Bordeaux, de notre envoyé spécial -. Finalement, on comprend mieux pourquoi l’ex-trésorier de l’UMP, ex-trésorier de la campagne présidentielle 2007 et ancien ministre du budget Éric Woerth n’est venu que très peu, depuis le 26 janvier, au procès Bettencourt, cela bien qu’il soit jugé pour « recel ». Entamé ce mardi à 17 heures, son interrogatoire sur les faits qui lui sont reprochés s’est achevé… à 18 heures. Une simple formalité. Là où François-Marie Banier et Patrice de Maistre avaient été poussés dans leurs retranchements plusieurs heures durant, les jours précédents, et juste après que le témoin Claire Thibout a été malmené par la défense pendant plus de quatre heures par visioconférence, sans rien lâcher d’ailleurs, le tribunal se contente soudain du service minimum, comme s’il jugeait déjà la relaxe d’Éric Woerth inévitable.
Impavide, le député et maire (UMP) de Chantilly s’avance à la barre, un peu raide dans son costume sombre. Il est questionné sur les deux rendez-vous qu’il a eus avec Patrice de Maistre, en janvier puis en février 2007, alors que les préparatifs de la campagne présidentielle battent leur plein. De curieux rendez-vous, tôt le matin, dans un café proche du siège de campagne du candidat Sarkozy, et à des dates correspondant de très près à des remises d’espèces importantes aux Bettencourt. Les déclarations de Claire Thibout, ainsi qu’un extrait des cahiers de François-Marie Banier, ont convaincu les juges d’instruction que des espèces avaient certainement été remises à Éric Woerth par Patrice de Maistre pour aider discrètement le candidat Sarkozy.
« Pour notre premier contact, je rencontre Patrice de Maistre à sa demande, monsieur et madame Bettencourt veulent alors aider le candidat Nicolas Sarkozy. Je lui explique le cadre légal, et nous convenons de nous revoir », expose Éric Woerth, avec un débit rapide. « Nous nous revoyons autour du 19 janvier. »
Cette date ne figure pas dans l’agenda du trésorier de campagne, remarque le tribunal, bien qu’Éric Woerth soit alors très occupé. « À l’époque, je n’avais pas un agenda très structuré, c’était une trame », répond-il. Quant au café, c’était plus convivial que les locaux vides du siège de campagne à une heure matinale.
« Ça paraît étrange de recevoir M. de Maistre, que vous ne connaissez pas, alors que vous êtes très pris », remarque le président. « Je comprends la suspicion qui pèse, répond Éric Woerth, mais Patrice de Maistre connaît beaucoup de monde, je suis trésorier, et je suis intéressé à développer les réseaux de donateurs et à multiplier les recettes. » Légalement, s’entend. À cette occasion, Maistre lui aurait remis une note de quelques pages sur la fiscalité des entreprises. Pas une enveloppe d’espèces, donc. Et pourquoi ne pas se voir lors d’une réunion du premier cercle de l’UMP, demande le président ? Impossible, il y a trop de monde pour un aparté, répond Woerth. C’est qu’il fallait aussi parler « économie » et « idées », avec Maistre, pas seulement collecter de l’argent…
Le tribunal l’interroge sur les « coïncidences » entre les voyages en Suisse de Patrice de Maistre pour ramener des espèces, qu’il a niés au départ, et ces rendez-vous discrets pendant la campagne 2007. « C’est sa vie professionnelle, pas la mienne. La vie est faite de coïncidences », répond Woerth. Les 50 000 euros que Claire Thibout aurait remis à Patrice de Maistre avant le premier rendez-vous, et les 400 000 euros arrivés de Suisse avant le second rendez-vous ? « Et alors ? Ça n’a aucun rapport », balaye l’ancien trésorier. « Quand on lit le dossier, il y a beaucoup d’espèces dans cette maison, et si on a un rendez-vous avec quelqu’un de cette maison, on a peu de chances qu’il tombe à une date éloignée d’une remise d’espèces. »
Éric Woerth l’explique, il ne connaît alors pas les Bettencourt, et ne veut pas échafauder de théories sur le témoignage de Claire Thibout, tout en évoquant de possibles « règlements de comptes » au sein du personnel. « Je ne peux pas vous prouver que je n’ai pas reçu d’espèces, c’est impossible », lâche-t-il sur le ton de l’évidence. Avant de tenter un argument plus risqué : « Nous n’avions pas besoin d’argent liquide dans cette campagne, nous avions reçu des sommes considérables. »
Le tribunal tique un peu. Suit un calcul au doigt mouillé sur les dons des particuliers envoyés au parti (plafonnés à 7 500 euros) ou à la campagne du candidat (plafonnés à 4 600 euros), qui n’amène pas grand-chose aux débats. « François-Marie Banier a pourtant noté dans ses carnets cette confidence reçue de Liliane Bettencourt : Patrice de Maistre m’a dit que Sarkozy a encore demandé de l’argent », tente d’insister le président du tribunal. « Je ne sais pas pourquoi il a écrit cela, je ne veux pas spéculer », répond Éric Woerth. Pas plus qu’il ne veut être associé aux nombreux hommes politiques que le personnel voyait défiler chez les Bettencourt pour venir chercher une enveloppe, une vieille tradition dont on trouve la trace dans ce dossier. « Je ne sais pas où sont les preuves, ce sont des rumeurs. Je ne suis pas là pour toute la vie politique française, je dois être le seul qui ne connaît pas les Bettencourt à cette époque », assène Éric Woerth. S’enhardissant quelque peu après de nouvelles questions, il ironise même : « Si l'on veut me remettre des espèces, il faut le faire au siège de campagne, c’est le meilleur endroit », du point de vue discrétion s’entend.
Tout miel, le procureur ose quelques ébauches de questions polies sur l’état de santé de Liliane Bettencourt en 2007. Éric Woerth répond qu’il ne l’a rencontrée qu’après la présidentielle. « La première fois pour la remise de la Légion d’honneur à Patrice de Maistre, à Bercy, la deuxième fois pour présenter mon épouse à madame Bettencourt lors d’un dîner chez elle, et la troisième fois lors d’un déjeuner à l’Institut de France. » Il rappelle au passage avoir obtenu un non-lieu sur une affaire de parcelle en lien avec l’Institut de France, et fait un lapsus évoquant le dossier de l’hippodrome de Compiègne, où il a également obtenu un non-lieu.
La suite de l’interrogatoire, sur les méfaits de l'âge et la surdité, devient presque gênante de complaisance, Éric Woerth et le procureur Gérard Aldigé échangeant même quelques plaisanteries sur leurs belles-mères, les conversations de celles-ci et leurs tableaux. C’est que, comme le rappelle le procureur, le parquet de Bordeaux avait requis un non-lieu en faveur d’Éric Woerth et quelques autres (dont Nicolas Sarkozy), estimant le délit de recel insuffisamment caractérisé. Ce n’était pas l’avis des juges d’instruction.
Mais du coup, ce sont les avocats de Patrice de Maistre et François-Marie Banier, un peu seuls en première ligne, qui font grise mine. Leurs clients semblent bien mal partis dans ce procès malgré leurs efforts, quand la relaxe d’Éric Woerth commence à paraître probable. Au final, le travail de sape collectif effectué pour affaiblir le témoignage de Claire Thibout aura peut-être bénéficié à un seul des prévenus : le plus éminent d’entre eux, et celui contre lequel les preuves sont les moins solides. Comme s'il n'y avait jamais eu de volet politique dans cette affaire Bettencourt.
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