Vaucluse, de notre envoyé spécial.- Pour le FN, c’est une aubaine. À Avignon, ville phare du département du Vaucluse, le terreau n’est pourtant pas particulièrement favorable. Les atouts économiques, touristiques, climatiques, culturels n’ont pas disparu du jour au lendemain. Mais dans cette commune que rien ne prédispose à virer à l’extrême, la droite locale se saborde, au point de pousser ses électeurs traditionnels dans les bras du Front national. Lors des élections départementales des 22 et 29 mars, c’est donc là que se jouera l’avenir du département. Et son éventuel basculement dans l’escarcelle du rassemblement Bleu marine, Bleu Marion, Bleu Le Pen.
Pour l’heure, le département est à gauche. Et sur les trois cantons d’Avignon, un est au PS (mais la sortante ne se représente pas), un au Front de gauche, le dernier à l’UMP. « Si on veut emporter le département, il faut gagner au moins deux des trois cantons d’Avignon », estime Philippe Lottiaux, le candidat du FN. Il y a un an, ses opposants lui auraient ri au nez. Aujourd’hui, l’ancien parodiste, adepte des one man show, ne fait plus s’esclaffer personne. Aux dernières municipales, il est arrivé en tête au premier tour, avant de réunir plus de 35 % des suffrages au second, derrière la candidate du PS (47 %), mais très loin devant le candidat UMP (17,5 %) dont la famille politique tenait pourtant la ville depuis 1995 grâce à Marie-Josée Roig.
La surprise fut d’autant plus grande que le FN a tout spécialement progressé dans Avignon intra-muros, dans un secteur où vit une population plutôt privilégiée. Bien sûr, les municipales ne sont pas les départementales : Marie-Josée Roig avait organisé le chaos avant de partir, choisissant pour son camp un candidat inconnu sans attaches locales. Mais depuis, rien n’a changé. Sans chef de file, les candidatures dissidentes se multiplient à droite, face à un FN qui rêve de faire encore mieux à Avignon que dans des villes du département où il est historiquement implanté comme Orange, Carpentras ou Cavaillon.
Pour ce faire, Philippe Lottiaux, 47 ans, incarne un FN bon teint qui tétanise ses adversaires. « Beau parleur », « sympa », « bon connaisseur de ses dossiers » : l’homme recueille à droite plus de compliments que de critiques. Sur son seul parcours, il y aurait pourtant bien à redire.
Lors des départementales de 2011 (alors appelées cantonales), Marine Le Pen, surfant sur le rejet des bureaucrates, fustige les candidats énarques ? Philippe Lottiaux en est un.
Les Avignonnais n’aiment pas les parachutés, eux qui, électeurs ou militants, ont fait barrage à Bertrand Delanoë, Jack Lang ou Élisabeth Guigou, au cours des 30 dernières années ? Lottiaux est un candidat TGV issu de la région parisienne, qui travaille à présent à Fréjus, à deux heures de route, comme directeur de cabinet du maire David Rachline (FN).
Le Front national fustige les partis de la droite traditionnelle ? Marion Maréchal Le Pen a présenté Philippe Lottiaux comme « un ex-RPR, un ex-UMP donc un gros poisson ».
Marine Le Pen réclame des opérations mains propres et se présente comme la championne de la lutte anti-corruption ? Philippe Lottiaux, après avoir travaillé aux cotés de Bernard Bled, homme symbole des années Chirac-Tiberi à la mairie de Paris, a été pendant dix ans (2001-2011) le directeur général des services du maire de Levallois Patrick Balkany, condamné en justice en 1997 pour prise illégale d’intérêts et aujourd’hui mis en examen pour corruption passive et blanchiment de fraude fiscale.
Philippe Lottiaux fait campagne sur les économies que doit réaliser le conseil général ? Il a « géré » pendant dix ans cette ville des Hauts-de-Seine qui se trouve être la plus endettée de France, avec une ardoise record de plus de 8 000 euros par habitant.
Sur ce parcours « accidenté », l’intéressé ne se montre pas bien bavard. Il a suivi Patrick Balkany car « les choses ne sont pas toutes noires ni toutes blanches ». C’est vrai, il a, par exemple, en tant que DGS, supervisé une demande gracieuse afin que l’élu de Levallois n’ait pas à payer l’intégralité de la somme (les intérêts) qu’il devait à sa ville. « Ce n’était pas à moi d’en juger. » Pour le reste, les chauffeurs mis au service du couple pour un usage personnel (« Je ne suis pas au courant, il n’y a pas eu de mise à disposition »), les éventuels emplois fictifs, les marchés d’attribution douteux, ou les attributions de logements sociaux hors des clous (« cela restait des exceptions ») : tout se faisait hors de sa vue. Quant à l’endettement de la commune, gênant pour un candidat qui prétend assainir les finances d’Avignon, « c’était un choix politique. Il s’agissait d’équiper vite la ville sachant qu’elle avait une forte capacité de remboursement ». Comment expliquer dans ce cas que la dette reste aussi énorme aujourd’hui ? « Je ne sais pas – je ne suis plus ça de près. »
Aucune de ces thématiques n'émerge cependant pendant la campagne. Tandis que Marie-Josée Roig a vu son bilan terni par une affaire d’emploi fictif accordé à son fils ; alors que le PS local patauge dans une affaire d’HLM qui aurait été octroyée avec complaisance, rien n’affecte le candidat du Front national. Comme si l’étiquette protégeait de tout.
Philippe Lottiaux préfère à peine plus parler d’avenir. Son programme : « Recréer des marges de manœuvre sans augmenter les impôts, mais en regardant la pertinence des subventions accordées aux associations. » Pour le détail, il faudra encore attendre. Il dit qu’il faudra également être vigilant sur les fraudes aux prestations, mais ne se lance pas dans de grandes tirades contre le RSA. Et souligne qu’il faudra faire plus pour les personnes âgées en matière d’accompagnement à domicile et de lutte contre l’isolement.
Voilà qui ne fâchera pas grand monde. Avec la droite, il a « un constat partagé ». Avec Jacques Bompard, le maire Ligue du Sud d’Orange, « sur le fond on est proches ». Et même Jean-Luc Mélenchon développe « certaines analyses dont [il] ne se sent pas éloigné ». Un discours adaptable aux trois cantons, sociologiquement différents.
Surtout, Philippe Lottiaux incarne le renouvellement. Comme ailleurs en France, la phrase « le FN, on n’a pas essayé » revient en boucle dans les enquêtes qualitatives, explique Christèle Marchand, maître de conférences en science-politique à l’université d’Avignon et spécialiste du vote FN.
Et à quand même 47 ans, Philippe Lottiaux fait figure de jeune premier. Il faut dire que dans le canton voisin, le plus central d’Avignon, se présente pour l’UMP (et pour le compte de l’UDI) Alain Dufaut, 71 ans, conseiller général depuis 1982. « Quand j’ai voté pour la première fois il y a 30 ans, il était déjà candidat », ironise Christian Paly, 50 ans, qui a monté l’une des trois listes dissidentes de droite à Avignon. « C’est le Minitel qui se bat contre Internet », insiste un autre élu du département, qui s’indigne : « Le président du conseil général est un sénateur de 70 ans. Et nous, on va proposer de le remplacer par qui ? Un sénateur de 71 ans. C’est le Muppet show. En face, ils se régalent. Les quadragénaires de l’UMP ont l’impression qu’on ne leur laissera jamais la place, et ils s’en vont. »
Pour ne rien arranger, Dufaut se présente avec pour binôme son ancienne belle-fille. « Ce n’est pas ma faute si mon fils lui a fait un gamin », a-t-il plaidé pour sa défense dans Le Dauphiné. Lors des dernières élections sénatoriales (Dufaut vient de récupérer son siège pour une voix devant le Conseil d’État), l’UMP avait présenté deux listes séparées, ce qui permet de contourner les obligations liées à la parité.
Pour les départementales, gauche et droite peinent d’autant plus à mobiliser que l’élection est illisible, même pour les rares qui tentent de s’y intéresser. Les futures compétences des départements ne sont toujours pas définies. Et alors que les frais de fonctionnement trop élevés du conseil général font l’unanimité contre eux, la réforme, sous prétexte de parité, a abouti à augmenter le nombre d’élus. « La parité a été instrumentalisée », analyse Christèle Marchand.
Dans ce contexte, Dufaut dit exclure « tout accord de gestion » avec le Front national à l’échelle du département. Mais que se passera-t-il si – comme cela semble probable – au soir du second tour, aucun parti n’obtient la majorité, soit 9 cantons sur 17 ? Qui fera alliance avec qui ? Le Front national s’amuse déjà en se donnant pour priorité de battre la gauche et en tendant la main à l’UMP pour mieux la diviser. De nouveaux élus de droite se laisseront-ils séduire par le FN ou La ligue de Sud des époux Bompard ?
À l'inverse, si aucun accord n’est scellé, est-il possible de diriger le département dossier par dossier, au gré des alliances comme c’est le cas actuellement à la communauté d’agglomération d’Avignon ? Michel Bissière, ancien adjoint de Marie-Josée Roig à Avignon, y croit : « 90 % des délibérations sont votées à l’unanimité au conseil général », fait-il valoir. Mais quid du budget ? Du social ? De l’implantation des collèges ? L’équilibre serait pour le moins précaire.
Tous les scénarios sont dès lors envisageables, dans un contexte où droite et extrême droite semblent jouer à « Qui est-ce ? ». Dans le canton 2 d’Avignon par exemple, face au binôme officiel de l’UMP, on retrouve des dissidents issus de l’UMP (suspendus pour l’instant). Et deux candidats du Front national en provenance... de l’UMP. Comment s’y retrouver ?
François Vaute, qui a navigué de l’UMP au RPF après s’être rapproché du Bleu Marine, illustre bien les cheminements de cette « droite Zemmour » pas décomplexée car elle n’a « jamais eu de complexe », qui verrait bien madame Bompard diriger le département.
Possible ? Quand on demande aux candidats de l'UMP ce qui les retient de jeter un pont vers l'extrême droite, ce ne sont généralement ni les valeurs, ni les immigrés, ni la préférence nationale qui sont évoqués, mais avant tout l’économie et l’Europe. Et comme il n'y a pas de risque que le Vaucluse sorte de l’euro au lendemain des élections...
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