Gauche, monument en péril avant rénovation ? À un mois du premier tour des élections départementales, les craintes du PS ne semblent pas dissipées par « l’esprit du 11 janvier ». Imaginé par Manuel Valls du temps où il était ministre de l’intérieur, le scrutin néo-cantonal a été réformé pour imposer un ticket obligatoire homme/femme et va désormais concerner l’ensemble du territoire (alors que jusqu’ici, les conseils généraux étaient renouvelés de moitié).
Autre innovation importante, le seuil de qualification au second tour est dorénavant fixé à 12,5 % des inscrits (et non plus des votants). Mais cette refonte (lire le détail ici), qui avait pour but de renforcer le bipartisme en faisant disparaître les triangulaires, tout en nationalisant le suffrage, est en passe de se retourner contre ses inspirateurs.
D’abord, en cas d’abstention moins catastrophique que prévu, l’hypothèse de triangulaires n’est pas forcément à écarter. En effet, le mode de scrutin ayant entraîné un resserrement du nombre de candidats, de par les volontés de rassemblement et les difficultés de recrutement de candidates, ils ne sont plus que 4,43 en moyenne cette année contre 5,12 en 2011, ce qui pourrait mécaniquement rendre plus accessible le seuil des 12,5 % d’inscrits.
Ensuite – et surtout –, les socialistes pourraient d’un coup perdre entre la moitié et deux tiers de “ses” départements, les experts du PS estimant “conservables” entre 20 et 30 départements (contre 60 actuellement). En cause, l’irrésistible montée en puissance du FN et le rassemblement du reste de la gauche contre lui.
« Les appareils ont choisi la stratégie de Mélenchon, enrage le ministre Stéphane Le Foll, en considérant que la défaite du PS est une condition de l’alternative. Du coup, il y a 300 à 400 cantons où la gauche risque d’être éliminée. Mais c’est une connerie, car il n’y a pas d’alternative à gauche ! » Pessimiste, ce très proche de François Hollande ne cache pas son ras-le-bol de « cette exigence à gauche, qui a du mal à comprendre qu’il faille modérer ses ambitions devant les difficultés ». Concrètement, le PS ne sera allié à d’autres forces de gauche que dans 20 % des cantons (le plus souvent là où le danger du FN est le plus fort).
Pour Jean-Christophe Cambadélis, le constat est amer, ainsi qu’il a exprimé lors d’un récent point-presse : « Nous constatons avec regret qu’à notre gauche, la question est moins l’unité que la destruction du PS pour faire une nouvelle gauche. » Pour le premier secrétaire du PS, les attentats de Paris ont toutefois changé la donne. « Face à la dynamique frontiste et au fanatisme religieux, les socialistes doivent être à la hauteur », explique-t-il, avant de synthétiser son relatif espoir d’une de ces formules dont il a le secret : « Les socialistes sont mieux mais pas au mieux. »
Bien que mis à mal récemment, « l’esprit du 11 janvier » a toutefois redonné un peu d’espoir aux soutiens du gouvernement, qui espèrent des répliques de la dernière législative partielle du Doubs, où le candidat PS s’est imposé de justesse face au FN. « Là où être socialiste devenait une honte, ça redevient un peu positif, confie la ministre Marylise Lebranchu. On a de nouveau des demandes de déplacements pour aller soutenir les candidats, ce qui n’était pas du tout le cas pour les municipales. » « On ne ressent pas de rejet sur le terrain, confirme un député. Mais on a toujours la crainte d’une abstention similaire à celle des municipales, avec des gens qui ne nous disent rien en face mais se vengent dans l’urne. »
Sous couvert d’anonymat, cet élu, qui a pourtant voté tous les textes gouvernementaux, a du mal à cacher son ressentiment : « Ce scrutin à la con où tout est renouvelé d’un coup est quand même une brillante idée de Valls, le même qui a annoncé la fin des départements. Sur le terrain, les électeurs sont paumés, ne comprennent rien, ni à leur nouveau canton, ni à quoi va servir le département… » Autre inquiétude exprimée par plusieurs socialistes, la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dite “la loi NOTRe”, définissant les compétences futures du département dans la nouvelle organisation territoriale, qui sera encore en discussion au Parlement lors du scrutin, obligeant les candidats à rester très généraux dans leur campagne programmatique.
Pour l’un des responsables de l’aile gauche du PS, l’eurodéputé Guillaume Balas, la situation est d’autant plus fragile : « La partielle du Doubs l’a montré : le PS peut encore gagner des élections. Mais on court le risque d’une facilité stratégique, celui de s’enfermer dans une bataille républicaine où on ne se poserait plus aucune question. » Pire, cet enfermement dans une posture républicaine sans contenu précis reviendrait à dire, toujours selon Balas, que « notre politique économique va marcher, alors qu’elle ne fonctionne pas, que nous n’arrivons pas à faire en sorte que notre politique soit soutenue, et qu’elle continue d’alimenter la désunion profonde de la gauche ». Ou pire, pour le PS, le rassemblement du reste de la gauche contre lui.
Car ce scrutin départemental revêt ainsi un caractère inédit : dans une majorité de départements, Front de gauche (FDG) et écologistes vont faire un bout de chemin cantonal commun. Ainsi, Europe Écologie-Les Verts (EELV) sera allié au FDG dans 43 % des cantons où il présente des candidats, contre 18 % allié avec le PS (et 36 % en autonome).
« Dans plus de 50 départements, il y a au moins un accord dans un canton avec le Front de gauche, contre 38 départements avec le PS », analyse David Cormand, responsable des élections à EELV. « À chaque fois, les décisions se sont prises à l’échelle du canton, sans aucune pression des appareils politiques nationaux, ajoute-t-il. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il y a un manque d’appétence très partagé chez les militants, ainsi qu’une disponibilité pour une convergence alternative. » Et d’enfoncer le clou : « En fait, les militants d’EELV connaissent exactement le même désamour vis-à-vis du pouvoir que les Français. Ils ont cru au rassemblement puis au changement, avant de voir leur déception grandir sans cesse. »
Pour autant, l’émergence d’une concurrence alternative à gauche n’est pas (encore) l’objectif affiché. « Entre l’adhésion coûte que coûte au gouvernement et l’alignement sur le Front de gauche, la grande majorité de la base du mouvement se situe au milieu », dit Cormand, pour qui on ne peut pas encore parler de « renversement d’alliance », mais d’une « volonté commune de construire autre chose ». « Après, ça va être un premier test pour voir si cette formule peut passer devant le PS, dit-il, voire permettre d’avoir des élus dans un scrutin majoritaire. » Un point de vue expérimental que partage le Front de gauche.
« Ce grand nombre d’accords est un fait nouveau, qui peut modifier l’état du rapport de forces à gauche, estime ainsi Pierre Laurent, secrétaire national du PCF. Comme avec les socialistes critiques, tout le monde cherche une solution à la situation et a conscience qu’il ne faut pas s’enfermer dans des tête-à-tête ». Pour son homologue du Parti de gauche, Éric Coquerel, l’ambition est également « modeste ». « Nous espérons repartir de l’avant par rapport aux européennes et franchir des caps à certains endroits en passant devant le PS, explique-t-il dans un entretien à Mediapart. L’exemple reste notre résultat à Grenoble aux municipales. Si on sort de ces élections avec plusieurs démonstrations de ce type, ce sera une réussite.»
Ce rapprochement entre écologistes et Front de gauche va enfin devoir surmonter l’obstacle de l’entre-deux tours pour ne pas trop se désunir et espérer prospérer dans la foulée de ces départementales. La question des désistements ou des appels à voter pour le PS pourraient ainsi laisser apparaître des divergences d’appréciations entre les différentes forces représentées. Tout comme en cas de Front républicain, où chacun a par exemple un point de vue spécifique sur le « front républicain » (plutôt la règle pour EELV, plutôt l’inverse pour le PG, plutôt au cas par cas pour le PCF). Après, du prochain congrès du PS aux régionales en passant par l'initiative des Chantiers d'espoir, une autre histoire pourra peut-être commencer.
BOITE NOIRETous les propos cités dans cet article ont été recueillis ces dix derniers jours, lors d'entretiens téléphoniques ou en face-à-face.
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