rapporteur (…) porterait préjudice au candidat » !

Dès juin 2012, pourtant, la commission indépendante chargée de faire respecter la loi de 1978 (Cada) rendait un avis favorable à Mediapart, que la Cnccfp a choisi d'ignorer. Nous avons donc saisi la justice. Puis deux ans plus tard, alors que le tribunal administratif de Paris nous donnait raison et enjoignait à la Cnccfp de nous transmettre les documents demandés, la commission a saisi le conseil d’État pour éviter de s'exécuter.

Enfin, ce vendredi 27 mars, la plus haute juridiction administrative du pays réunie en assemblée générale (sa formation la plus prestigieuse) a donné tort à la Cnccfp sur toute la ligne, et condamné l’État à nous verser 3 500 euros de dédommagement. À compter de cet arrêt, la Cnccfp dispose désormais d’un petit mois pour nous communiquer les pièces réclamées.

Au passage, le conseil d’État a simplement précisé que certains documents, en particulier la liste des donateurs de sommes supérieures à 3 000 euros, devront être anonymisés, afin de ne pas « porter atteinte à la protection de la vie privée ».

En réaction, l'ancien avocat de Nicolas Sarkozy, Me Philippe Blanchetier, s'efforce aujourd'hui d'afficher une parfaite sérénité. Les pièces de l'instruction, dès qu'elles seront dévoilées, démontreront que « la commission a bien fait son job en 2007 », assure-t-il à Mediapart. « Et qu'elle n'a pas pas été avare en tracasseries ! » À l'entendre, il n'y aurait rien de compromettant pour personne, dans ces piles de documents.

Avant l'audience, l'ancien trésorier de campagne, Éric Woerth, s'était montré bien moins détaché. « La demande de Mediapart a un but précis, avait-il écrit au conseil d’État. Quel que soit le contenu (même anodin) des documents transmis, il est simplement de porter préjudice aux personnes concernées »... L'ancien trésorier de l'UMP, visiblement, n'a pas compris notre démarche.

En réalité, la guérilla juridique menée pendant trois ans par Mediapart (d'abord conseillé par Mes Ivan Terel et Sébastien Mabile du cabinet Lysias, puis défendu par Me Alain Monod devant le conseil d’État) n'a qu'un seul objectif : faire progresser le « droit de savoir », pour reprendre une expression d'Edwy Plenel et le titre d'un de ses derniers ouvrages« La publicité de la vie politique est la sauvegarde du peuple », énonçait dès 1789 le président du tiers état.

Deux siècles plus tard, cette culture de la publicité et de la transparence infuse toujours aussi mal en France, méprisée par trop d'administrations, négligée par les citoyens. Ainsi la loi de 1978 n'a-t-elle été imposée qu'au forceps par les parlementaires, contre un pouvoir exécutif réticent. De ce point de vue, les États-Unis nous donnent des leçons depuis 1966 avec leur Freedom of information act, qui a renversé les mentalités : c'est à l'administration de motiver son refus de communiquer des documents, et certainement pas aux citoyens de justifier leurs demandes.

En l'occurrence, alors que les scandales relatifs aux financements politiques se multiplient (Bygmalion, prêts russes du FN, emprunt caché de l'UMP…), la Cnccfp a tout à gagner à faire la transparence sur son travail. Car l'opacité nourrit la suspicion et les pires fantasmes. En laissant voir son travail, la commission renforcera sa crédibilité et sa légitimité – à condition que son travail soit bien à la hauteur de la mission qui lui est confiée.

Dans le cas contraire, il est urgent d'exposer tout cela sur la place publique. Non pour alimenter la défiance des Français à l'égard des institutions, mais pour forcer le législateur à voter – enfin – un renforcement du contrôle des financements politiques.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les gardiens du nouveau monde


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