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Procès du Carlton: «La Belgique, c’est un pays un peu à part»

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Lille, de notre envoyée spéciale.-  « La Belgique, c’est un pays un peu à part, un pays de tolérance. Là-bas, vous avez la loi et vous avez l’usage de la coutume. » Dominique Alderweireld a le sens de la formule. Il le sait. Et il en joue. Pas seulement face aux caméras de télévision qui l’attendent en nombre à chaque suspension de séance. Mais aussi devant les juges du tribunal correctionnel de Lille, où il comparaît depuis quatre jours pour « proxénétisme aggravé » dans l’affaire dite du Carlton. 

Lunettes au bout du nez, inflexible aux saillies du sexagénaire, le président Bernard Lemaire tourne les pages cotées d’interceptions téléphoniques. « Sur une écoute, on vous entend demander : “On a une négresse ? On a un client qui veut baiser une négresse.” C’est comme ça que vous parlez des femmes ? » « Tout à fait, répond Alderweireld. J’adore plaisanter. » Silence dans la salle d’audience. « Une autre conversation, vous êtes en Espagne. Vous dites à un ami : “Je vais pas en vacances, quand je vais là-bas, je fais de la remonte moi…” Vous remontez, dites-vous, du “cheptel”… Du “cheptel” ? »

Le prévenu assume l’expression. Il s’en vante, même. « J'suis comme ça, m'sieur le président, j'fais d'l'Audiard », se gausse-t-il, en jetant un œil à son avocat, Me Sorin Margulis. Sur le banc des parties civiles, deux anciennes prostituées qui ont « travaillé » pour “Dodo”, regardent la scène sans mot dire. Un peu plus tôt dans la journée, elles se sont avancées à la barre, chacune à leur tour, pour donner aux juges un aperçu de leur « vie d’avant », quand le manque d'argent les a poussées à se prostituer dans deux des clubs tenus en Belgique par Alderweireld et sa compagne “Béa” – Béatrice Legrain, également prévenue dans l'affaire.

Dominique Alderweireld et sa compagne, Béatrice Legrain, en mars 2014, devant le club “DSK” aujourd'hui fermé.Dominique Alderweireld et sa compagne, Béatrice Legrain, en mars 2014, devant le club “DSK” aujourd'hui fermé. © Reuters

Elles décrivent les termes du « contrat » (« les gains de la chambre c’était 50/50, pour les boissons, on recevait 40 % »), l’exiguïté des lieux (« on vivait à douze ou treize dans une cuisine de 3 mètres sur 5 »), le sentiment d’insécurité, celui de « dénigrement » lorsqu’elles attendaient, avec une dizaine d’autres filles habillées « le plus sexy possible », que « le client » daigne les « choisir ». « Il fallait des petites, des grosses, des mûres, des brunes, des blondes… Mais à l’époque je ne voyais pas les choses comme ça », soupire Jade*. Elles parlent aussi de ces nombreuses Françaises qui traversent la frontière pour venir gagner leur vie en Belgique, là où « elles sont moins contrôlées ».

« Je suis atterré, s’exclame Dominique Alderweireld, après le deuxième témoignage, celui de Laura. Parce que si cette dame s’est présentée chez moi, c’est de son libre arbitre. » Les contraintes économiques ? « Et les filles qui travaillent en face du palais de justice, elles n'en ont pas peut-être ?, s'agace le sexagénaire. Ça, c’est de l’abattage ! » Le prévenu prend soin de bien insister sur un point : les « filles » de ses clubs sont « in-dé-pen-dan-tes ». « S’il y avait un lien de subordination, selon la loi belge, je serais un proxénète. C’est pour ça que je n’ai que des indépendantes », argue-t-il encore à la barre. Celui que tous connaissent sous le surnom de “Dodo la Saumure” a déjà été condamné deux fois en France pour « proxénétisme ». En Belgique, à l'écouter, il passerait presque pour un businessman.

Car en matière de prostitution et de proxénétisme, la loi belge diffère sensiblement de la loi française. Depuis le 13 avril 1995, le proxénétisme, s'il n’est pas lié à la traite, n’est plus poursuivi outre-Quiévrain. « Les choses ne sont pas univoques, cela varie d’un arrondissement judiciaire à l’autre, rappelle Me Margulis, qui en profite pour donner un petit cours de droit belge au parquet. Chacun a sa vision sur la prostitution et le proxénétisme. Le procureur mène un peu les choses comme il veut. » Son client valide en faisant « oui » de la tête.

Comme en France, les salons de prostitution sont pourtant officiellement interdits en Belgique. « On a à peu près les mêmes textes qu'ici, mais l’application… » Alderweireld cherche ses mots. « Ils ne sont pas appliqués », tranche le procureur. « Il y a 1 000 maisons de prostitution, certaines sont exploitées par les communes », poursuit “Dodo” qui possède à lui seul « cinq établissements », où « transitent » quelque 240 femmes. « Le “Madame”, le “Smoke”, l'“Institut Béa”..., énumère le président Lemaire. Le “DSK” aussi, mais il est fermé aujourd'hui, c'est bien cela ? » « Oui, répond le prévenu. C'était une technique commerciale. Maintenant, je voudrais ouvrir le “FMI”, le “Famous Miss International”. »

- Mmmm. Et l'autre ?

- L'autre ? Le “7 sur 7” ?

- Non, l'autre.

- Aaaaaah... Le Carlton ! J'ai abandonné. »

Alderweireld se félicite du niveau de « tolérance » de la loi belge sur les maisons closes, qui lui permettent de gagner 3 000 euros par mois. Pourquoi, dans de telles conditions, se retrouve-t-il aujourd’hui dans l’enceinte du tribunal correctionnel de Lille ? Parce qu’il est accusé d’avoir « recruté » certaines « filles » sur le territoire français et d’en avoir « envoyé » d’autres pour participer aux « déjeuners » lillois qu’organisait son ami René Kojfer, en compagnie des patrons du Carlton et de l’hôtel des Tours. Ce qu'il réfute vigoureusement. « Je n’ai jamais influencé personne ni donné un conseil pour que des filles du club Madame se rendent à l’hôtel Carlton », peste-t-il, reconnaissant à peine avoir commis « une petite bêtise » en ayant une conversation en France avec une future recrue.

En règle générale, lui préfère « recruter » en Espagne, « où il y a la loi de 92 qui l’autorise ». « Vous connaissez bien les lois », fait remarquer un avocat de la partie civile. C'est exact. “Dodo” s'intéresse tellement au sujet qu'il a même songé un temps à devenir avocat, « mais c'était pas sérieux avec (son) passé ». « C'est vrai que, dans votre vie, vous vous êtes mis très tôt à l'écart des règles de droit », observe le président Lemaire. « C'est que j'ai pas compris les règles », répond le prévenu, l'air goguenard.

« En quelle année le proxénétisme est-il enseigné en fac de droit ? En quatrième année ?, s'interroge à haute voix le président. Vous auriez dû faire la maîtrise ! » Par moments, des rires fusent dans la salle d’audience, bientôt réfrénés par les « chuuuut » de l’huissier et les reniflements des anciennes prostituées, qui n’en finissent pas de pleurer. Un gouffre immense semble s’être créé entre le banc des parties civiles et celui des prévenus, qui rivalisent de bons mots, surjouent la bonhommie et minimisent chacun des témoignages livrés par les « filles », dont Alderweireld moque « le QI de 25 ».

« Je pense avoir un certain sens de la dérision », affirme-t-il encore afin de justifier son détachement. Pour le reste, le passé des anciennes prostituées, les stigmates manifestes qu'a laissés leur expérience en club, ce n’est franchement pas son problème. « Je ne suis pas psychiatre ou psychologue. Les gens se présentent, ils cherchent du travail. Je leur en donne, point final », ajoute-t-il, avant de conclure dans un élan de cynisme absolu : « Je ne suis pas le seul “employeur” à avoir des problèmes avec mon personnel. À la SNCF, y a beaucoup de gens qui se suicident, c’est pas d’la faute à la SNCF ! »

BOITE NOIRE*Nous utilisons les surnoms empruntés par les jeunes femmes lorsqu'elles se prostituaient.

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