L’existence même de cette “Alternative” est un événement en soi. Il a suffi d’une élection, et de la volonté politique fermement affichée par Syriza pour que la nécessité soit soudain moins nécessaire. Il n’y avait rien à discuter parce que toute discussion était irresponsable, et voilà que les responsables les plus ardents, et les plus fidèles au dogme, se mettent à distiller des propos renversants.
Le porte-parole du ministère des finances allemand essaie ainsi de sauver la face, comme au bon vieux temps, en affirmant que « la seule voie possible est une extension du programme (de financement de la Grèce par la Troïka) », alors que ce programme est rejeté par les Grecs, Berlin se dit dans la foulée « prêt à discuter des contours du programme ». Et le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, a beau se montrer très pessimiste, parce que, dit-il, « les Grecs ont de très grandes ambitions mais, étant donné l’état de leur économie, les possibilités sont limitées », son pessimisme autrefois fondamental se replie sur une affaire de calendrier : « Je ne sais pas si nous y arriverons lundi », lâche-t-il avec gravité. Qu’il se rassure, mardi ne sera pas un drame.
Entre Syriza, qui demandait “l’inconcevable”, pour ne pas dire le “diabolique”, et l’Europe libérale qui s’affolait à l’idée même que de telles “folies” puissent être énoncées par un gouvernement, un marchandage est bel et bien cours, un marchandage classique, où chacun fait une part du chemin. Les Grecs ne demandent pas la lune, mais la fin d’une austérité ressentie comme cruelle, négative en terme économique, et humiliante, et l’Europe maintient le principe d’un assainissement des finances, mais renonce comme par miracle aux privatisations, au changement sur la législation des licenciements collectifs, à une nouvelle baisse des retraites, et elle s’apprête à entériner la hausse du salaire minimum.
On reviendrait en fait sur 30 % des mesures prévues par le plan d’aide, en ne pariant plus sur la seule baisse de ce qu’on appelle les dépenses publiques, c’est-à-dire la santé, l’éducation, la culture, etc., mais en mettant l’accent sur la lutte contre la fraude fiscale, contre la corruption, ou contre les arrangements qui permettent à la très riche Église ou aux armateurs milliardaires de ne pas payer d’impôts.
Au-delà du détail technique des mesures envisagées, la dimension de l’évènement n’est pas économique mais bel et bien politique. Le fameux “Tina” (There is no alternative) stipulait que l’État n’était pas la solution, mais le problème, ce qui impliquait la disparition de la puissance politique dans le domaine économique. La négociation avec la Grèce, par sa seule existence, marque son grand retour. En disant niet à ce qu’on appelle la Troïka (FMI, Commission européenne, Banque centrale européenne), la Grèce a rappelé qu’un gouvernement issu des urnes pesait autant, sinon plus, qu’un coefficient multiplicateur, une statistique ou un calcul comptable.
Et le plus frappant dans cette affaire, pour ne pas dire le plus piquant, c’est qu’au moment où les gardiens du dogme éprouvent de grandes angoisses à l’idée de trop de concessions accordées à la cigale grecque, la bourse d’Athènes salue l’idée de l’accord qui se dessine. Vendredi, elle a bondi de plus de 5 %. Si même les marchés enterrent Tina, c’est vraiment que tout fout le camp !
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