Après la grande illusion d'une soirée de premier tour propice à toutes les interprétations et notamment celle d'une gauche qui résisterait (lire ici), la nuit a permis à chacun de faire ses comptes. Et ce lundi, chacun apporte sa propre lecture des départementales, bien différente de celle énoncée la veille par le premier ministre.
Côté PS, sans surprise, on est au plus près de la vision vallsiste. Tout va bien, en tout cas tout ne va pas si mal. Responsable des élections, le secrétaire national Christophe Borgel a ainsi indiqué, lors d'une conférence de presse, que « la première place UMP/UDI » était « mécanique » : « C’est une élection intermédiaire, dans un moment difficile pour le pays, où les résultats se font attendre. L’opposition était unie alors que nous étions divisés. Cette combinaison explique le résultat. »
Plus précisément, si le PS est éliminé dans 524 cantons, il « aurait été en situation de se maintenir dans 256 » s'il avait été uni au reste de la gauche. « Et dans ce cas, nous aurions fait jeu égal avec la droite qui est éliminée dans plus de 200 cantons », tente-t-il de convaincre dans un de ces « raisonnements-Potemkine » dont il a le secret, mais dont on ne sait pas s'il parvient à convaincre au-delà de Laurent Joffrin (qui, lui, y croit fort).
Car, par rapport à ce qui préoccupe le plus Borgel, il n'y a aucune raison de s'inquiéter. « Le total gauche-droite est quasiment le même, nous sommes dans un mouchoir de poche, et il n’y a pas de dynamique pour la droite », tranche-t-il ainsi. Et surtout, « il n’y a pas d’alternative, pas de "Syriza à la française" qui peut naître, pas à ce stade en tout cas. On va donc pouvoir parler de rassemblement dans des conditions plus sereines… ».
Le message s'adresse en priorité aux partenaires écologistes. Mais pour ceux-ci, la situation n'est pas aussi claire. Ainsi que l'exprime David Cormand, en charge des élections à EELV, « les appels au rassemblement de Manuel Valls viennent de celui dont la ligne politique est le principal obstacle à ce rassemblement ». Le score de 2 % qui a tourné en boucle sur les plateaux télévisés et dans les analyses expertes, « c'est du pipeau incroyable, s'étrangle Cormand. L'écologie est "à genoux" et "quasi-morte", mais EELV fait près de 10 % là où on s'est présenté en autonome (9,7 % dans 377 cantons exactement - ndlr) ».
Alliés avec le PS, le score moyen réalisé par les binômes socialo-écolos atteint les 27 % (dans 157 cantons), mais là encore, il occasionne un commentaire acerbe de Cormand : « Quand il est avec nous, le PS se qualifie au second tour. C'est quand il est sur la ligne Valls, c'est-à-dire sans allié, qu'il est éliminé. » Quant aux scores des alliances avec tout ou partie du Front de gauche (dans 448 cantons), il est en moyenne de 13,6 %. « Ça couvre des réalités diverses, analyse le dirigeant écologiste. Dans les zones rurales, cela permet de faire 7 ou 8 % là où nous faisions 4 auparavant. Mais il y a des endroits où cela provoque de vraies percées, à 18 ou 20 %, voire au-dessus, notamment dans des centres urbains où Mélenchon avait déjà fait de bons résultats en 2012. »
Ainsi, l'alliance EELV-FdG réussit de gros scores à Grenoble, Rouen, Le Havre, Poitiers, Lille ou Nantes. « Dans tous les endroits où il y a eu une présentation homogène du Front de gauche avec des mouvements citoyens ou d'alliances avec les écologistes, dans une ville ou dans un département entier, on remarque qu'il y a une prime donnée à une gauche qui résiste et se rassemble », estime de son côté Éric Coquerel, responsable du Parti de gauche. Lui cite en outre certains cantons à Toulouse, dans le Jura ou dans les Alpes-de-Haute-Provence. Selon lui, « c'est un rebond, encore modeste, mais où on peut se dire : “Là, ça marche.” À nous d'être audacieux désormais. »
Pour Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, il s'agit d'« encouragements très forts et de perspectives qui s'ouvrent enfin dans une situation plombée à gauche ». Le dirigeant communiste ne se remet pas de « la manipulation grossière du ministère de l'intérieur, qui bidonne avant les étiquettes et refuse après de donner la vérité du suffrage universel, en nous enlevant un gros tiers de notre score pour les verser aux “divers gauche” ». Selon les calculs de la place du Colonel-Fabien, le Front de gauche a recueilli 9,4 % des voix, et peut espérer conserver ses deux départements, le Val-de-Marne et l'Allier. « Ça reste un bataille âpre, mais on est dans des scénarios favorables. »
Pour Roger Martelli, historien politique et responsable d'Ensemble (la troisième composante du Front de gauche), les résultats montrent une grande disparité d'analyse, qu'il livre sur le site Regards.fr. En prenant les 1 400 cantons où la comparaison est possible avec les scrutins départementaux de 2008 et 2011, il constate ainsi « des progrès dans 900 cantons environ (dont 400 sont en hausse de plus de 5 %) et des reculs dans 500 autres (dont 80 connaissent des reculs de 5 à 10 %) ».
À ses yeux, le Front de gauche connaît le même phénomène qu'aux législatives de 2012 et aux municipales de 2014 : « Dans des élections où la représentation communiste est forte (les deux tiers des candidatures en 2015 et une présence dans plus de 80 % des binômes), les zones de densité ancienne forte continuent de s’effriter alors que des zones de faible implantation initiale enregistrent des poussées souvent sensibles. » Et d'estimer que « le vote FDG se “moyennise” », en ce que « les vieux bastions communistes reculent encore, tandis que les territoires où le communisme s’était plus ou moins marginalisé connaissent un phénomène de renationalisation du vote ».
« Il y a un pôle alternatif qui s'est consolidé, mais qui ne permet pas de passer devant le PS », reconnaît toutefois David Cormand. Hormis à Grenoble (où le « Rassemblement » EELV-PG-citoyens s'est qualifié dans trois cantons face au PS, le devançant à deux reprises, mais sans parvenir à étendre sa dynamique victorieuse au reste du département – lire notre reportage), l'hypothèse d'une autre gauche inversant le rapport de force interne face à l'appareil socialiste est encore une hypothèse lointaine, qui ne va pas de soi.
« Les résultats de ce dimanche montrent bien que l'équation d'un président qui se ferait réélire en faisant monter le FN et en pariant sur la déroute de Sarkozy est une équation impossible, estime l'écologiste, dans la mesure où la droite arrive à se rassembler et à se mettre en dynamique. » Alors, il estime que « plus que jamais, la balle est dans le camp de François Hollande. Soit il continue de gérer la France et la gauche comme un congrès du PS, soit il fait de la politique, change de ligne et rassemble son camp ».
Le possible retour d'écologistes au gouvernement (qui pourrait provoquer une scission en interne – lire notre article) est suivi d'un œil attentif par le Front de gauche. « Il ne faut pas regarder que les résultats des exprimés, explique Éric Coquerel. C'est en se rassemblant comme on a commencé à le faire qu'on peut donner envie aux abstentionnistes de gauche de revenir voter. Ce serait dommage de passer à autre chose alors qu'on voit que ça peut marcher. Ce serait une erreur de vouloir se rassurer au gouvernement sans faire cas des désaccords gouvernementaux. »
« L'abstention reste colossale, la droite gagne des positions, le FN fait mieux dans un scrutin local qu'aux dernières européennes… Cette stratégie élyséenne de jouer le second tour de 2017 face à Le Pen est mortifère ! s'agace Oivier Dartigolles. Hollande est plus dans le jeu politicien et les finasseries tacticiennes que dans la recherche de réponses nouvelles pour redresser le pays. » Pour autant, le dirigeant communiste ne croit pas que le rassemblement au forceps imaginé par l'exécutif socialiste portera ses fruits. « Il ne veut rien changer, mais ne pourra pas dérouler sa politique encore longtemps, car ça va devenir intenable, juge-t-il. Et la perte des départements va même nous empêcher de contenir socialement et localement le chômage de masse et la précarité grandissante. »
Dartigolles espère désormais que les « diagnostics et analyses convergents à gauche » vont permettre rapidement de « passer de batailles défensives » à « une offensive politique commune », évoquant la mobilisation unitaire contre la loi Macron le 7 avril et la manifestation intersyndicale du 9 avril, mais aussi un « intergroupe parlementaire » ou les prochaines élections régionales en décembre prochain. « S'il n'y a pas de tentation personnelle en vue de 2017, veut croire Dartigolles, il est encore tout à fait possible de faire émerger un projet politique unitaire à gauche » face au gouvernement.
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