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Dans l'Aisne et l'Oise, le FN fait trébucher les barons PS

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Aisne, Oise, de notre envoyé spécial.- Deux départements jusqu'ici dirigés par le PS, et deux départements qui pourraient basculer dimanche prochain. Dans l'Oise et dans l'Aisne, le résultat du premier tour des élections départementales a été sévère pour le parti au pouvoir. Dans les deux cas, les présidents – socialistes – des conseils généraux se sont fait distancer par le FN et la droite. Dans un cas le sortant PS renonce, dans l'autre il se maintient. Le FN, lui, caracole.

Rien de neuf en Picardie disent ceux qui ont encore en mémoire le pacte de l'UDF Charles Baur et de Jean-François Mancel (RPR) avec le Front national pour diriger le conseil régional de Picardie en 1998. Pendant six ans, les conseillers régionaux Front national impriment leur marque, restée depuis indélébile. Que ce soit en 2004, ou en 2010, les scores du Front national ont été constants, 20 % à chaque élection et une dizaine de conseillers régionaux qui siègent dans l'assemblée et paralysent de temps à autre les délibérations. Mais depuis l'élection de Marine Le Pen à la présidence du FN en 2011, la progression a été fulgurante. La carte ci-dessous – dont le fond change automatiquement – montre l'évolution des scores du Front national entre les régionales de 2010, la présidentielle en 2012 et les européennes de 2014. L'Aisne (40,5 %) et l'Oise (38 %) faisaient déjà partie des départements où l'extrême droite était seule en tête. Seules quelques poches de résistance au sud de l'Oise parvenaient à contenir la poussée frontiste.

© Liegey Muller Pons

Situés entre l'Île-de-France au sud, la Champagne-Ardenne à l'est et le Nord-Pas-de-Calais, les deux départements de l'Aisne et de l'Oise (avec la Somme ils forment la Picardie) sont souvent mis sur le même plan électoral. Les territoires sont pourtant relativement différents. L'Oise, poussée par le dynamisme de la métropole parisienne, est la locomotive de la région, quand l'Aisne figure parmi les départements qui ont le taux de chômage le plus élevé de France (14 %). D'un côté, Beauvais et son aéroport pour vols low-cost. De l'autre, Laon et ses 30 000 habitants, loin des grandes métropoles.   

Borne séparant l'Oise de l'Aisne le long de la D973Borne séparant l'Oise de l'Aisne le long de la D973 © Yannick Sanchez

« C'est déjà un choc que le président du conseil général sortant soit battu dans son canton (...) mais le plus gros choc est de voir entrer un élu du FN pour la première fois. » Abasourdi, l'ancien président pendant 17 ans du conseil général de l'Aisne, Yves Daudigny (PS) n'en revient pas d'être devancé par le FN et la droite unie dans son canton de Marle. Dans la dernière ligne droite de sa campagne, avant le premier tour, ce dernier se disait « serein ». Qualifié pour une triangulaire perdue d'avance, il a annoncé son désistement dans la foulée. Avec plus de 38 % des voix dans le département, le parti de Marine Le Pen est le grand vainqueur de ce premier tour dans l'Aisne, et compte déjà, à Vic-sur-Aisne, un binôme frontiste élu au premier tour. Le parti a toujours pour objectif de ravir le département à la gauche.

Si les scores du FN sont spectaculaires, l'hypothèse d'un basculement du département semble pour le moins hasardeuse. L'extrême droite est en tête dans 16 cantons sur 21 et remporte d'emblée les deux sièges de Vic-sur-Aisne. Malgré tout, les trois blocs que forment la droite unie, la gauche unie et le FN sont à peu près équilibrés. Le parti de Marine Le Pen atteint entre 39 et 45 % des voix dans sept cantons qu'il peut raisonnablement espérer emporter dimanche prochain. Le PS a des chances de gagner à peu près autant de cantons si l'on se base sur des reports de voix légèrement en faveur des « partis républicains ». Pour la droite unie, c'est plus incertain : entre 4 et 6 cantons dans la fourchette haute.

On dénombre pas moins de cinq triangulaires dans le département, soit autant d'arbitrages entre le désistement d'un des partis pour barrer la route à l'extrême droite, ou le maintien et le risque que le FN empoche la mise. Le PS a déjà proposé à l'UMP de se retirer dans le Vaucluse, un autre département où le FN a de fortes chances de l'emporter, contre son propre retrait dans l'Aisne.  

C'est à Villers-Cotterêts, ville de 10 000 habitants dans le sud de l'Aisne, que le FN a réussi à prendre attache aux dernières municipales. L'ancien sergent des forces spéciales parachutistes, Franck Briffaut, a pris les commandes de la mairie en 2014 avec l'objectif d'inscrire le Front national durablement dans le territoire. En obtenant plus de 44 % des voix dès le premier tour des départementales, son ambition n'est pour le moment pas contredite. « Les Cotteréziens vont voter avec l'idée d'une deuxième municipale », analysait quelques jours avant le scrutin l'ancienne députée (UMP) Isabelle Vasseur, arrivée deuxième dans ce canton avec 23,60 % des voix.  

Un an après la municipale, il est vrai que la plupart des gens ne regrettent rien. « C'est un homme sérieux, il ne boit pas », peut-on entendre dans un restaurant de l'entrée de la ville. « Peu de choses ont réellement changé mais il y a moins de nuisances », ajoute un des tenanciers. Même son de cloche entre les étals du marché du jeudi matin : « On voit plus souvent la police faire des rondes, ils tournent la nuit plutôt que d'aligner les PV de stationnement », raconte une maraîchère. Si tout le monde se défend d'être « facho », plusieurs font état de la nécessité de ne « plus laisser leur ville ouverte à n'importe qui ». La fausse rumeur selon laquelle le maire précédent aurait fait venir des populations du 9-3 continue de circuler. 

Centre de Villers-CotterêtsCentre de Villers-Cotterêts © Yannick Sanchez

 

En face du FN, de l'UMP et d'une troisième candidature de l'UDI, seul un binôme d'alliance Front de gauche-EELV représentait la gauche. La raison officielle de la désertion du PS dans ce canton viendrait de la déconfiture du parti aux municipales. En réalité, l'alliance du parti socialiste avec l'UDI est un secret de polichinelle. En pariant sur leur propre défaite, les socialistes ont préféré laisser l'UDI prendre un revers au premier tour pour tenter de barrer la route du FN au second. Mais même en additionnant les voix de l'UMP (23,02 %) et de l'UDI (17,43 %), le FN reste en tête...

Quelques jours avant le scrutin, chacun y allait de son analyse sur le vote FN en évitant de prendre sa part de responsabilité« On ne fait que parler du Front national mais c'est de la prophétie autoréalisatrice, vitupérait Christiane Dufour (Front de gauche), il est utile au pouvoir ce brave FN. » Pour Isabelle Vasseur (UMP), « la désindustrialisation qui fait que des gens qui ont travaillé toute leur vie n'ont pas assez pour vivre avec leur retraite rime avec le vote frontiste ». « Cela concerne toutes les catégories socioprofessionnelles, tous les âges, déclarait le conseiller général sortant (PS), Yves Daudigny. On craint une sorte de mode Marine Le Pen, presque générationnelle. Et le problème, c'est que l'on a du mal à démonter ce vote », finissait-il par admettre. 

À la lumière des résultats du premier tour, Joël Gombin, docteur en sciences politiques de l'université de Picardie Jules-Verne, nuance cependant la progression du Front national. « En réalité, le FN perd quelques points dans la plupart des cantons par rapport aux européennes, c'est plutôt une forme de stabilisation des derniers résultats. Les seuls cantons où le FN progresse de manière significative en Picardie (hormis Villers-Cotterêts qui progresse grâce à l’implantation de Franck Briffaut), c’est Senlis, Compiègne 2, Chantilly, et des cantons amiénois. Donc soit des cantons très aisés du sud de l’Oise, très bourgeois, soit des cantons très urbains amiénois. »

Quant aux raisons d'un tel engouement pour le Front national dans l'Aisne, Joël Gombin explique que « les scores sont plus élevés dans ce département parce qu'il cumule les handicaps sociaux (niveau de diplôme le plus faible, taux de pauvreté et taux de chômage les plus élevés de France) et qu'on y retrouve ce qu'il y a de plus proche à la sociologie électorale du FN ». Selon ce dernier, davantage que les scores élevés du Front national, les résultats du département se traduisent par la fin d'un système de baronnies locales. « On a toute une génération de patrons politiques ruraux qui ont été balayés dans ce département sous l'effet d'une désespérance politique. » 

© Liegey Muller Pons

« L'Aisne dans les médias, c'est Germinal ou Victor Hugo. » Dans une des dernières réunions de campagne du président du conseil général et sénateur Yves Daudigny, les habitants de Voulpaix font part de leur lassitude d'être « caricaturés » par la presse. L'élu rappelle les réussites du département : « L'Oréal, le Maroilles, le familistère de Guise, la symphonie du siècle... » Et fait mouche. Mais à la défense de son bilan à la présidence du département lui est opposé l'arrivée des éoliennes sur le territoire « sans consultation ». « Ce n'est pas dans les compétences des départements », rétorque l'élu. 

Jean-Louis Doucy opposé au bilan du président du conseil général et à l'arrivée des éoliennes sur le départementJean-Louis Doucy opposé au bilan du président du conseil général et à l'arrivée des éoliennes sur le département © Yannick Sanchez

« J'aimerais que vous vous positionniez en tant qu'homme politique », lui intime Jean-Louis Doucy, un des plus fervents opposants à l'arrivée des éoliennes. Le sénateur de l'Aisne botte en touche. « Alors vous prenez le risque du vote Front national », lui lance un homme au fond de la salle. Dernier rempart à la surdité des élus, le vote FN est devenu l'ultime forme de rejet du politique. Il n'y a que la menace du vote extrême pour se faire entendre se disent nombre d'électeurs. Et cela fonctionne. Au bout de plusieurs échanges tendus avec Yves Daudigny, Jean-Louis Doucy obtiendra pour la première fois la possibilité d'être reçu « par le sénateur et non par le conseiller général ».

« Ma mère a une retraite de 770 euros, elle doit payer 2 200 euros par mois pour payer sa chambre médicalisée, elle a dû vendre sa maison », raconte une femme qui précise ne pas vouloir voter pour l'extrême droite. « Aucun gouvernement n'a été en mesure d'apporter une réponse à cette question », lui répond Yves Daudigny dans l'embarras. L'élu esquive les piques, la fin de campagne est difficile. « Ça fait deux mois qu'il parcourt les 65 communes du canton, il fatigue », glisse son directeur de cabinet.  

Face à lui, les candidats du Front national sont méconnus mais ont réussi à le devancer avec 31,75 % des voix contre 30,63 %. L'équipe frontiste se compose de Romain Dumand, chauffeur-livreur de 28 ans, et de Marie-Jeanne Parfait, l'ancienne concierge de la mairie de Marle qu'a justement dirigée Yves Daudigny pendant dix-huit ans. Joint par téléphone, Dumand se réjouit : « On a fait chuter le cumulard Daudigny, il nous reste cinq jours pour mobiliser notre électorat. »

À peine trois mois plus tôt, il prenait contact avec les sympathisants frontistes sur le canton de Marle. « Je les ai appelés puis je suis allé les voir, ils étaient une dizaine. Puis j'ai rencontré Marie-Jeanne Parfait et on a décidé de se lancer dans la campagne », ajoute-t-il. Pour ce qui est du programme, le candidat frontiste est évasif : « La première priorité sera de réaliser un audit des comptes publics pour connaître la situation financière du département. Il faudra aussi renforcer les contrôles sur la fraude sociale et aider les maires des plus petites communes. »

Vue depuis la cité médiévale de LaonVue depuis la cité médiévale de Laon © Yannick Sanchez

À Laon, le chef-lieu, les binômes lepénistes sont encore au sommet. À Laon 1, l'union de la gauche sauve l'honneur de justesse avec une centaine de voix d'avance sur le Front national, mais à Laon 2, l'alliance du conseiller général sortant Thierry Delerot (PS) avec l'écologiste Brigitte Fournié-Turquin est devancée de 51 voix par le FN. « C'est difficile à digérer, confie la candidate EELV, même si on a bien été gratifiés dans les bureaux de vote où on est connus. » Brigitte Fournié-Turquin ne pense pas que le département basculera vers le Front national mais se « demande s'il sera gérable ». « On se bat contre un adversaire invisible donc qui ne peut dévaloriser sa propre parole. On a cherché les candidats, il y en a un qui vit sur le canton mais qu'on ne connaît pas, on a essayé de trouver son binôme, Vasseur, mais elle n'est pas dans le bottin », raconte cette dernière.  

Dans l'Oise, département limitrophe de l'Aisne, le Front national obtient 35 % des voix dans tout le département et est en tête dans 14 cantons sur 21. Cependant, peu de seconds tours devraient se solder par la victoire du parti de Marine Le Pen, suivi de près par les candidats de l'UMP-UDI.

Sénateur et président du conseil général, Yves Rome avait choisi de terminer sa campagne à l'assemblée générale de l'union des retraités et des personnes âgées à Mouy. Après un discours d'une dizaine de minutes durant lequel l'élu a fait part de son action pour « lutter contre le fléau Alzheimer » et rappelé qu'il a créé des places supplémentaires dans les EHPAD (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), les retraités font la queue pour recevoir un colis alimentaire gracieusement offert par le conseil général. « On a appris qu'il venait seulement hier et c'est bien la première fois qu'on le voit », chuchote une personne âgée à la fin du discours. Même en terrain conquis, l'auditoire n'est pas dupe.

Le discours d'Yves Rome à l'union des retraités et des personnes âgéesLe discours d'Yves Rome à l'union des retraités et des personnes âgées © Yannick Sanchez

En quittant l'assemblée générale, le sénateur se fait alpaguer par une personne âgée : « Pensez-vous que la maison de retraite où se trouve ma femme va fermer ? » Yves Rome élude et bifurque sur son souhait de soigner les troubles autistiques dans le département « plutôt qu'en Belgique ». « Mon trip, c'est d'apporter des solutions », glisse-t-il à Mediapart. 

Visiblement insuffisant au vu des résultats du premier tour. À Mouy, le canton du président du conseil général, c'est la débâcle pour le PS. Le binôme frontiste est en tête avec 35,46 % des voix, l'union de la droite qui avait parmi ses suppléants Olivier Dassault figure en deuxième position avec un score de 29,42 % quand Yves Rome (PS) obtient seulement 26,94 % des voix.

L'Oise est aussi le département qui a vu la nouvelle alliance Front de gauche-EELV être expérimentée sur tout le territoire. Les scores de cette alternative au PS sont plutôt prometteurs. Le revers de la médaille, c'est qu'ils ont bien souvent provoqué l'élimination de la gauche dès le premier tour, à l'instar de Beauvais 1 et 2 où les listes EELV-FDG ont atteint respectivement 13,56 % et 7,45 % des voix, privant le PS de quelques bulletins pour se qualifier au second tour. Résultat, le parti socialiste est éliminé dans les deux tiers des cantons. Restent deux triangulaires symboliques dans lesquelles il résiste : les emblématiques cantons de Mouy et de Clermont, autrement dit les cantons respectifs du président du conseil général et de son vice-président. 

À l'inverse de l'annonce d'Yves Daudigny dans l'Aisne, « aucun désistement n'est prévu », déclare-t-on au QG d'Yves Rome, « ce serait faire le jeu du FN ». « Si on additionne les différentes voix de gauche, on est premier à Clermont et juste derrière le FN à Mouy », calcule-t-on au conseil général.

Pas sûr que cela convienne aux candidats de l'alliance Front de gauche-EELV qui n'hésitent pas à critiquer l'attitude du sénateur. « Avec ses 17 mandats, il se conduit de plus en plus en seigneur local », affirmait Guy, adhérent du Front de gauche, deux jours avant le scrutin. Un avis partagé par la secrétaire du Parti de gauche (PG) Marie-Laure Darrigade qui précise militer « pour un renouvellement des pratiques politiques ». « Nous sommes d'accord avec l'idée de faire barrage au Front national mais le vote des citoyens n'appartient qu'à eux », tient-elle à préciser. 

QG du Front de gauche à BeauvaisQG du Front de gauche à Beauvais © Yannick Sanchez

À Solférino lundi matin, Christophe Borgel prônait pourtant la stratégie contraire à celle d'Yves Rome : « Dans l'Aisne ou dans le Gard, on savait que le maintien du candidat PS au second tour allait profiter au Front national. » « Partout où nous sommes éliminés, nous appelons à voter pour le candidat républicain. Partout où nous ne sommes pas en tête de la gauche, nous appelons à voter pour le candidat de gauche le mieux placé. » Mais en cas de triangulaire avec un candidat de gauche mal placé, Borgel estime qu'il faut voir au cas par cas. Le chef de file de l'UMP dans l'Aisne et ancien ministre, Xavier Bertrand a appelé les électeurs à voter blanc en cas d'élimination de la droite au premier tour. 

BOITE NOIREJ'ai passé trois jours dans l'Aisne et dans l'Oise, du jeudi 19 au samedi 21 mars. Toutes les personnes citées dans cet article ont été rencontrées à ce moment-là, à l'exception de Romain Dumand, joint par téléphone ce lundi 23 mars, ainsi que le chercheur Joël Gombin, dont les propos sont extraits d'un compte-rendu d'une conférence de l'observatoire des radicalités politiques de la fondation Jean-Jaurès.

La rédaction de Mediapart et les experts de Liegey-Muller-Pons se sont associés pour ces élections départementales. Grâce à ce partenariat, nous vous proposerons, avant et après le premier tour, des éclairages, des analyses et des visualisations de données inédites. Plus de détails sur ce partenariat ici.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un oeil sur vous ! Citoyens sous surveillance


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