La loi sur le devoir de vigilance des multinationales à l’étranger n'est pas enterrée. Ce texte, fruit d’un compromis au sein du groupe socialiste entre les ambitions de départ et la ligne très pro-entreprises du gouvernement, sera même examiné le 30 mars prochain à l’Assemblée nationale, au lendemain des élections départementales. Mais dans une version largement édulcorée par rapport aux intentions de départ. La loi, jugée a minima par plusieurs ONG, a passé mercredi l'étape de la commission des lois de l’Assemblée nationale où le PS est majoritaire.
Que cette loi qu’on avait cru menacée soit finalement inscrite à l’ordre du jour du Parlement mérite d’être signalé. Mais si elle l’est, c’est au prix d’un vrai affadissement. Alors qu’en 2013, les quatre groupes de gauche à l’Assemblée nationale avaient proposé un texte très ambitieux pour responsabiliser les multinationales, leurs sous-traitants et fournisseurs en matière sociale, éthique et environnementale, celui que les députés vont finalement examiner au bout de deux ans d’allers-retours et de tractations reste d’une portée plutôt symbolique.
À l’origine, les députés socialistes, écologistes, radicaux et communistes avaient déposé une proposition de loi identique pour rendre responsables pénalement les entreprises françaises des agissements des sociétés auxquelles elles sous-traitent certains de leurs contrats dans les pays en développement, comme les atteintes aux droits humains, à l’environnement ou les pratiques de corruption.
L’idée avait germé au lendemain de l’effondrement de l’immeuble le « Rana Plaza », le 24 avril 2013, à Dacca, la capitale du Bangladesh. Plus d’un millier de travailleurs du textile y avaient trouvé la mort, avec, dans les décombres, des étiquettes de lignes de prêt-à-porter de grandes marques, notamment françaises (Camaïeu, Carrefour, Auchan, etc.) (voir notre portfolio : Au Bangladesh, victimes de l'industrie textile, du photographe Abir Abdullah).
Le but de cette initiative, soutenue par de nombreuses ONG et syndicats, était de pouvoir sanctionner au civil, mais aussi au pénal, les multinationales y compris les filiales et les sous-traitants, et de garantir aux victimes un accès à la justice pour obtenir réparation. Le 17 novembre 2014, Manuel Valls avait dit « soutenir » la loi, que François Hollande lui-même avait évoquée pendant la campagne présidentielle.
Le résultat final est beaucoup plus modeste. Sous la pression des grandes entreprises du CAC 40, principales concernées, Bercy s’oppose depuis deux ans à une loi trop contraignante. Fin janvier, le texte initial, qui avait perdu le soutien de la plupart des socialistes, a été retoqué à l’Assemblée nationale.
La nouvelle version, réécrite, prévoit simplement que les entreprises de plus de 10 000 salariés devront se doter d’un plan de vigilance. Elles encourront une amende de 10 millions d’euros si elles ne peuvent justifier de sa mise en œuvre devant un juge. La responsabilité juridique des entreprises pourra être engagée, mais uniquement au civil et sans inverser la charge de la preuve – en d’autres termes, les victimes, souvent éloignées, sans moyens et mal organisées, devront apporter la preuve qu’elles le sont réellement.
Le quotidien économique Les Échos a pourtant dénoncé ce mercredi 11 mars à sa “une” « la nouvelle loi qui alarme les grandes entreprises ». Mercredi, les députés UMP et UDI se sont fait l’écho de ces craintes. « Par idéologie », s’est inquiété Philippe Houillon, « on va mettre au pied de nos grandes entreprises des boulets qui vont les empêcher d’avancer aussi vite que nos concurrents », s’inquiétant de « problèmes d’attractivité et de délocalisations ». Ex-conseiller de Nicolas Sarkozy, Guillaume Larrivé s’en est pris à une loi contenant « beaucoup de bons sentiments », sous-tendue par une « idéologie sous-jacente selon laquelle l’entreprise crée des risques ».
Rapporteure de la commission des affaires économiques, la socialiste Annick Le Loch a, au contraire, salué « un texte au service de nos entreprises et de la compétitivité, qui va valoriser les entreprises vertueuses ». « Nous craignons que ce texte n’ait pas de portée effective : il ne lutte pas contre le dumping social », a déploré l’écologiste Paul Molac, qui s’est abstenu lors de l'examen du texte en commission, comme le Front de gauche.
« Les failles dans le mécanisme concernant l’absence de sanction en cas de non mise en œuvre effective de l’obligation de vigilance et les obstacles à l’imputation de la responsabilité via le régime de droit commun demeurent », ont dénoncé les ONG à l’origine de cette loi, parmi lesquelles Sherpa, les Amis de la Terre, le CCFD-Terre Solidaire, etc. « Les seuils exagérément élevés n’ont pas été modifiés, limitant à 150 environ le nombre d’entreprises ciblées par la loi (…) Certaines entreprises impliquées dans le drame du Rana Plaza, telles que Camaïeu, échapperaient par exemple à cette législation, de même que de nombreuses entreprises de secteurs à risque tels que le secteur extractif. » Les multinationales importatrices ne seront pas non plus concernées, déplorent les associations, qui espèrent toujours « un renforcement du texte » lundi prochain en séance.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Cartel dans le secteur des produits laitiers frais (yaourts, fromages blancs, desserts lactés, etc.)