Suite au conflit qui a opposé le député des Yvelines Benoît Hamon au ministre de l'économie Emmanuel Macron concernant le « projet de loi pour la croissance », nous avons souhaité questionner l'ancien ministre de l'éducation nationale sur son positionnement politique.
L'entretien s'est logiquement déroulé en trois parties. La première concerne la loi Macron et l'opposition farouche du député des Yvelines au travail du dimanche ; la deuxième revient sur le contexte politique particulier d'union nationale après les attentats du 7 janvier. Dans la troisième partie, nous abordons les questions concernant les élections départementales et le congrès du PS prévu pour juin 2015. Benoît Hamon revient également sur ses deux ans au gouvernement, son impossibilité de modifier le cap fixé par François Hollande et son erreur d'avoir pensé que le remaniement ministériel permettrait une inflexion de la politique économique.
MEDIAPART. Sur la loi Macron, n’y avait-il vraiment pas moyen de trouver un compromis sur le travail du dimanche ? Cette histoire de compensation salariale est-elle une raison valable pour ne pas voter ce texte alors qu’on parle de plus de 3 000 amendements étudiés et de plus de 300 articles ?
BENOÎT HAMON. Pour les salariés c’est important. Ce n’est pas une question de dogme, nous nous sommes posés la question de savoir chapitre par chapitre ce qui nous semblait favorable aux salariés et ce qui constituait une mesure inefficace pour l’emploi et le pouvoir d’achat.
Je reprends à mon compte l’idée de Martine Aubry : ouvrir de nouveaux temples de la consommation n’est pas une priorité. Il y a déjà la possibilité d’acheter sur internet 7 jours sur 7, 24h/24. On s’adresse à nos électeurs comme à des consommateurs et plus assez comme à des bénévoles, des citoyens, des salariés, des syndicalistes, des femmes et des hommes préoccupés de l’intérêt général et pas seulement de leur consommation au jour le jour. Cependant une fois la décision du gouvernement prise d’étendre le travail le dimanche, il me semblait essentiel de muscler les contreparties salariales pour ceux qui le choisissent ou s’y résolvent par nécessité.
Pour la gauche, l’extension du travail du dimanche est une vraie métamorphose sémantique : c’est considérer aujourd’hui que la liberté individuelle de travailler le dimanche prime sur le droit collectif au repos dominical.
Ne proposiez-vous pas à Emmanuel Macron un accord politique plutôt qu’un rejet total des articles concernant le travail du dimanche ?
J’ai été très vite convaincu que le gouvernement voulait passer passer coûte que coûte sur ce dossier, la position la plus responsable consistait à négocier le niveau des compensations salariales. Je leur ai proposé d’instaurer un seuil pour ne pas négocier en deçà d’1,2 fois le salaire. On m’a répondu que « si vous mettez un seuil à 1,2, tout le monde négociera pour rester à 1,2 ; faisons confiance au dialogue social ». Mais si nous ne mettons pas de seuils, le risque est que les négociations aboutissent au salaire + un euro.
Cette proposition n’est en rien une manière de fausser le dialogue social. En matière d’heures supplémentaires, les partenaires sociaux peuvent négocier le montant de leur majoration dans la limite d’un plancher équivalent à 10% du salaire. Ma proposition consistait tout simplement à aligner le régime des compensations pour les heures travaillées le dimanche sur celui déjà existant des heures supplémentaires. Cela eut été une protection précieuse dans toute une série de secteurs du commerce où nous savons pertinemment que le rapport de force n’est pas favorable aux salariés.
Si l’accord que vous proposiez avait été obtenu, auriez-vous voté ce texte ?
Comme d’autres, je me serai abstenu et le texte serait peut être passé. Les sondages d’opinion disent que les Français sont favorables à ce texte. Mais sans faire injure à qui que ce soit, qui sait que dans ce texte un plan social pourra être homologué non plus en tenant compte des moyens du groupe mais seulement en fonction des moyens de l’entreprise ? S’ils pensent en effet que la loi Macron est formidable, alors les Français voteront pour nous aux cantonales.
Sur quels autres articles êtes vous opposé à la loi Macron ?
Les privatisations, la facilité plus grande désormais de mettre en œuvre les plans sociaux, la création d’une niche fiscale en faveur de la distribution d’actions gratuites, la possibilité de légiférer par ordonnance en matière environnementale, tout cela me pose différents problèmes. Des personnalités comme Pierre Joxe ont dit ne plus reconnaitre leur famille politique dans ce texte (lire ici son entretien sur Mediapart). A bien des égards, nous y décousons ce que les lois Auroux avaient obtenu en 1982 en faveur des salariés. Quand un texte est encensé par le premier quotidien libéral français et qu’il manque d’être voté par plusieurs parlementaires de l’UMP et l’UDI, c’est que quelque part, la question de sa carte d’identité politique est posée.
On peut appeler ça du pragmatisme. C’est un peu l’air du temps, il n’y aurait plus de solutions de gauche ou de droite mais des réponses efficaces ou inefficaces. Si c’est le cas, j’invite les partisans du pragmatisme à créer le parti pragmatique. Ce parti devrait selon leur raisonnement gagner toutes les élections.
Lorsque vous faisiez partie du gouvernement, vous étiez pour une réorientation de la politique économique. En misant sur le remaniement ministériel pour aboutir à une telle inflexion, pensez-vous avoir fait une erreur ?
Nous avons fait une erreur de croire que le changement de Premier ministre permettrait une modification du cap. C’est vrai, je pense que je me suis trompé. À politique économique constante, je redoutais que la situation sociale s’aggrave et que nous aboutissions à un affaissement de la république dont le FN sortirait vainqueur. Avec la déflation qui approchait, les inégalités qui se creusaient, l’échec des municipales, le FN premier parti de France, je pensais que tout ceci était de nature à provoquer une prise de conscience dans le gouvernement et un changement de cap.
Je pensais que Manuel Valls regarderait ces réalités en face, qu’il aurait la force de dire à Bruxelles qu’en période de crise nous avons besoin de protéger les Français donc de réclamer une pause dans la réduction trop brutale des dépenses publiques. En ce qui concerne la dépense éducative, la politique de la ville, les politiques de santé et de solidarité, les politiques de justice et de soutien au monde associatif et de prise en charge des jeunes, notre devoir est de dire stop. Et Bruxelles s’en accommodera comme elle s’en est toujours accommodée.
Regrettez-vous d’être parti en août 2014 alors que l’on vous proposait de rester au gouvernement ?
Quel aurait été mon poids politique à rester dans un gouvernement qui affirme une ligne politique et économique que je venais de dénoncer. J’aurais perdu toute forme de crédibilité. Et de fait l’autorité pour diriger un grand ministère comme celui de l’Education nationale. Pour être honnête, je pense que j’y aurai aussi perdu le respect des agents de ce ministère, respect nécessaire pour avancer et poursuivre la refondation de l’école. Assumer ses convictions quitte à partir, les malveillants y verront une désertion, les bienveillants une manière de redorer le blason de la politique.
C’est sûr que j’aurais préféré être un ministre de l’Education pendant trois ans avec un bilan formidable et un gouvernement de gauche qui aurait réduit le chômage, les inégalités et amélioré la vie des Français pauvres ou modestes, mais ce n’est pas le chemin qui est pris.
Est-ce que les différentes nuances de socialistes de l’aile gauche tels les “socialistes affligés” ou les “frondeurs” sont évincés de la majorité ?
Manuel Valls s’est publiquement prononcé il y a quelques mois en faveur d’une alliance des socialistes et du centre. Le 49-3 lui permet de ne pas condamner à l’échec le rassemblement auquel il a travaillé sur ce texte, c’est à dire une alliance PS-UDI. Le soin qu’aura mis son cabinet à rechercher les voix de l’UDI plutôt que les votes du PC, des écologistes, ou des socialistes inquiets par ce texte est assez significatif. Les “frondeurs” ont été évincés de la commission spéciale et donc exclus du travail de préparation législatif
Il y a quand même eu quelques rapporteurs thématiques…
Oui et c’était tactiquement et politiquement bien vu de la part d’Emmanuel Macron. Car les rapporteurs sont tous d’excellents députés. Son but était de neutraliser le vote de quelques dizaines de députés mais ce n’est pas comme ça qu’on fait de la politique. Ce n’est pas en allant chercher les voix de l’UDI par des compromis politiques et en neutralisant par des rappels à la discipline les voix des socialistes les plus mécontents que l’on peut aboutir à une grande loi.
Le Premier ministre et le ministre de l’Economie ont trop parié sur la tactique là où il fallait construire des majorités sur des projets politiques. Pourquoi n’y a-t-il pas eu une volonté politique de construire ce compromis ? C’est la question qui est posée et c’est au Premier ministre d’y répondre.
Est-ce un tournant ? Que ce soit dans la suite du parcours législatif de cette loi ou sur les prochains textes, peut-on continuer ainsi à l’Assemblée nationale ?
C’est au Président de la république de dire ce qu’il veut. Il y a eu beaucoup de provocations qui ont conduit à la division, notamment quand Emmanuel Macron a parlé de remettre en cause les 35 heures. Le Premier ministre aussi a évoqué les renversements d’alliance, dit un amour de l’entreprise qui ressemblait plus à une déclaration aux chefs d’entreprises qu’à leurs salariés. Ce sont des prises de position qui heurtent des députés et des électeurs socialistes.
On ne peut pas provoquer délibérément la division comme un enfant qui saute dans une grosse flaque d’eau et éclabousse tout le monde autour. Ceux qui sont éclaboussés se plaignent, mais c’est celui qui est au milieu de la flaque qui pique une grosse colère. Le Premier ministre divise, ces divisions font réagir et à la fin il peste contre les irresponsables et appelle à l’unité. Moi quand on m’éclabousse délibérément, je réagis.
On prônerait donc d’un côté “l’esprit du 11 janvier” et de l’autre on briserait cette unité nationale en faisant de la basse politique ou de la division à gauche face au péril fasciste voire islamiste ou “islamo-fasciste” pour reprendre les termes de Manuel Valls ?
On est arrivé à convoquer les attentats contre Charlie, l’Hyper casher et la jeune policière de Montrouge, pour justifier le passage de cette loi. On a quatre millions de personnes qui défilent dans la rue pour défendre la liberté d’expression et une démocratie vivante et puis derrière, on en conclut que pas une voix ne doit manquer au vote de la loi Macron. C’est significatif de la faiblesse des arguments.
Comment faire de la politique dans ce contexte ?
Je crois que le Premier ministre a des convictions donc je ne parlerais pas de postures. Pareil pour le ministre de l’Economie, je n’ai pas supporté qu’on le caricature en banquier. Lui comme le Premier ministre assument une orientation sociale libérale qui n’a nul besoin d’être caricaturée pour qu’on souligne l’échec en France et dans toute l’Europe. Ceci dit, il y a une grande violence dans le débat politique avec des oukases posés par les uns ou les autres comme des fins de non-recevoir, d’impossibilité de travailler ensemble, une logique d’émiettement où tout le monde est replié sur soi.
Christian Paul, député PS de la Nièvre, ou Laurent Baumel, député PS d'Indre-et-Loire, évoquent à voix haute l’objectif de démettre Manuel Valls. Entre lui et vous, il y a deux approches de la politique et deux lignes quasiment opposées, c’est également votre objectif ?
Ça n’est pas mon sujet. Cette décision ne nous appartient pas et focalise inutilement le débat sur une personne. On a eu raison de souligner l’échec de sa méthode à l’occasion de son usage du 49-3 et de rappeler sa responsabilité dans la fracture de la majorité. Mais la décision de changer de Premier ministre appartient au président de la République.
L’ancien et éphémère ministre de l’Education que vous êtes aurait-il défendre les mêmes positions que le pouvoir dans la foulée des attentats de Paris en matière de “réponse scolaire” ?
Le temps de l’éducation n’est pas celui de la sécurité, on agit forcément sur du long terme. Quand on regarde le parcours de d'Amedy Coulibaly ou des frères Kouachi, il faut se poser la question de ce que l’on a raté pour pouvoir prévenir demain des trajectoires qui pourraient être semblables.
En matière de prise en charge de la petite enfance, de protection judiciaire de la jeunesse, de suivi post-incarcération, qu’a-t-on raté ? Y répondre permet de tirer des leçons, donc des politiques pour empêcher demain que ce ressentiment à l’égard de l’Etat ne se transforme en dérive violente et terroriste.
Il s’agit bien d’un ressentiment à l’égard de la République. Personne ne dit : je n’aime pas l’égalité ou la fraternité. En revanche, on vous dira : l’Etat me discrimine, l’Etat relègue mes parents, la réussite est réservée à certains. Cela veut dire que l’autorité de l’Etat, qui est pourtant en France l’instrument principal de la promesse républicaine d’égalité et de juste sociale, n’est plus respectée.
Qu’aurait-il fallu faire selon vous?
Quand le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, à la demande de Manuel Valls à l’époque ministre de l’Intérieur, a décidé d’enterrer l’expérimentation sur les récépissés de contrôle d’identité, nous avons, nous les socialistes, abandonné une opportunité de montrer nos différences avec la politique sécuritaire à la Sarkozy. Car un contrôle au faciès mène à davantage d’exclusion et de stigmatisation qu’il ne permet de maintenir l’ordre public.
Je pense aux associations qui défendaient cette mesure et qui avaient cru en la gauche. Je ne vois pas comment elles peuvent nous faire confiance aujourd’hui. Nous avons fait un choix qui conduit à dire comme Coluche « on est tous égaux mais y en a qui sont plus égaux que d’autres ».
Vous faites partie de la commission des affaires étrangères, où se tiennent des propos assez durs, venant de députés UMP comme PS, à l’encontre des musulmans (« ils sont unis contre nous », « ressortissants de l’Islam »)… Y-a-t-il un moment néoconservateur en France ?
Déjà, il convient de bien distinguer la complexité de l’islam radical, en s’appuyant sur les travaux universitaires. Cela permet de comprendre ce qu’est cette nébuleuse et les conflits internes qui la traversent : la différence entre chiisme et sunnisme, la différence à l’intérieur de l’islam radical sunnite entre les Frères musulmans, Al-Qaïda et l’Etat islamique… C’est certes surtout de la compréhension théorique, mais c’est fort utile. Je pense indispensable, surtout pour un politique, de s’arrêter, de s’instruire avant de parler à tort et à travers de questions qui heurtent la sensibilité de nos compatriotes.
Par exemple, lire Les croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf permet de comprendre qu’au XIIe siècle, les croisés chrétiens étaient considérés par les guerriers arabes comme des barbares fanatiques, ce qui effrayait leurs contemporains. Le fanatisme moderne n’est qu’une continuité du fanatisme ancien, seuls les moyens, les technologies ont évolué. Tout ça pour dire qu’il faut bien prendre soin de préciser que l’on combat le fanatisme religieux, et pas une religion.
Ensuite, justement parce que nous sommes une République proclamant l’universalité des droits aux citoyens qui la composent, nous n’avons pas le droit de demander à certains de nos concitoyens, ceux de religion musulmane, de montrer une patte plus blanche que d’autres, de manifester un peu plus, ou d’écrire des communiqués, là où ils se sentent tout aussi heurtés que nous par ces attentats.
Il y a chez certains dirigeants politiques le sentiment qu’il y aurait une petite puce électronique, un logiciel enfoui derrière l’oreille de chaque musulman, prêts à s’activer et à les transformer en sympathisants des causes les plus extrêmes, voire en extrémistes. C’est la énième version de l’islam incompatible avec la démocratie, ou de certaines populations qui n’auraient pas vocation à s’intégrer.
Quand je discute avec certains jeunes ou adultes de ma circonscription qui oscillent entre le « ils l’ont cherché, ils ont caricaturé le prophète » et les thèses complotistes, je commence par leur dire qu’il faut déjà choisir entre l’une et l’autre thèse et arrêter de chercher tous les prétextes pour ne pas regarder la réalité en face. J’argumente surtout avec les plus jeunes dont il faut accepter les questions même quand elles vous font peur ou déroutent. Il faut affronter ceux qui disent ça sur le terrain, par la discussion, sans faiblesse.
Le rôle des politiques est de bien distinguer la lutte contre le fanatisme et le djihadisme du malaise profond exprimé par une partie de nos compatriotes à l’égard des institutions de la République et qui peut se manifester pour les uns, par une sympathie teintée de provocation à l’égard des auteurs des attentats, pour d’autres par le vote en faveur du Font National.
Pourquoi les débats sur la laïcité sont-ils si tabous à gauche ? On a le sentiment que les responsables des partis préfèrent les mettre sous le tapis pour ne pas avoir à se diviser…
Comme ministre de l’Education, j’avais rappelé qu’un professeur d’arts plastiques ne serait pas dans son rôle s’il proposait une leçon de dessin sur la base d’une caricature de Mahomet. Et cela en vertu d’une circulaire datant de Jules Ferry, en 1883 : « Vous êtes l'auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l'on parlât au vôtre ; avec force et autorité, toutes les fois qu'il s'agit d'une vérité incontestée, d'un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d'effleurer un sentiment religieux dont vous n'êtes pas juge. »
En clair, si je choisis comme modèle le prophète Mahomet alors que ça va heurter et fermer un seul de mes élèves, je rate ma mission de transmission d’un savoir. En revanche, il faut enseigner le rôle du caricaturiste et du journaliste et combien leur place est importante dans une société qui reconnaît la liberté d’expression et le droit de blasphème. C’est ce que font les professeurs tous les jours, et on ne doit rien négocier à la vérité historique dans un cours sur la Shoah ou sur l’histoire du conflit israélo-palestinien au motif que certains élèves contesteraient l’autorité des programmes d’Histoire. Enseigner, c’est chaque jour faire preuve d’autorité et de discernement.
Aujourd’hui, il y a des militants dans l’islam politique radical qui veulent bouleverser cet équilibre. Séparer filles et garçons lors des cours de gymnastique, aménager les menus à la cantine, contester certains enseignements. Mais il y a aussi des gens qui ont une approche parfois anxiogène de la laïcité et considèrent qu’on vit dans un état de siège permanent. L’école n’est heureusement pas une citadelle assiégée en permanence par les intégristes de tous poils. Cessons donc de faire de l’école un théâtre de conflits permanent entre adultes. Comment les enfants pourraient ils ensuite être imperméables à la violence des conflits entre adultes dans et autour de l’école.
Enfin, il y a aussi ceux qui se servent de la situation pour faire leur commerce politique. Le sujet du voile à l’université illustre bien cela. Alors qu’il n’y a aucun problème sérieux nulle part, il a suffi qu’un professeur décide d’exclure deux femmes voilées et se fasse sanctionner. On peut être d’accord ou pas avec ses convictions, mais c’est lui qui a enfreint la règle. Eh bien l’UMP décide d’en faire un sujet : il faut interdire le voile à l’université. C’est irresponsable. je ne souhaite pas que le gouvernement ouvre ce débat inutile.
Ministre de l’Education, vous n’avez pas touché à la circulaire Châtel sur l’interdiction des sorties scolaires pour les mères voilées…
À mon sens, elle doit être appliquée avec discernement. Là où il y a du prosélytisme, on n’accompagne pas. Mais qu’une maman accompagne un enfant avec un simple foulard sur la tête, ça ne pose pas de problème.
Mais qu’appelez-vous du prosélytisme ?
Quand on remet en cause le contenu de l’activité, qu’on ne parle qu’à certains élèves en ignorant ostensiblement d’autres, qu’on donne des conseils d’ordre religieux… Les professeurs gèrent ça souvent sur le terrain. Quand un comportement de ce type se produit, il n’y a généralement pas de sortie suivante pour le parent d’élève.
Sur quoi allez-vous faire campagne lors de ces départementales ? Quels sujets peuvent faire l’unanimité dans un parti qui semble autant divisé ?
Dans un contexte de pénurie d’argent public, j’ai pu observer comme ministre le formidable dynamisme de nos maires et nos présidents de conseils généraux en matière de développement de l’économie sociale et solidaire, de service public et de solidarité. S'ils étaient jugés non pas sur les échecs des politiques nationales mais à l’aune de leur succès de politique locale, ils auraient plus de chance de rester en poste.
Il y a aussi de quoi faire campagne sur la politique gouvernementale, sur l’éducation, la justice, la politique étrangère ou de défense, il y a matière à défendre le bilan. Le problème, c’est que nos électeurs ont plus tendance à regarder notre influence sur la création d’emplois ou sur la réorientation des politiques européennes, la relance du pouvoir d’achat, notre capacité à mettre en place des compensations à tout allègement de charges. En matière de santé, Marisol Touraine fait du bon travail, comme sur la généralisation du tiers payant, mais ce qu’elle met en œuvre ne prendra pas effet tout de suite.
Vous dîtes n’être qu’un simple déposant de contribution en vu du Congrès du PS. Ce congrès va vraiment se jouer dans les dix jours séparant le résultat des départementales (29 mars) et le dépôt des motions (11 avril) ?
En même temps, tout le monde sait sur quoi il va se jouer. Considère-t-on que l’orientation politique et sociale de ce gouvernement répond aux attentes des Français, d’abord l’emploi et la baisse du chômage et peut permettre au candidat socialiste de gagner la présidentielle ? Ou considère-t-on que cette politique a jusqu’ici échoué et qu’il faut en changer un certain nombre de paramètres ?
Ce débat existait déjà au moment de Frangy à la fin du mois d’août (c'est lors de la fête de la rose à Frangy à l'été 2014, que Benoit Hamon et Arnaud Montebourg ont demandé une inflexion de la politique économique du gouvernement), il existait au lendemain des municipales, et il existait avant à l’intérieur du gouvernement quand Christiane Taubira, Cécile Duflot, Arnaud Montebourg et moi faisions entendre publiquement nos doutes. C’est ce débat qui doit être tranché lors du congrès, en s’évitant la posture du « plus à gauche que moi tu meurs ».
C’est-à-dire ?
Ça me paraît difficile de pouvoir rester longtemps dans le récit de l’épopée du socialisme triomphant, et de faire passer dans le même temps une remise en cause des seuils sociaux, la facilitation des licenciements, la fin des CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), permettre davantage de privatisations, défiscaliser la possibilité d’actions gratuites sans donner de coup de pouce au Smic.
Une fois que ce débat aura été tranché, ce congrès devra dire ce qu’il faut faire pour répondre à des attentes qui sont nées de 2012. Ce qui nourrit le FN, c’est l’impression que nous sommes résignés et impuissants, l’impression que nous faisons la même chose que nos prédécesseurs. Cette indifférenciation où l’on ne voit plus le clivage droite-gauche et que l’on assume presque au nom du pragmatisme, et que Marine Le Pen a baptisé “UMPS”, fait que le FN est loin devant nous dans les sondages…
Je sais qu’en disant cela, on va m’accuser d’ajouter de la division à la déprime. Mais je fais quoi alors ? Je me tais et j’acquiesce à ce que je pressens être une catastrophe démocratique ? Ou j’exprime ma conviction, qui n’est que le rappel des engagements de François Hollande en 2012.
Je comprends que d’autres militants m’expriment leur mécontentement, mais je ne défends pas le programme de Martine Aubry ou d’Arnaud Montebourg aux primaires. Juste le programme de François Hollande. Je ne suis pas un fétichiste, je sais bien qu’on peut changer en fonction des circonstances. Mais là on n’a pas changé ou amendé. On a fait autre chose que ce qui était prévu.
Avec les amis de Martine Aubry et ceux d’Emmanuel Maurel, vous pourriez ne pas vous mettre d’accord face à Cambadélis ?
J’ai constaté que le Premier ministre et le Premier secrétaire avaient réduit l’opposition à la loi Macron à une stratégie de congrès, que bien sûr ni l’un ni l’autre ne préparent… on verra. Moi je ne veux brusquer personne. Je n’ai même pas encore décidé ce que je ferai.
Il n’y a pas de préalable sur ma candidature. Franchement, j’ai montré que je pouvais assumer mes responsabilités, mais aujourd’hui, beaucoup de gens n’ont pas fait leurs choix, et je ne veux pas être un embarras, un frein. Et puis je ne donne de leçon à personne, j’ai choisi d’être dans la majorité du parti au congrès de Toulouse en 2012, parce que je pensais qu’il fallait se rassembler pour donner plus de chance au changement. Le PS est fragile et il ressemble beaucoup à la défunte SFIO quand il veut concilier des pratiques à droite avec des discours à gauche.
Que faudrait-il y changer, pour éviter de finir comme la SFIO ?
Le premier secrétaire du PS a un rôle clé. Je ne fais aucun reproche à Jean-Christophe Cambadélis aujourd’hui. Ce n’est pas simple, il n’a pas été élu, il gère les initiatives d’un gouvernement qui doit lui-même le désarçonner autant que moi… Il doit quand même composer avec les proches du Premier ministre qui lui demandent d’exclure un tiers du PS… Je vois bien la difficulté de la tâche.
Mais après ce congrès, une chose est sûre : dès lors que le Premier secrétaire est dépositaire du vote et de la parole des militants et des sympathisants socialistes, il doit pleinement faire partie du dispositif. Il doit organiser le rassemblement et la victoire, mais aussi peser sur le cours des politiques. Comme avant lui Lionel Jospin sous les gouvernements Mauroy puis Fabius et François Hollande sous le gouvernement Jospin avaient pesé.
Même si j’ai conscience de la gravité du moment, ce n’est pas l’autoritarisme qui me fera plier sur mes convictions. On peut y voir des calculs ou je ne sais quoi, on peut aussi y voir une volonté de réintéresser à la politique ceux qui n’y croient plus.
Lors d'un meeting de Vive la gauche début décembre, vous parliez de l’impérieuse nécessité pour les socialistes de se dépasser, et de retrouver l’union de la gauche. Peut-il exister un nouveau parti à gauche qui s'impose en France, comme on l’a vu émerger avec Syriza en Grèce?
Il faut laisser Syriza et penser à notre propre histoire. Pour gagner en 2017, la gauche devra être recomposée et imaginer de nouvelles formes de rassemblement possible. Est-ce que ce rassemblement sera une fraction du PS et le centre droit ? Je ne le crois pas ni ne le souhaite. Est-ce que c’est un rassemblement du PS, des écologistes et de tout ou partie du Front de gauche ? C’est ce que je désire. Est-ce possible d’ici 2017 ? C’est compliqué.
Ce qui est intéressant, c’est de valider sur le fond un certain nombre de convergences et d’évolutions politiques. Idéologiquement, je pense qu’il faut réfléchir à un modèle de développement à croissance modeste, intense en emplois et sobre écologiquement. Je ne vous aurais pas dit ça il y a trois ou quatre ans. Je ne crois plus à une stricte relance keynésienne, mais encore à un état stratège pour réduire les inégalités, atteindre le plein emploi et répondre aux impératifs écologiques.
Si ce n’est sur la forme, comment jugez-vous sur le fond les débuts au pouvoir de Syriza ?
Pour l’instant, ils sont fermes. Je leur souhaite de réussir. S’il s’agit d’arriver à un accord sur un rééchelonnement de la dette, c’est parfaitement possible. Ce qui est certain, c’est que les créanciers ne seront jamais remboursés si on ne permet pas à l’économie grecque de se relancer. Et pour cela, il faut au moins une parenthèse.
Ce discours répété selon lequel « il faut tenir ses engagements » est le plus psychorigide et le moins-disant politiquement qui soit. Quand “la France” demande à la Grèce de tenir ses engagements, “la France” devrait aussi se rappeler qu’elle en a vis-à-vis de ses propres électeurs.
BOITE NOIREL’entretien a été recueilli à l'Assemblée nationale, lundi 23 février. Il a duré environ 1 h 30. Il a été relu à sa demande par Benoît Hamon et amendé à la marge, sur la forme.
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