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Licenciement d'un lanceur d'alerte : Qosmos condamnée aux prud'hommes

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Le conseil des prud'hommes de Paris a annulé, dans une décision rendue jeudi 5 mars, le licenciement de James Dunne, ancien salarié de la société de surveillance Qosmos qui avait perdu son emploi après avoir dénoncé les activités de sa société et ses collaborations avec des régimes autoritaires.

Qosmos est une société spécialisée dans le Deep Packet Inspection, une technologie permettant d'analyser « en profondeur » un réseau, et donc potentiellement de le filtrer ou de le surveiller. Au début de l'année 2011, James Dunne, chargé de la traduction des documents techniques au sein de la société, apprend que celle-ci participe, en partenariat avec une entreprise italienne, à un projet de vente d'un système de surveillance au régime syrien de Bachar al-Assad. Choqué par ce contrat, il fait tout d'abord part de ses doutes en interne, puis en ligne notamment dans des commentaires sur le site de Mediapart, et ensuite sur son blog d'abonné. Licencié pour faute lourde après plusieurs mois de conflits avec sa direction, James Dunne avait saisi les prud'hommes. Au terme d'une première audience, au mois d'octobre 2013, les conseillers prud'homaux avaient décidé de renvoyer le dossier en « départage », c'est-à-dire devant une autre formation comprenant cette fois un magistrat professionnel présidant les débats.

Le jugement n'étant pas, ce jeudi 5 mars, encore disponible, il n'est pas possible d'en connaître les attendus. L'avocat de James Dunne précise juste que son client a obtenu, au total, la somme d'environ 65 000 euros ainsi qu'une exécution provisoire, lui permettant de toucher une partie de la somme immédiatement, et ce même si Qosmos interjette appel.

Mediapart, en partenariat avec Reflets.info, avait publié une enquête en trois parties consacrée aux différentes activités de Qosmos (voir dans "Lire aussi" ci-contre).

Voici, ci-dessous, le compte-rendu de l'audience de James Dunne devant le conseil des prud'hommes du mois d'octobre 2013.

 

Il faisait particulièrement chaud, mercredi 23 octobre, dans la salle d’audience du conseil des prud’hommes de Paris où était jugée l’affaire opposant James Dunne à son ancien employeur, le fabricant français de logiciels de surveillance Qosmos.

Accablés par la chaleur, les quatre magistrats ont visiblement du mal à suivre les propos de Me Claude Katz qui égrène les termes techniques : « deep packet inspection », « réseau IP »… L’un d’eux se penche vers sa collègue de droite et lui murmure : « Je ne comprends rien. » « Moi non plus », répond-elle avant de se prendre la tête entre les mains et de demander à Me Katz de parler moins fort, car il lui donne « la migraine ».

Certes, l’affaire est complexe et fait appel à de nombreuses notions techniques. Irlandais vivant depuis plus de vingt ans à Paris, James Dunne a fait son entrée le 10 octobre 2005 dans la société Qosmos, au service recherche et développement. Rapidement, il devient « responsable du service documentation technique », chargé de rédiger les modes d’emplois et notices techniques des logiciels vendus à l’étranger par la société. Dès son embauche, Dunne connaît donc très bien la nature des produits proposés par son employeur. Ce qu’il ne sait pas, c’est à qui il les propose.

Au début de l’année 2011, il tombe sur des articles particulièrement critiques sur le Deep Packet Inspection, activité dans laquelle Qosmos s’est spécialisée. Cette technique consiste à analyser, et à filtrer, « en profondeur » un réseau. Entre de mauvaises mains, elle permet de surveiller l’ensemble d’un réseau national afin, par exemple, de repérer des opposants. Or, au mois de février, alors que s’enflamme le « printemps arabe », on apprend que des entreprises françaises ont vendu cette technologie à la dictature libyenne de Khadafi. La principale société visée est Amesys, filiale du groupe Bull. Elle fait l’objet, aujourd’hui en France, d’une information judiciaire pour « complicité d’actes de tortures ».

Mais la société Qosmos n’est pas en reste. Dès le mois de janvier 2011, elle est notamment mise en cause par le site Reflets.info, à l’origine de nombreuses informations sur le sujet, qui interpelle directement son président, Thibault Bechetoille, lors d’une web-émission. En fin d’année 2011, ces soupçons sont confirmés par la révélation de la participation de la société, via l’entreprise italienne Utimaco, au projet « Asfador » prévoyant de vendre un système de surveillance au régime syrien de Bachar al-Assad. Au mois de juillet 2012, Qosmos est à son tour l’objet d’une plainte déposée par la Fédération internationale des droits de l’homme et la Ligue de droits de l’homme.

James Dunne vit très mal ces révélations successives. Il est, explique Me Katz, « victime d’un conflit et d’une souffrance éthiques ». Au début, pourtant, il a du mal à y croire. Mais, troublé, il envoie des liens vers des articles à ses collègues, via la messagerie interne de la société et depuis son adresse mail personnelle. Il poste également un autre lien sur Facebook avec en commentaire « Les DPI sont-ils une arme ? » mais à chaque fois, selon Me Katz, dans un but « provocateur », car lui-même « n’y croit pas ».

Mais la direction de Qosmos n’apprécie pas les doutes de son employé. Le 23 février, le directeur de la communication lui fait savoir que ses commentaires ont été assez peu appréciés. Accusée d’avoir aidé un régime dictatorial à poursuivre ses opposants, la société met en place une cellule de crise. C’est à cette période, affirme James Dunne, qu’on lui aurait demandé de choisir son camp. « Es-tu pour ou contre nous ? » À partir de ce moment, il dit avoir été soumis à une « pression considérable » de la part de sa hiérarchie et les incidents se multiplient. Au mois de juillet 2011, une altercation avec son supérieur lui vaut un avertissement. Puis il est mis en arrêt maladie pour dépression en avril 2012 avant d’être déclaré inapte au travail au mois de novembre.

James Dunne est finalement licencié « pour faute lourde » au mois de décembre 2012. Officiellement, le licenciement est justifié par deux commentaires postés par le salarié au mois de juillet sous un article publié sur Mediapart – « PS : Ayant travaillé personnellement sur la documentation technique expliquant le fonctionnement du système fourni à Amesys par Qosmos et fourni au régime de Khadafi à mon insu, je peux fournir à Mediapart les détails techniques précis du dispositif mis en place par la France, afin de tracker, localiser et arrêter les opposants au régime du Colonel Khadafi », écrit-il notamment sous le pseudo « jamesinparis ». Dans sa lettre de licenciement, Qosmos reproche à James Dunne à la fois d’avoir porté « des accusations diffamatoires et mensongères » et d’avoir révélé « des informations techniques confidentielles ». L'affaire avait à l'époque ému la communauté des abonnés de Mediapart qui avait lancé une campagne de dons destinée à financer la défense de « jamesinparis ».

« Est-ce qu’un salarié qui a connaissance de faits graves a le droit de les dénoncer ? » s’est interrogé Me Katz lors de sa plaidoirie durant laquelle il a défendu la « liberté d’expression » des « lanceurs d’alerte ». « Mon client avait-il oui ou non le droit de s’exprimer ? » a poursuivi l’avocat insistant sur le fait qu’« un salarié reste un citoyen » et qu’il a même « un devoir de dénonciation » lorsqu’il a connaissance de faits tels que ceux qui sont reprochés à Qosmos. Affirmant que James Dunne « ne peut pas retrouver un emploi car il est sur une liste noire : il suffit pour un employeur potentiel de taper son nom dans Google », Me Katez a demandé 115 000 euros d'indemnités diverses.

De son côté, l’avocate de la société a tout fait pour limiter les débats aux seules questions de droit du travail, sans même chercher à nier les accusations portées à son encontre. « Nous ne sommes pas là pour ça », a-t-elle affirmé. « C’est une affaire normale, une affaire comme les autres. » James Dunne était tout simplement un salarié, soumis à un devoir de confidentialité prévu à la fois par le code du travail, par le règlement intérieur de la société et par une clause spéciale insérée dans son contrat de travail. S’il était en désaccord avec la politique menée par son entreprise, il n’avait qu’à démissionner, a plaidé Qosmos. La société a également insisté sur le fait que son ex-salarié avait, après son licenciement, continué à se répandre dans la presse, notamment dans des interviews données au Parisien et à France 24. Au total, les sorties médiatiques de James Dunne auraient même coûté 25 000 euros en frais de communication.

Entre ces deux visions de la liberté d’expression et de conscience des salariés, les conseillers prud’homaux n’ont pas réussi à trancher. L’affaire a été renvoyée à une nouvelle audience dite de « départage », durant laquelle un magistrat professionnel, cette fois, présidera les débats.

BOITE NOIREAprès la publication de cet article, Qosmos a fait parvenir à Mediapart la réaction suivante :

« Qosmos a toujours répété avec force qu’il n’y a jamais eu de livraison de système de surveillance à la Syrie et à la Libye.
 
Vous trouverez à travers les liens ci-dessous 2 communiqués de la société faisant un certain nombre de précisions factuelles, et notamment le fait qu’aucun produit Qosmos n’a jamais été opérationnel ni en Syrie ni en Libye.
·         Communiqué du 18 juin 2013 http://www.qosmos.com/qosmos-confirme-quaucun-de-ses-logiciels-na-jamais-ete-operationnel-en-libye-ou-en-syrie/
·         Communiqué du 3 septembre 2012 http://www.qosmos.com/position-de-qosmos-concernant-la-syrie/
 
Concernant la décision du conseil de prud’hommes dont vous faites état, nous avons pris acte de cette décision et restons confiants dans l’issue de la procédure, tant les faits qui nous sont reprochés par cet ancien salarié sont faux et calomnieux. Nous rappelons que nous avons porté plainte pour diffamation contre cet ancien salarié. »

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