Bordeaux, de notre envoyé spécial.- Leur désintéressement forcerait presque l’admiration. À les entendre, ceux qui ont succédé avec empressement au trio Banier-Maistre-Normand auprès de Liliane Bettencourt auraient quasiment effectué du bénévolat dans une œuvre charitable. L’avocat civiliste et fiscaliste Pascal Wilhelm l’assure, « Madame Bettencourt a une volonté énorme, elle est extrêmement déterminée ». Déjà à la tête d’un cabinet prospère, gros travailleur, l’avocat jure la main sur le cœur que le mandat de protection future qu’il a accepté en décembre 2010 n’a « pas été une bonne nouvelle » pour lui. Trop de travail.
Pressé de questions, Pascal Wilhelm finit pourtant par concéder que ce mandat l’aurait amené à gérer à sa guise l’immense fortune de l’héritière L’Oréal, si un jour elle n’avait plus été en état de le faire. En attendant, ce même mandat lui rapportait tout de même 200 000 euros d’honoraires mensuels, venus s’ajouter aux 3 millions d’honoraires facturés par ailleurs à la femme la plus riche de France. D’autres ont reçu de fortes sommes, il est vrai. Georges Kiejman a ainsi obtenu 1 million d’euros de Liliane Bettencourt, et les avocats de sa fille (le cabinet Metzner et le cabinet Bredin-Prat) ont perçu 12 millions, rappelle-t-il.
Le problème, pour Pascal Wilhelm, c’est qu’il a d’abord conseillé Patrice de Maistre quand celui-ci était le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, et se faisait notamment attribuer une donation-jackpot pour ses vieux jours qui lui est aujourd’hui reprochée. Il a également œuvré avec zèle à faire figurer Maistre dans un précédent mandat de protection future, fin 2009, avec l’aide du notaire Jean-Michel Normand, déjà impliqué dans de grosses donations plus que litigieuses. Et Me Wilhelm assistait encore Patrice de Maistre, au début de la procédure pour abus de faiblesse lancée au tribunal de Nanterre. Ce qui ne l’a pas empêché de devenir aussi l’avocat de Liliane Bettencourt quand l’ami Maistre a été soupçonné par la justice d’avoir profité de sa position (disparaissant du paysage avec Banier et Normand), et de défendre ainsi en même temps deux clients aux intérêts divergents – voire antagonistes –, ce pendant plusieurs mois.
Une fois devenu le protecteur légal de la milliardaire à la place de Patrice de Maistre, Pascal Wilhelm a œuvré sans faiblir au « rapprochement familial », une belle et émouvante réconciliation, gagnant progressivement la confiance du camp Meyers. L’idylle n’a pas duré.
L'avocat protecteur fait très vite signer à Liliane Bettencourt deux protocoles d’accord, en décembre 2010 puis en mars 2011 (la vieille dame est alors hospitalisée), qui la conduisent à investir 143 millions d’euros au sein de la société Lov Group Industrie (LGI) de Stéphane Courbit... un ami et client de Wilhelm. Une proposition d’investissement que Patrice de Maistre avait auparavant repoussée, avant de quitter son poste. Mais il n'y a toujours aucun conflit d’intérêts, assure Me Wilhelm. Les juges d’instruction ne l’ont pas entendu ainsi, qui ont noté que la milliardaire n’avait ni besoin ni envie d’investir dans les jeux en ligne, que c'était une mauvaise affaire, et qu’elle a pris Stéphane Courbit pour un chanteur quand elle l’a rencontré.
Les choses n’ont, en tout cas, pas traîné. « Le versement intervenant avec une extrême rapidité laisse suspecter l’existence de difficultés financières naissantes importantes, voire même déjà réalisées, l’objectif de ces investissements étant manifestement de rembourser en grande partie des dettes ou d’effectuer à partir de LGI des remontées importantes d’argent vers d’autres sociétés du groupe Courbit », ont écrit les juges d'instruction dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal. L’homme d’affaires, qui a fini par rembourser la famille Bettencourt peu avant le procès, doit être interrogé ce vendredi par le tribunal.
Saisi des curieux mélanges des genres pratiqués par Me Wilhelm, le Conseil de l’ordre des avocats de Paris (parfois plus réputé pour sa finesse sémantique que pour sa sévérité disciplinaire), a estimé qu’il y avait là une « confusion d’intérêts », mais pas de « conflit d’intérêts », et ne l’a donc pas sanctionné.
Par ailleurs, Pascal Wilhelm et un notaire parisien de ses amis, Patrice Bonduelle, se sont retrouvés bombardés au rang de « chaperons » des deux petits-fils de Liliane Bettencourt, s’indigne Nicolas Huc-Morel, qui défend la famille Meyers-Bettencourt.
Car tout en œuvrant à ce que les deux petits-fils de la milliardaire deviennent ses légataires universels à la place de François-Marie Banier, l'avocat et le notaire ont fait établir, en 2010, des clauses dans le testament empêchant les héritiers de percevoir le milliard d’euros qui leur reviendrait au décès de leur grand-mère avant qu’ils aient atteint l’âge de 35 ans. Officiellement, Liliane Bettencourt aurait exprimé sa crainte qu’ils ne dilapident leur héritage. Mais une fois encore, ce sont les conseillers et les hommes de loi qui ont parlé pour l’octogénaire, qui ne disposait plus de toutes ses facultés depuis 2006. Et entre-temps, c’est Pascal Wilhelm qui aurait continué à gérer la fortune des Bettencourt. Une vraie rente.
Un codicille (annulé depuis avec le reste) a même établi que pour débloquer une partie des assurances-vie avant leur 40 ans, les petits-fils de la milliardaire auraient dû demander son autorisation à l’avocat (ou au notaire Bonduelle en cas de décès), et accepter qu’il contrôle l’utilisation des fonds. Le sympathique Me Bonduelle a accepté de rédiger en urgence un mandat de protection future, ne s’est pas assuré que tous les actes qu’il a établis à la demande de Wilhelm reflétaient bien la volonté d’une Liliane Bettencourt diminuée, et se fait tancer à la barre. « Vous n'êtes pas une boîte aux lettres. Vous êtes tout de même un officier ministériel ! » lui rappelle le président. « J’étais un simple prestataire de service, répond le notaire. Je pense que madame Bettencourt ne choisit pas son charcutier. »
Le rôle curieux joué par plusieurs médecins intrigue également le tribunal. « À chaque fois que la justice demande une expertise médicale de Liliane Bettencourt, son entourage s’y oppose, et produit de drôles de certificats médicaux », grince le président Denis Roucou. Le but, pour cet entourage, étant d'éviter de voir un tuteur indépendant désigné par la justice, en lieu et place de ces conseillers opportunément devenus des protecteurs.
Ainsi, un expert en gériatrie a subitement changé d’avis sur l’état de santé de la milliardaire, miraculeusement déclarée lucide et en pleine possession de ses moyens… une fois que lui-même était devenu son médecin personnel pour 40 000 euros mensuels.
Même le professeur Gilles Brucker, un ami de Banier, éminent spécialiste des maladies infectieuses, dont l’association de lutte contre le sida est largement subventionnée par la Fondation Bettencourt, a bénéficié d’une aide financière de la milliardaire pour sa famille, tout en jouant à ses côtés un rôle de coordinateur ou de conseiller médical qui intrigue beaucoup le tribunal. « Quand on s’appelle madame Bettencourt, on n’aide pas avec une boîte de chocolats », se justifie-t-il. Curieusement, note le tribunal, cet ami de Banier s’est lui aussi retrouvé successivement exécuteur testamentaire, et même protecteur potentiel de la milliardaire, tandis que son association figurait parmi les bénéficiaires de l’île d’Arros. Mais il n’en savait rien.
Depuis le début du procès, voilà trois semaines, seul Éric Woerth a été épargné. Amer et inquiet, une des prévenus rumine, lors d’une suspension d’audience : « Quand je pense que Lindsay Owen-Jones (ex-PDG de L’Oréal) a reçu une donation de 100 millions d’euros en 2005 »… C’était un peu avant l’état de faiblesse constaté officiellement, l’année suivante, chez Liliane Bettencourt. Et bien avant les enregistrements effectués par son majordome.
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