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Réfugiés syriens: la France égoïste

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La guerre en Syrie se traduit par l’un des exodes les plus massifs qu’ait connus le monde depuis la Seconde Guerre mondiale. Le compteur installé sur le site internet du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) grimpe inexorablement : 3,8 millions de personnes sont concernées, en plus des 6,5 millions de “déplacés” à l’intérieur du pays, selon la dernière mise à jour en date du 2 février. Les États voisins sont en première ligne : 1,6 million de Syriens ont trouvé refuge en Turquie, 1,2 au Liban, 621 000 en Jordanie, 235 000 en Irak et 136 000 en Égypte.

L’hospitalité de ces pays atteint ses limites : le Liban, où les nouveaux venus représentent un tiers de la population, vient de leur imposer un visa pour limiter leur installation. La plupart des points de passage aux frontières – dont certains sont contrôlés par l’État islamique – sont désormais fermés. Mais cela n’empêche pas les départs, pour peu qu’ils soient monnayés.

Des Kurdes syriens après la traversée de la frontière vers la province de Sanliurfa en Turquie. © ReutersDes Kurdes syriens après la traversée de la frontière vers la province de Sanliurfa en Turquie. © Reuters

Menacées par des combats meurtriers, des familles entières vendent leurs biens jusqu’à la dernière once d’or, dans l’espoir de refaire leur vie ailleurs. Les voies légales de circulation étant réservées à une minorité, elles prennent tous les risques pour s’échapper. En 2014, les Syriens, avec les Érythréens, également ressortissants d’un pays en guerre, étaient pour la première fois majoritaires parmi les 207 000 personnes qui ont traversé la Méditerranée sur des bateaux de pêche ou des cargos, en quête de protection.

C’est dans ce contexte explosif que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) publie ses données provisoires relatant son activité en 2014. Et, surprise, annonce une baisse des demandes déposées en 2014 par rapport à 2013, le premier recul après six années de hausse consécutives. Une baisse faible, de 2,6 %. Mais au regard des enjeux géopolitiques mondiaux, elle apparaît incompréhensible : 64 536 dossiers ont ainsi été examinés l’année dernière, contre 66 251 un an plus tôt.

L'accueil de réfugiés syriens par les pays voisins.L'accueil de réfugiés syriens par les pays voisins.

Dans le même temps, le nombre de demandes d’asile reçues dans les États de l’Union européenne a augmenté de 25 %. En Suède, pays sept fois moins peuplé que la France, plus de 80 000 personnes ont demandé l’asile, parmi lesquelles environ 40 % de Syriens. Les autorités de ce pays s’attendent à en recevoir 105 000 en 2015. En Allemagne, la tendance est la même : plus de 202 000 personnes y ont déposé une demande d’asile, soit une hausse de 60 % sur un an, parmi lesquelles 41 000 Syriens, selon le ministre allemand de l’intérieur Thomas de Maizière.

L’écart avec la France est frappant : l’année dernière, 3 100 Syriens ont obtenu le statut de réfugiés. Un chiffre en hausse par rapport aux années précédentes (depuis le début du conflit, quelque 5 000 Syriens ont été accueillis), mais qui ne soutient pas la comparaison avec l’Allemagne et la Suède.

Le paradoxe est que cette baisse globale de la demande d’asile dans l’Hexagone intervient non seulement dans un contexte de multiplication des guerres aux frontières de l’Europe, mais aussi à un moment où le ministre français de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, en charge de l’asile, revendique un discours d’ouverture, comme il l’a affirmé lorsqu’il a défendu son projet de loi sur l’asile devant les députés en décembre 2014. « La France qui, en 1789, s’est soulevée contre l’arbitraire et a proclamé à la face du monde ses idéaux de liberté et d’égalité, ne peut se dérober quand frappent à sa porte ceux qui lui font confiance pour les protéger contre l’injustice, contre l’oppression et contre la barbarie », s’est-il exclamé.

L'évolution de la demande d'asile en France (souces: Ofpra, CNDA).L'évolution de la demande d'asile en France (souces: Ofpra, CNDA).

En ligne avec cette « bienveillance » assumée par le directeur général de l’Ofpra, Pascal Brice (visionner son récent entretien vidéo dans Mediapart), le taux d’admission est passé de 24,4 % à 28 % entre 2013 et 2014 – moins de demandes ont été examinées, mais relativement plus de statuts ont été accordés. Au total, 14 489 personnes ont été reconnues réfugiés en 2014, contre 11 371 en 2013. Dans presque 100 % des cas, les Syriens ont obtenu gain de cause.

Le recul de la demande d’asile à l’Ofpra s’explique principalement par la forte diminution du nombre des dossiers en provenance des Balkans (Kosovo en tête), du Sri Lanka et de la Russie. Mais comment expliquer que les Syriens et les Érythréens ne tentent pas leur chance plus massivement ? La France n’est-elle plus reconnue comme une terre d’accueil ? Le dispositif fonctionne-t-il si mal qu’il décourage les candidatures ? Les exilés préfèrent-ils aller ailleurs ? Sont-ils empêchés de déposer leur demande ?

Selon les témoignages recueillis, beaucoup d’entre eux ne font qu’une halte en France. Certains parce qu’ils veulent rejoindre des pays où ils ont de la famille ou des proches. Plutôt anglophones, ils estiment avoir davantage de perspectives économiques dans les pays du nord de l’Europe, où ils disposent de réseaux professionnels. D’autres, notamment ceux qui transitent par Calais, principalement des Érythréens, des Soudanais et des Somaliens, mettent en avant le harcèlement policier dont ils font l’objet pour justifier leur hésitation à rester.

« Les passeurs peuvent les inciter à continuer leur périple pour leur extorquer toujours plus d’argent », remarque de son côté Pascal Brice, qui s’est rendu dans les « jungles » de la Manche. Le système de l’asile est aussi en cause, admet-il. Les centres d’hébergement sont saturés au point que les demandeurs ne bénéficient pas toujours de place au chaud. En outre, les délais d’examen (jusqu’à deux ans) sont si longs qu’ils découragent les volontaires potentiels.

Des migrants soudanais à Calais en décembre 2014. © ReutersDes migrants soudanais à Calais en décembre 2014. © Reuters

Pour gagner en « efficacité », l’Ofpra a récemment recruté 55 agents supplémentaires dans le cadre d'une réorganisation interne engagée depuis deux ans. Le ministre de l'intérieur a promis de créer 5 000 places d'hébergement en plus d’ici à 2016. Mais la question de l’accès aux droits reste entière. À Calais, une antenne de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) a été ouverte pour améliorer l'information sur la protection en France. Les migrants ne perçoivent toutefois pas toujours la différence entre le personnel de cet opérateur de l’État généralement chargé de les renseigner sur les retours au pays et… les fonctionnaires de police.

Les blocages ne sont pas que techniques. Ils cachent une volonté politique défaillante. Les réfugiés, s’ils avaient le choix, préféreraient voyager légalement, c’est-à-dire munis d’un visa, en toute sécurité. Ils n’entreprennent leur dangereux périple que parce que les consulats de pays européens situés dans les États limitrophes de la Syrie ne délivrent les autorisations d’entrée et de séjour qu’au compte-gouttes. Les postes de représentation français reçoivent des masses de demandes de visa humanitaire, pour la plupart rejetées (les chiffres précis ne sont pas disponibles selon le quai d'Orsay). La plupart des 3 100 Syriens qui ont obtenu l'asile en France en 2014 ont dû se débrouiller comme ils pouvaient pour poser le pied sur le sol français et avoir la chance de déposer leur demande.

Le ministère des affaires étrangères répond que d'autres possibilités existent. Et cite à l’appui un programme mis en place spécialement pour aller chercher des familles syriennes réfugiées dans des pays voisins. Ces personnes, « présélectionnées » par le HCR, sont choisies car elles se trouvent dans une situation d’extrême vulnérabilité ou parce qu'elles ont des liens avec la France. Mais le nombre des heureux élus est infime au regard des besoins : 500 personnes ont été accueillies en 2014, 500 autres devraient l'être en 2015. Cette générosité a minima (justifiée en partie par le fait que chaque famille se voit proposer un logement et un « parcours d’intégration ») apparaît en décalage avec les déclarations officielles. La comparaison avec l’Allemagne, qui compte 20 000 Syriens bénéficiaires d’un programme de « réinstallation », n’est là encore pas à l’honneur de la France.

Plusieurs leviers sont à la disposition du gouvernement pour joindre le geste à la parole. Outre la refonte du dispositif d'accueil (prévue par le projet de loi en cours d'examen devant le Parlement), le gouvernement pourrait, étant donné la gravité et l'urgence de la situation, commencer par délivrer davantage de visas humanitaires et augmenter le nombre de bénéficiaires du programme spécial. Il pourrait aussi en un rien de temps supprimer le verrou qu’il a discrètement installé après le début du conflit : le visa de transit aéroportuaire, qui empêche les Syriens en escale en France d’y demander l'asile. 

  • Voir aussi sur Mediapart Syrie, la guerre au quotidien, un webdocumentaire de Caroline Donati et Carine Lefebvre-Quennell qui rassemble les vidéos de combattants syriens.

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