Ni oui, ni non : peut-être. Le procureur de la République de Nantes a fait savoir, le 16 mars, qu’il ne ferait pas droit à la demande de l’une des héritières de l’ancien président du Gabon Omar Bongo, qui demandait aux services de l’état civil français la communication de l’acte de naissance de son frère Ali, actuel chef de l’État gabonais. Comme Mediapart l’a raconté la semaine dernière, l’un des 53 héritiers d’Omar Bongo, Onaida Maisha Bongo Ondimba, avait saisi début janvier la justice française de l’affaire des origines d’Ali Bongo, un dossier très sensible au Gabon.
La filiation d’Ali Bongo agite le pays depuis l’arrivée de celui-ci au pouvoir en 2009. L’opposition le soupçonne en effet d’avoir triché sur ses origines : né officiellement le 9 février 1959 à Brazzaville, alors sous gouvernorat français, Ali Bongo serait en réalité né au Biafra avant d’avoir été adopté à la fin des années 1960 par Omar Bongo – donc non gabonais.
Ali Bongo est-il le fils naturel d’Omar ? Au-delà des relents xénophobes que cette question peut parfois susciter, la polémique soulève de vraies interrogations politiques, susceptibles de remettre en cause l’élection présidentielle de 2009 et de compliquer celle de 2016. La Constitution gabonaise stipule que « toute personne ayant acquis la nationalité gabonaise ne peut se présenter comme candidat à la présidence de la République ».
La réalité de la filiation peut également perturber l’héritage d’Omar Bongo, une mine d’or dont les dessous révélés par Mediapart ont dévoilé un système de prédation de toute l’économie d’un pays d’une rare ampleur. Or, Ali est l’un des deux légataires universels d’Omar Bongo. Financièrement, si Ali n’est pas le fils naturel de son père et n’est pas en mesure de produire un certificat d’adoption, alors il pourra difficilement revendiquer une part de l’héritage Bongo. Politiquement, il ne pourra pas se présenter à la présidentielle de 2016. L’enjeu est donc considérable.
Dans sa réponse adressée par courrier le 16 mars à l’avocat parisien Me Éric Moutet, qui l’avait saisi, le procureur de la République de Nantes préfère botter en touche : « Je regrette de ne pouvoir donner suite à votre demande de copie de l’acte de naissance de Monsieur Ali Bongo Ondimba ou Alain Bernard Bongo, né le 10 février 1959 à Brazzaville. » Il ajoute : « Le cas échéant, sur mandat exprès des personnes autorisées par la loi, ou des autres légataires universels, le notaire chargé de la succession pourra obtenir délivrance de cet acte. »
Me Moutet avait saisi la juridiction nantaise parce que c’est à Nantes (Loire-Atlantique) que sont conservés les registres de l’état civil pour la France et ses anciennes colonies. Le raisonnement qui a présidé à cette démarche est simple : si Ali Bongo est né, comme il l’affirme, en 1959 à Brazzaville (Congo), alors les archives de l’état civil doivent logiquement contenir le document. Pour cause, en 1959, Brazzaville était sous administration de l’Afrique équatoriale française (AEF).
L’avocat parisien se dit « très surpris » par la réponse ambiguë de la justice. « Le parquet de Nantes refuse de nous communiquer la pièce, alors que nous démontrons largement notre intérêt à l'obtenir, et nous renvoie vers le notaire de la succession, qui est le même que celui qui ne répond à aucune de nos demandes. En gros, le parquet ne souhaite pas être l'auteur de cette communication », précise-t-il.
Relevant les sous-entendus qui figurent dans le courrier du parquet de Nantes, Me Moutet précise : « Il est également intéressant de noter que le parquet semble confirmer l'existence d'un acte, bien qu'il en refuse la communication en l'état. » Le mystère ne cesse donc de s'épaissir : un courrier du 4 novembre 2014 du service central d'état civil de Nantes, dont Mediapart a pu prendre connaissance, indiquait pourtant que « l'acte de naissance d'Ali Bongo (...) ne figure pas dans les registres du service ». Il n'est cependant pas possible, à ce jour, de savoir si des recherches exhaustives avaient été faites à l'époque.
Quoi qu'il en soit, le défenseur de l’héritière a d’ores et déjà fait savoir qu’il allait saisir le juge des référés pour tenter d’obtenir communication de l’acte de naissance d’Ali Bongo.
Certains héritiers d’Omar Bongo, comme de nombreux Gabonais, nourrissent des doutes sur la sincérité des déclarations d’Ali Bongo concernant sa naissance. Au moment de la parution l'an dernier de Nouvelles Affaires africaines de Pierre Péan, qui développait la thèse d’une adoption, la présidence gabonaise avait fait fuiter dans Le Monde un acte de naissance de la mairie de Brazzaville, qu’elle affirmait avoir découvert il y a peu, mais sur lequel pèsent aujourd’hui de très sérieux soupçons.
Et les informations qui ressortent à ce jour des documents de la succession d’Omar Bongo n’aident pas à trancher la question. Selon l’acte de “notoriété” du 25 juin 2010, qui établit la liste des héritiers, Ali Bongo est le seul légataire universel à ne pas avoir fourni un acte de naissance en bonne et due forme. Et le fameux acte de naissance de la mairie de Brazzaville n’a pas été annexé dans la succession en tant que tel par l’intéressé.
L’une des figures de la société civile gabonaise, le prêtre Bruno Ondo Mintsa, a posé, dimanche 22 mars, sur le plateau de MediapartLive, les enjeux de cette affaire en ces termes : « Le Gabonais que je suis a besoin de savoir par qui il est dirigé. Or, il se trouve que c’est un problème constitutionnel, c’est-à-dire la loi fondamentale. S’il est avéré que l’acte de naissance produit par Ali Bongo est faux, cela veut dire que son élection est invalide […] C’est le père Bongo qui a mis cette disposition dans la Constitution. Qu’ils en assument les conséquences ! On ne peut pas inviter aujourd’hui à un État de droit si le droit fondamental devient un chiffon. »
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