Rendu public ce mercredi, le rapport annuel du contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ne déroge pas aux usages : y sont consciencieusement consignés et analysés les dysfonctionnements, abus et irrégularités en tout genre, observés dans les 137 prisons, locaux de garde à vue et autres lieux d’enfermement visités au cours de l’année 2014 (sur un total de 4 644) ainsi que dans les 4 125 lettres reçues. La nouvelle responsable de l’institution, Adeline Hazan, ex-maire PS de Reims, magistrate de formation, qui a succédé à ce poste à Jean-Marie Delarue, haut fonctionnaire, en juillet 2014, met l’accent, entre autres sujets, sur le manque d’autonomie dont disposent les personnes détenues en France, ce qui lui paraît préjudiciable dans la perspective d’une réinsertion sociale.
Pour illustrer ce constat, les contrôleurs, dont 81 % des déplacements ont été « inopinés », rapportent une anecdote apparemment banale : lors d’une visite dans une unité psychiatrique au printemps 2014, un patient, en train de déjeuner, se tient en équilibre sur les deux pieds arrière de sa chaise. D’un ton péremptoire, un soignant lui intime l’ordre de se tenir correctement. L’intéressé, aussitôt, s’exécute silencieusement. Cette remontrance pose problème, indique le CGLPL, parce qu’elle n’a pas de raison d’être.
Mises bout à bout, des remarques de ce type peuvent finir par pourrir la vie des personnes privées de liberté. Celles-ci, regrettent le contrôleur, sont parfois infantilisées et déresponsabilisées, alors même que l’institution devrait leur assurer la possibilité de mener une vie sociale et de préparer l’avenir. Dans les limites de l’enfermement, s’entend. « L’autonomie, faculté de choisir et d’agir par soi-même, est un concept qui peut sembler a priori contradictoire avec l’idée d’enfermement. Mais il faut rappeler que la privation de liberté consiste en la seule privation du droit d’aller et venir et ne doit pas enlever à la personne toute capacité d’initiative », indique le rapport.
Il est fréquent que les restrictions de liberté ne soient pas justifiées, estime le CGLPL, qui regrette que les établissements pénitentiaires, les centres éducatifs fermés et les hôpitaux psychiatriques n’aident pas suffisamment les personnes à se prendre en main et s’occuper d’elles-mêmes. Des gestes aussi quotidiens que se lever à l’heure, cuisiner, s’occuper de son linge ou faire des courses sont progressivement oubliés. L’habitude est perdue. Y remédier suppose la création de lieux de vie communs. Cuisines, buanderies et « salles de convivialité » où l’on peut discuter, jouer ou partager un repas ne sont pas un luxe, estime le contrôleur, mais une nécessité pour réapprendre à vivre ensemble.
Dans les établissements de santé, le manque de distractions est tel que les patients tournent en rond. Même constat dans les centres de rétention administrative, où les étrangers retenus se plaignent du désœuvrement. Par crainte des dégradations et des atteintes à la sécurité, les surveillants ont tendance à éviter de mettre en place de nouvelles activités, quitte à laisser les personnes passer des heures à ne rien faire... ou à s'inventer elles-mêmes des occupations.
Le droit au respect de la dignité n’est pas non plus garanti. Dans de nombreux hôpitaux visités, les patients sont maintenus en pyjama toute la journée. Ils revêtent en outre tous la même tenue, ce qu’ils vivent comme une dépossession de leur personnalité et donc une humiliation. L’accès aux douches est parfois prévu selon des horaires trop étroits, les produits d’hygiène ne sont pas toujours fournis en quantité suffisante.
En prison, certaines personnes souffrant d’un handicap vivent dans des conditions de saleté « indignes » car l’institution ne compense pas leur manque d’autonomie par une aide extérieure. Le CGLPL juge également indispensable l’existence d’espaces où les personnes sont susceptibles de se soustraire au regard d’autrui. Dans les centres fermés, les contrôleurs disent avoir fréquemment observé des jeunes « inactifs ou tendus » qui auraient eu besoin de s’isoler.
Dans certaines prisons qui laissaient jusque-là une certaine latitude aux détenus dans l’organisation de leur cellule (installation de rideaux pour obturer les fenêtres pendant la nuit, possibilité de recevoir des co-détenus), des retours en arrière sont notés, regrettent les contrôleurs. En matière de sexualité, ceux-ci soulignent l’insuffisante implantation d’unités de vies familiales. Le droit d’expression individuelle et collective n’est pas mieux respecté, alors même qu’il est prévu par l’article 29 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Les expériences auxquelles sont associés les détenus, liées aux horaires des parloirs, à la liste des produits vendus en cantine ou à la programmation des activités, sont insuffisantes, estiment-ils.
Ces manquements ne portent pas seulement atteinte aux droits des personnes captives. Ils ont des effets pervers sur le fonctionnement des lieux d’enfermement en ce qu’ils favorisent le développement de pratiques clandestines par définition impossibles à contrôler. Les laisser se perpétuer s’avère ainsi contre-productif.
« Un assouplissement des règles en faveur d’un renforcement de l’autonomie (...) ne mettrait pas en danger la sécurité des établissements mais, à l’inverse, réduirait les tensions tout en favorisant l’épanouissement personnel et le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté », conclut le CGLPL. Il doit affronter, en plus des oppositions traditionnelles, un contexte peu favorable, tant les prisons sont perçues depuis quelques semaines comme un espace qui mériterait d'être plus répressif qu'il ne l'est déjà.
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