Dans l’ombre des discussions animées sur la réforme du travail dominical qui vont rythmer le dernier tiers des débats sur la loi Macron, les vingt derniers articles du texte du ministre de l’économie s’attaquent au code du travail. Dans la même lignée que l’accord national interprofessionnel (ANI), qui raccourcissait déjà les procédures de licenciement collectif, le texte déséquilibre un peu plus encore le rapport de force asymétrique entre employeurs et salariés. Sous couvert de simplification administrative, l’« œuvre » d’Emmanuel Macron contient un certain nombre de peaux de banane, à l’image de l’amendement sur le secret des affaires qui s’était glissé entre un amendement sur le sort réservé aux déchets liés à la mérule (champignon qui prospère sur les structures en bois des habitations) et les retraites chapeau (voir notre article Macron abandonne son projet sur le « secret des affaires »).
La partie sur le droit du travail donne plus de marge de manœuvre aux employeurs en cas de licenciement, redressement judiciaire ou concernant le délit d’entrave au fonctionnement des instances représentatives du personnel. Prenons par exemple la partie du projet de loi pour la croissance et l’activité intitulée « amélioration du dispositif de sécurisation de l’emploi » et plus particulièrement l’article 98 concernant le licenciement. Dans la première version du texte, il était d’abord question de donner à l’employeur la possibilité de décider lui-même du périmètre des licenciements dans son entreprise. À juste titre, la communiste Jacqueline Fraysse tirait la sonnette d’alarme. « Les critères de choix du licenciement pourront être appliqués dans un périmètre plus petit que l’entreprise, il peut donc s’agir d’un atelier ou d’un service. En réduisant à ce point ce périmètre, faisait-elle remarquer, les critères pourront ne s’appliquer qu’à quelques personnes, voire une seule personne. » Une manière à peine voilée de mettre à pied, sans critères objectifs, un employé récalcitrant. Sous l’effet d’un amendement du rapporteur thématique Denys Robiliard (PS), le périmètre du licenciement sera limité à la zone d’emploi pour « éviter un ciblage trop petit ». Sans ciller, Emmanuel Macron revoit sa copie. Mais d’autres subtilités qui entament le droit du travail ponctuent toujours le texte.
Fanélie Carrey-Conte (PS), qui depuis « l’appel des 100 frondeurs » a marqué avec constance sa défiance vis-à-vis du gouvernement, dénonce « l’intériorisation du diagnostic libéral ». « L’hypothèse qui sous-tend la rédaction de tous ces articles est que s’il n’y a pas assez d’embauches, c’est parce que notre marché du travail est trop rigide », explique-t-elle. Pour Pascal Lokiec, professeur de droit à l’université Paris-Ouest-Nanterre, le projet Macron menace l’architecture du droit du travail forgée au fil des années et déjà bien ébranlée : « Le gouvernement a une philosophie ouvertement hostile au droit du travail jamais vue sous la gauche. Il considère, comme les gouvernements de droite avant lui, que la protection des salariés est un obstacle, un handicap pour que ceux qui n’ont pas d’emploi en décrochent un, ce qui n’a jamais été prouvé. »
Peau de banane numéro 2 : le recours aux ordonnances pour réviser le code de procédure pénale, le code rural et de la pêche maritime, le code des transports et le code du travail. L’article 85 prévoit tout bonnement de « réviser la nature et le montant des peines et des sanctions applicables en cas d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel ». Autrement dit, si un employeur empêche le fonctionnement des institutions représentatives des salariés, il ne s’expose plus à une peine d’un an d’emprisonnement et à 3 500 euros d’amende. Pour « rassurer les investisseurs étrangers », il n’encourra qu’une amende de 7 500 euros.
Autre subtilité prévue dans le projet de loi pour la croissance et l’activité, le cas des indemnités de licenciement. Dans l’article 101, ce n’est plus le groupe qui a la responsabilité d’indemniser les salariés en cas de redressement judiciaire mais l’entreprise. Une aberration, puisque l’on sait que la fermeture d’une filiale donnée découle bien souvent d’une stratégie de groupe. C’est encore la communiste Jacqueline Fraysse, décidément bien seule à défendre le droit du travail, qui monte au créneau en commission spéciale. « Cet article dédouane complètement l’employeur, estime-t-elle. Le plan de sauvegarde de l’emploi est apprécié au regard des seuls moyens de l’entreprise, or l’expérience nous prouve que cette disposition peut créer un risque de fraude. L’entreprise mère peut être tentée d’organiser les difficultés financières d’une de ses filiales afin de s’en débarrasser. »
Fanélie Carrey-Conte confirme la course au moins-disant social que sous-tend cet article : « On va se retrouver avec des plans sociaux moins financés, moins soutenus. » Le rapporteur thématique Denys Robiliard, n'est pas de cet avis. Dans la nuit de dimanche à lundi, à 2 h 30, il ne reste que cinq articles à examiner en commission spéciale sur les 106 du projet de loi lorsqu’il démarre son explication. Au bout de cinq minutes pour le moins surréalistes, il finit par embrouiller tous les députés (voir la vidéo ci-dessous à partir de 3'40) en citant un arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2014 qui conclut à la faute de l’actionnaire : « La cour d'appel a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, que ces sociétés avaient par leur faute et légèreté blâmable, concouru à la déconfiture de l'employeur et à la disparition des emplois qui en est résultée. » Cette jurisprudence en faveur des salariés suffit à Denys Robiliard pour démontrer la solidité du code du travail. Mais comme nous l’expliquons ensuite, une fois n’est pas coutume.
« Sous prétexte de libérer l’activité, la loi Macron fait sauter de multiples verrous », renchérit André Chassaigne. Le chef de file des députés du Front de gauche a dans le viseur cet article 101 en particulier : « Il va permettre d’exonérer les maisons-mères et les holdings de leur implication dans les PSE (plans de sauvegarde de l’emploi – ndlr). C’est une véritable honte. Après avoir aspiré les richesses d’un site de production – remontée des profits, transferts de production en les délocalisant, assèchement des commandes, facturation grossie de tâches administratives recentralisées vers la maison-mère, etc. –, on fait un plan de redressement avec un PSE lamentable sur les seuls fonds de la filiale, voire on ferme tout de suite par liquidation. »
André Chassaigne va même jusqu’à se demander si ce n’est pas le précédent Elba qui motive cet article. Elba, une affaire qu’il connaît bien et à propos de laquelle il interpelle très régulièrement le gouvernement. Elle se déroule sur sa circonscription en Auvergne à La Monnerie-le-Montel dans le bassin de Thiers sinistré par le chômage. C’est l’un des premiers plans sociaux réalisés au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi transposant l’ANI, en juillet 2013 : 64 salariés d’une papeterie mis sur le carreau du jour au lendemain à la veille des congés d’été (lire ici notre reportage).
Le groupe Hamelin, la maison-mère, qui dégage des millions de bénéfices et reçoit pléthore d’aides publiques comme le CICE, un des premiers cadeaux de la gauche au patronat, n’a pas supporté de passer à la caisse avec le PSE validé en janvier 2014 par la Dirrecte après un accord majoritaire avec les syndicats. Sa pirouette pour s’exonérer de ses responsabilités et ne pas avoir à prendre en charge l’accord signé avec les syndicats (formations, prime supra-légale, différentiel de salaire, etc.) relève du patron voyou : il a ni plus ni moins détourné la procédure en organisant la cessation de paiement de sa filiale, privant les salariés d’indemnités comme de reclassement, les renvoyant vers le fonds AGS (fonds de garantie des salaires) !
« La bataille (objet d’un article de Mediapart à lire prochainement) se joue aujourd’hui devant les tribunaux, notamment celui des prud’hommes pour le contraindre à payer les salariés qui, au drame de la perte d’emploi (la majorité n’a pas retrouvé de travail), sont victimes de méthodes de voyou et doivent aller devant les tribunaux pour arracher ce qui leur est dû », explique leur avocat Jean-Louis Borie. Spécialiste du droit du travail, rompu aux combines des employeurs pour se jouer de la loi, il constate combien le rapport de force est aujourd’hui en faveur de l’employeur, surtout depuis que la loi issue de l’ANI a raccourci les délais compromettant toute velléité de lutte et mis l’administration au cœur des procédures, évinçant les juges, « devenus des ennemis ».
Selon lui, « l'un des effets pervers des nouvelles règles de licenciements collectifs depuis l'ANI est qu'elles incitent les syndicats à passer sous le diktat des DRH » : « Ils sont coincés car les entreprises font du chantage aux salariés : si vous signez un accord maintenant, on vous donnera 20 % de plus, sinon ce sera un PSE décidé unilatéralement et a minima qui sera homologué par l’administration. Forcément, les salariés mettent la pression aux syndicats. Ils préfèrent signer les accords, partir avec un plus gros chèque plutôt que d’entrer en lutte, râler, sachant que les moyens qui s’offrent à eux sont aujourd’hui très réduits. »
« L’ANI nous a déjà bien désarmés sur le plan procédural, mais si le projet Macron passe on va être à poil », confirme l’avocat Ralph Blindauer. Défenseur des salariés du groupe Continental à Clairoix ou encore de l’équipementier TRW à Dijon (voir notre article ici), ce spécialiste du droit du travail dans le Grand Est craint que les prochains plans sociaux ne soient expédiés. « J’ai l’exemple de TRW à Dijon où le plan social a duré plus d’un an, mais c’était le dernier dossier avant l’ANI. Avec la nouvelle loi il aurait été plié en quatre mois », estime-t-il.
Pour la députée Barbara Romagnan, signataire d’une série d’amendements pour le retrait des articles pièges, le projet d’Emmanuel Macron, en plus d’être défavorable aux salariés, ne démontre pas le retour de la croissance. « Ça me rappelle le débat qu’on avait eu sur l’ANI, beaucoup de gens jugeaient de l’opportunité du texte du point de vue de son équilibre. Mais le droit du travail n’a pas à être équilibré, il doit être déséquilibré. Il faut bien prendre acte qu’il y a de fait une relation déséquilibrée entre le salarié qui n’a que sa force de travail et l’employeur qui peut remplacer n’importe quel salarié. »
Dernière peau de banane pour la route. À l’article 100, en cas de licenciement d’un employé d’un groupe international, l’employeur n’est plus obligé de proposer un reclassement à l’étranger. C’est à l’employé d’en faire la requête. « Je ne vois pas en quoi cela va relancer l’activité », questionne Barbara Romagnan. Denys Robiliard détaille le raisonnement qui a été le sien dans son amendement même : « L’obligation de rechercher des solutions de reclassement dans l’ensemble des entreprises du groupe auquel appartient l’entreprise peut s’avérer difficile à mettre en œuvre au vu de la structuration souvent complexe des groupes et de la difficulté à identifier et à actualiser les offres pour les entreprises. L’article 100 propose donc une simplification de cette procédure. » Une simplification qui risque de compliquer la vie des salariés.
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