Le procureur de la République de Nantes tient peut-être entre ses mains l’avenir politique du Gabon. Le magistrat a officiellement été saisi en début d’année de l’affaire des origines du président en exercice Ali Bongo, selon des informations recueillies par Mediapart. Il s'agit d’un dossier explosif au Gabon, que ce soit sur le plan des institutions ou d’un point de vue financier, à un an de l’élection présidentielle.
Ali est-il vraiment, comme il le prétend, le fils naturel d’Omar Bongo, l’ancien dictateur gabonais décédé en 2009 ? La question agite depuis plusieurs années le Gabon, l’opposition soupçonnant l’actuel chef de l’État d’avoir triché sur ses origines. Né officiellement le 9 février 1959 à Brazzaville, alors sous gouvernorat français, Ali Bongo serait en réalité né au Biafra avant d’avoir été adopté à la fin des années 1960 par Omar Bongo – donc non gabonais. Cette thèse a récemment été défendue par l’écrivain et journaliste Pierre Péan, dans son ouvrage Nouvelles Affaires africaines (Fayard).
Au-delà des relents xénophobes qu’elle suscite parfois chez certains nationalistes gabonais, cette polémique soulève aussi de vraies interrogations politiques, susceptibles de remettre en cause l’élection présidentielle de 2009 et de compliquer celle de 2016. La Constitution du pays stipule en effet que « toute personne ayant acquis la nationalité gabonaise ne peut se présenter comme candidat à la présidence de la République ». La réalité de la filiation peut également perturber l’héritage d’Omar Bongo, une mine d’or dont les dessous révélés par Mediapart dévoilent un système de prédation de toute l’économie d’un pays d’une rare ampleur. Or, Ali est l’un des deux légataires universels d’Omar Bongo.
C’est dans ce contexte que l’une des 53 personnes à hériter d’Omar Bongo, Onaida Maisha Bongo Ondimba, a saisi le procureur de Nantes d’une demande de communication de l’acte de naissance d’Ali Bongo. Le raisonnement déployé par l’avocat de l’héritière, Me Éric Moutet, dans un courrier adressé au parquet le 14 janvier dernier, est simple : si Ali Bongo est né, comme il l’affirme, en 1959 à Brazzaville (Congo), alors les archives du registre de l’état civil – qui est domicilié à Nantes pour la France et ses anciennes colonies – doit logiquement contenir le document. Pour cause : en 1959, Brazzaville était sous administration de l’Afrique équatoriale française (AEF).
Sollicité par Mediapart, le parquet de Nantes a confirmé avoir été saisi de l’affaire – le dossier est référencé sous le numéro 2015/EC/817. « C’est toujours à l’instruction », fait-on savoir au parquet, sans autre forme de commentaire. Deux mois après la réception de la requête, la justice n’est donc toujours pas en mesure de dire si le document réclamé existe bel et bien.
D’après certaines indiscrétions de palais, l’affaire fait partie des dossiers sensibles « signalés » auprès du gouvernement français, au regard de ses possibles implications sur la vie politique gabonaise. Ceci expliquant peut-être cela.
Certains héritiers d’Omar Bongo nourrissent de véritables doutes sur la sincérité des déclarations d’Ali Bongo sur sa naissance. Au moment de la parution de Nouvelles Affaires africaines de Pierre Péan, la présidence gabonaise avait fait fuiter dans Le Monde un acte de naissance de la mairie de Brazzaville, qu’elle affirmait avoir découvert il y a peu, mais sur lequel pèsent aujourd’hui de très sérieux soupçons.
Pire : comme nous l’avons déjà raconté, les informations qui ressortent à ce jour des documents de la succession d’Omar Bongo ne sont pas de nature à calmer les esprits. Selon l’acte de “notoriété” du 25 juin 2010, qui établit la liste des héritiers, Ali Bongo est le seul des enfants reconnus par Omar Bongo à n'avoir pas été capable de fournir un acte de naissance en bonne et due forme. Et le fameux acte de naissance de la mairie de Brazzaville n’a pas été annexé dans la succession en tant que tel par l’intéressé…
Il est même précisé dans la “notoriété” que le décret et le jugement qui ont permis le changement de nom d’Alain-Bernard en Ali Bongo, quand son père a décidé d’islamiser la famille, « seront présentés ultérieurement au notaire ». Cinq ans plus tard, aucun document probant n’a été communiqué aux notaires en charge de la succession Bongo.
« On observera que pour les autres légataires universels, les références précises du décret et du jugement ayant autorisé les changements et adjonction de patronymes sont indiquées, ce qui n’est pas le cas pour Ali Bongo », s’étonne Me Moutet dans son courrier adressé à la justice nantaise. « Cette information nous est indispensable dans le cadre de la succession, a expliqué, lundi 16 mars, l’avocat au quotidien gabonais Les Échos du Nord. S’il existait une autre vérité sur la filiation, cela impacterait directement la répartition des avoirs successoraux. »
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