Au terme d’une des courses de lenteur dont elle a le secret, la justice française vient de clore définitivement un dossier ouvert voilà dix-huit ans, celui des faux électeurs du Ve arrondissement de Paris. La chambre criminelle de la Cour de cassation, présidée par Didier Guérin, a en effet rejeté ce mardi les pourvois formés par l’ancien député et maire Jean Tiberi, son épouse Xavière, ainsi que l’ancienne première adjointe à la mairie du Ve, Anne-Marie Affret (on peut lire l’arrêt de la chambre criminelle ici).
Les condamnations de ces trois personnalités pittoresques de l’UMP, prononcées par la cour d’appel de Paris le 12 mars 2013, sont donc définitives. Jean Tiberi (élu dans l’arrondissement de 1965 à 2014) avait été condamné à 10 mois de prison avec sursis, 3 ans d’inéligibilité et 10 000 euros d’amende, son épouse Xavière (jamais élue, mais toujours présente) à 9 mois de prison avec sursis, 2 ans de privation de droit de vote et 5 000 euros d’amende, et la très dévouée Anne-Marie Affret à 8 mois de prison avec sursis et 1 000 euros d’amende.
Le trio a donc été reconnu définitivement coupable de la mise en place d’un système frauduleux ayant consisté à inscrire en nombre dans le Ve arrondissement des électeurs qui n’y habitaient pas, mais avaient sollicité un logement, une place en crèche, ou étaient simplement réputés favorables aux Tiberi.
Ce mardi, les époux Tiberi ont immédiatement fait savoir qu'ils allaient déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). L’ancien maire de Paris a réaffirmé dans un communiqué n’avoir « jamais, de quelque manière que ce soit, participé à l’affaire dite des listes électorales des élections du Ve arrondissement de Paris de 1997 ». « J’ai toujours contesté les faits qui me sont reprochés, rappelant que je n’ai jamais été mis en cause par aucun témoin, par aucun électeur, et qu’ainsi, le dossier ne contient aucune preuve matérielle m’impliquant », a-t-il réagi. La ligne de défense des Tiberi est immuable : nier ad nauseam.
(Voir ci-dessous un reportage de France 2 sur la mise en examen de Xavière Tiberi, en 2000.)
Après une enquête du Canard enchaîné ayant révélé le scandale, puis la plainte d‘un militant écologiste et d‘une candidate PS, la justice s’était saisie avec beaucoup de précautions des faits relatifs aux municipales de 1995 et aux législatives de 1997. Au moment de ce dernier scrutin, quelque 7 228 personnes étaient inscrites frauduleusement sur les listes électorales du Ve, et 3 315 d’entre elles avaient effectivement voté, or Jean Tiberi n’avait été élu député contre la candidate PS Lyne Cohen-Solal qu’avec 2 725 voix d’avance.
En dépit de sa gravité symbolique et de ses conséquences antidémocratiques, le délit de « manœuvres frauduleuses de nature à altérer la sincérité du scrutin » n’est – curieusement – réprimé que par une peine maximum d’un an de prison et 15 000 euros d’amende (selon l’article L88 du Code électoral). Ce qui explique pour partie la modestie des condamnations prononcées dans cette affaire.
Pendant les dix-huit ans de procédure, l’affaire Tiberi a, en tout cas, connu un cours très tortueux. En février 2008, un incident rarissime avait opposé le procureur de Paris, Jean-Claude Marin (aujourd’hui procureur général près la Cour de cassation) aux juges d’instruction Jean-Louis Périès et Baudoin Thouvenot : ces derniers avaient renvoyé les Tiberi en correctionnelle sans les réquisitions du parquet, qui se faisaient attendre depuis de longs mois (comme dans l’affaire Dominati). Furieux, Jean-Claude Marin avait alors accusé les deux juges d’instruction de « s’immiscer » dans la campagne électorale, les municipales ayant lieu un mois après.
L’affaire avait été commentée vertement par le Syndicat de la magistrature dans une « Lettre ouverte à ceux qui feignent de croire à l’indépendance du parquet », le 29 octobre 2009. Comme d’autres affaires, dont celle des salaires de complaisance versés à Xavière Tiberi par le conseil général de l’Essonne, dans laquelle on avait cherché à joindre un procureur en envoyant un hélicoptère dans l’Himalaya, celle des faux électeurs n’a pas contribué à redorer le blason des hiérarques du parquet, liés statutairement au pouvoir exécutif, et en butte à une éternelle suspicion.
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