Les femmes musulmanes sont une nouvelle fois dans le collimateur du législateur. Alors que la secrétaire d'État aux droits des femmes, Pascale Boistard, vient de déclarer n'être « pas sûre que le voile fasse partie de l'enseignement supérieur », la commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté, mercredi 4 mars, la proposition de loi (PPL) défendue par les radicaux de gauche (PRG) visant à étendre l’obligation de neutralité aux crèches associatives de droit privé bénéficiant d’une aide financière publique. Déjà adopté au Sénat, ce texte, un temps enterré, doit être examiné dans l’hémicycle jeudi 12 mars. Il pourrait être adopté avec le soutien de l’UMP et du FN, seuls les écologistes s’y opposant frontalement.
Dans le sillage de l’affaire Baby-Loup, qui a cycliquement enflammé l’espace politico-médiatique au cours des dernières années, il interdit, au nom du « respect du principe de laïcité », le port de signes religieux dans les établissements et services accueillant des enfants de moins de six ans et percevant, pour cela, des subventions publiques. Sans le dire, il vise les femmes portant le voile, qui seraient de facto empêchées de travailler dans ces structures, sauf à enlever leur foulard. Outre les crèches, seraient concernés les centres de vacances et les centres de loisirs considérés comme des personnes morales de droit privé.
Au nom du groupe socialiste, le député Philippe Doucet, qui a laissé entendre être en accord avec le gouvernement, a défendu cette PPL, à condition que soit retiré son article 3 qui étend l’obligation de neutralité aux assistantes maternelles exerçant à domicile. Lors du vote, il a obtenu gain de cause : l’ensemble du texte a été adopté à l’exception de cet article. Par conséquent, les nounous gardant les enfants chez elles pourraient continuer de se vêtir comme elles l’entendent. Le rapporteur du texte, le radical de gauche Alain Tourret, a convenu qu’il n’y avait « pas de nécessité » à maintenir cette disposition moins par conviction que parce qu’elle risquait d’être censurée par le Conseil constitutionnel.
L’évolution des soutiens à cette réforme est symptomatique du raidissement de la gauche sur les questions de laïcité. Lorsqu’elle a été votée au Sénat en janvier 2012, à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, à l’initiative de la sénatrice radicale Françoise Laborde, porte-étendard revendiquée d’une laïcité « intransigeante », cette proposition de loi avait fait l’objet d’une « vigoureuse opposition » de la part des socialistes, comme s’est amusé à le rappeler l’UMP Éric Ciotti. Les temps ont changé. L’affaire Baby-Loup, qui a donné lieu à une succession de décisions juridiques contradictoires, est passée par là. Depuis, le climat n’a cessé de se détériorer, incitant certains élus à revoir leurs positions. Quitte à promouvoir un dispositif établissant une distinction entre les personnes en fonction de leur religion, et, en cela, susceptible de contrevenir à l’article 1er de la Constitution qui « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
L’exécutif a ouvert la brèche. Alors ministre de l’intérieur, Manuel Valls avait fustigé l’arrêt de la Cour de cassation qui avait invalidé le licenciement par la crèche de Chanteloup-les-Vignes de son employée voilée. Plutôt que de le recadrer, François Hollande l’avait conforté. La décision de justice en question, en date du 19 mars 2013, avait rappelé que Baby-Loup, en tant que structure de droit privé, ne pouvait pas être considérée comme « gérant un service public » et qu’à ce titre, elle n’était pas soumise aux mêmes obligations de neutralité que les agents publics. Pour contourner la difficulté, le président de la République avait appelé de ses vœux une loi élargissant le champ de l’interdiction des signes religieux dans certains lieux de travail « dès lors qu’il y a contact avec les enfants » et notamment dans les « crèches associatives avec des financements publics ». Il semble que les élus, malgré l’opposition de l’Observatoire de la laïcité à un tel dispositif, l’aient entendu.
« On est tellement pillé qu’on ne sait même plus ce qu’on nous prend », a lancé le député « Rassemblement bleu Marine » Gilbert Collard en commission des lois, soulignant que lui aussi avait antérieurement déposé une proposition « du même ordre ». « Il est utile qu’on érige des garde-fous », a surenchéri Éric Ciotti. Favorable au texte dans sa globalité (y compris l’article 3), ce dernier a regretté qu’il n’aille pas plus loin, les entreprises privées et les universités devant être, selon lui, concernées. Élu UMP des Yvelines, département d’attache de Baby-Loup, Pierre Lequiller a lui aussi plaidé en faveur d’un projet de loi plus large englobant la « totalité des problèmes » que pose, selon lui, l’application du principe de laïcité. En attendant, et faute de mieux, a-t-il ajouté, il votera ce qu’il perçoit comme des avancées. « Bien sûr », a-t-il insisté.
En réponse à ces requêtes, le rapporteur affirme qu’il aurait voulu faire plus, mais, se justifie-t-il, en tant qu’« homme du consensus », il a préféré opter pour la « stratégie des petits pas ». Les rares récalcitrants, Alain Tourret a tenté de les prendre par les sentiments. « Ce sont des enfants de moins de six ans, ils ont le droit d’être protégés contre toute dérive communautariste ! » s’est-il exclamé sans gêne.
Évitant de relever les atermoiements du groupe socialiste, Philippe Doucet s’est voulu rassurant. Comme pour minimiser l’enjeu politique, il s’est retranché derrière un souci de pragmatisme. Cette PPL, a-t-il déclaré, va permettre d’éviter les polémiques en offrant un cadre législatif « stable ». Les débats gagneront en « sérénité » et en « tranquillité », veut-il croire. Inclure les assistantes maternelles ne lui paraît toutefois pas pertinent. « Les parents ont le choix quand même. Il y a rarement une seule nounou par quartier ou par ville. Il existe des solutions alternatives [aux assistantes maternelles portant le voile] », indique-t-il, reconnaissant implicitement que la question de l’incertitude juridique éventuellement invocable pour les personnels de crèches privées ne se pose pas pour les employées sous contrat de droit privé que sont les assistantes maternelles, étant donné qu’elles sont choisies par les parents.
Porte-parole des écologistes, Sergio Coronado s’est retrouvé quasiment seul à dénoncer un texte « stigmatisant à l’égard d’une population déjà suffisamment stigmatisée ». Interdiction du voile à l’école en 2004, refus du niqab dans la rue en 2010 : le durcissement de la législation à l’encontre des jeunes filles et des femmes musulmanes est continu, observe-t-il. L’élu se sait minoritaire. « Je vois bien qu’il y a une convergence large » des radicaux de gauche à l’extrême droite, constate-t-il. « Je ne ferai pas partie de ce "consensus républicain" », insiste-t-il.
Relisant les articles 9 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sur la liberté de pensée, de conscience et de religion et sur l’interdiction de discrimination, il a dénoncé le caractère « discriminatoire » de mesures qui risquent d'avoir un effet économique et social catastrophique pour les femmes concernées. « Paradoxalement, on peut se demander si ce texte ne vas pas encourager la création de crèches religieuses aux financements totalement privés », a-t-il souligné.
« Ma grand-mère italienne a porté le fichu jusqu’à la fin de sa vie et ça n’a jamais gêné personne », a de son côté martelé le socialiste Patrick Mennucci, en désaccord avec son groupe. Cette PPL, estime-t-il, « ne règle rien ». Le manque de places en crèches, selon lui, est plus problématique que les croyances religieuses de leur personnel. Il n’est pas certain, enfin, que l’objectif de sécurité juridique soit atteint, comme l’a relevé l’UMP Édouard Philippe qui, en proie au doute, s’est interrogé sur le sort des associations d’aide aux devoirs et des services de garderie notamment lorsqu'ils impliquent la participation des parents.
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