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La mairie du XXe décrète Rokhaya Diallo persona non grata

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Doit-on restreindre la liberté d’expression au nom de Charlie Hebdo ? La maire du XXe arrondissement de Paris, Frédérique Calandra, semble le penser. Celle-ci a fait connaître son refus, ferme et définitif, de voir l’essayiste Rokhaya Diallo, militante pour l’égalité des droits et fondatrice du collectif Les Indivisibles, participer à un débat sur les violences faites aux femmes, le 3 mars prochain, dans le cadre d’une semaine de conférences sur l’actualité de l’égalité entre femmes et hommes (voir ici le programme).

Motif de l’interdiction communiqué aux organisateurs, via un courriel avec plusieurs liens renvoyant aux propos incriminés : avoir « signé une pétition contre Charlie Hebdo » en 2011 ; avoir « notamment décerné un Y’a Bon Awards à Caroline Fourest » ; avoir déclaré que « ce que dit Ben Laden n’est pas faux » (l’échange intégral est à écouter ici) ; avoir enfin estimé que la loi française sur le port du voile est « islamophobe ».

Rokhaya DialloRokhaya Diallo © capture d'écran

« Le refus a été immédiat à peine le programme transmis, explique l’une des organisatrices Sylvie Tissot. Et on s’est ensuite heurté à un refus de discuter sur le veto lui-même. » Co-réalisatrice avec sa sœur Florence d’un documentaire sur la sociologue et militante féministe Christine Delphy, qui sert de fil rouge à la semaine de débats, Sylvie Tissot regrette ce « refus que s’exprime une position idéologique différente de celle de la maire en sa mairie ». De son côté, Rokhaya Diallo ne comprend pas ce qu’elle nomme une « censure » : « Je n’ai pas le droit de m’exprimer dans une mairie de ma ville, alors que je n’ai jamais tenu de propos illégaux. C’est un peu étrange d’avoir marché pour la liberté d’expression et d’agir comme cela ensuite. »

« Le plus incompréhensible, ironise-t-elle, c’est que le cycle de débats est consacré à Christine Delphy, qui dit exactement la même chose que moi, si ce n’est pire. » Elle se demande même si ce ne sont pas ses écrits sur DSK (dans un livre coordonné par Christine Delphy), au titre desquels elle est invitée à ce débat sur les violences faites aux femmes, qui auraient pu susciter le courroux de Frédérique Calandra, socialiste tendance strauss-kahnienne.

De fait, on peine à saisir pourquoi cet oukase spécifique ne vise que Rokhaya Diallo, alors que d’autres intervenantes ont signé la même pétition contestée. La personne même de Christine Delphy, figure du féminisme français autour de laquelle est organisé le cycle de conférences, aurait ainsi pu déclencher les mêmes foudres municipales, celle-ci ayant par exemple fait partie du jury qui a attribué un « Y’a bon awards » à Caroline Fourest (lire ici sa tribune à l’époque). Parmi les invitées à un autre débat auquel participe la maire, on retrouve aussi Ndella Paye, une responsable du collectif Mamans toutes égales, luttant contre les discriminations faites aux mères voilées, notamment afin qu’elles puissent accompagner les enfants lors des sorties scolaires.

« D’une certaine manière, cette histoire montre que le féminisme reste sulfureux », sourit Emmanuelle Rivier. Adjointe écologiste à l’égalité femme-homme, elle estime que « le texte sur Charlie Hebdo en 2011 a droit de cité dans l’espace public », même si elle ne l’a pas signé. « Rokhaya Diallo participe du débat sur le féminisme, elle y apporte sa contribution, dit-elle. C’est une voix qu’on entend peu dans nos milieux, qui nous sort de l’entre-soi. Les femmes doivent s’unir dans les combats pour l’égalité, dans le dialogue et le débat. Pas par l’exclusion. »


Frédérique CalandraFrédérique Calandra © dr


Contactée, Frédérique Calandra assure qu'elle n'a « jamais validé ce programme de débats » et assume : « L'objectif de ces semaines de débats autour du 8 mars, c'est que la mairie délivre son message sur le féminisme. Or le point de vue de Rokhaya Diallo ne peut pas représenter le féminisme. Elle est faite pour le féminisme comme moi pour être archevêque. » À ses yeux, elle ne serait « au mieux qu'une idiote utile de l'intégrisme musulman, au pire un faux nez de Tariq Ramadan » et ne défendrait que « le droit des femmes à se faire voiler ». Et la maire, « ulcérée de recevoir des leçons de féminisme », de s'agacer : « Si on peut voiler quelqu'un en raison de son origine, pourquoi ne pas l'exciser ? Ceux qui voilent les femmes le font parce qu'elles sont impures par nature… Vous vous rendez compte ?! »

Pourquoi ne pas accepter d'en débattre ? « Si un jour Mme Diallo veut débattre, pas de problème, je la défoncerai ! » rétorque-t-elle. Mais pas en mars à la mairie. « Déjà il n'y a qu'une journée consacrée aux droits des femmes, alors on ne va pas perdre son temps à faire reculer le féminisme. » Et pourquoi accepte-t-elle alors la présence de Christine Delphy ? « Je ne la connais pas, mais si elle dit la même chose, je la mettrai dehors aussi », dit-elle, bien convaincue de ne pas cautionner une « ligne » qui conduirait les femmes à « être des esclaves qui réclament leurs chaînes ».

« L’essentiel, c'est que le débat de fond se tienne », tempère de son côté l’élue écologiste Emmanuelle Rivier, accusée par Calandra d'être « minoritaire dans la majorité municipale, et même parmi les élus écologistes de l'arrondissement ». La rencontre, autour des violences faites aux femmes, aura finalement lieu le même jour à la même heure, mais dans une salle non loin (voir le détail ici), sous l’égide d’EELV. « Il était hors de question d’accepter une telle décision », explique ainsi Sylvie Tissot. « Nous espérons bien montrer que nous n’avons pas besoin de l’aval de la maire pour se réunir nombreux dans l’arrondissement et parler politique et féminisme », conclut Rokhaya Diallo.

BOITE NOIRERokhaya Diallo collabore par ailleurs à l'émission « Alters-égaux » de Mediapart. Son dernier numéro est consacré à l'islam et la laïcité (retrouver toutes les émissions ici).

Le directeur de cabinet de la maire du XXe arrondissement a été contacté dimanche soir par courriel. Ce lundi matin, au service de presse de la mairie, on nous a répondu d'envoyer un courriel au service de presse de la Mairie de Paris. Celui-ci est resté sans réponse à l'heure où nous avons publié cet article, en milieu d'après-midi.

Cet article a ensuite été mis à jour avec les propos de Frédérique Calandra, jointe en fin d'après-midi.

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