Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Procès Bettencourt: la faute de Liliane

$
0
0

Bordeaux, de notre envoyé spécial. Fin d’audience, ce lundi soir, après une longue journée, épuisante, d’interrogatoire. Rebondissant sur une phrase, le président du tribunal correctionnel demande soudain à un François-Marie Banier jusque-là assez plaintif s’il s’était senti « enchaîné » au cours de sa relation avec Liliane Bettencourt, et si cette « relation a été polluée par l’argent ». Une question volontairement décalée, et qui amène cette réponse du photographe : « Tout à fait, Monsieur le président. » Sans répit, le magistrat lit alors à Banier des extraits de son journal intime, dans lesquels il s’emporte en termes peu galants contre sa bienfaitrice. Et Banier lâche alors ceci, comme un cri du cœur : « Qui a de l’emprise sur l’autre ? Qui est la victime de l’autre ? » Question osée.

François-Marie Banier au tribunal de BordeauxFrançois-Marie Banier au tribunal de Bordeaux © Reuters

Mis sur le gril des heures durant, à propos des centaines de millions d’euros de dons que l’octogénaire lui a consentis au fil des ans, le photographe a aussi eu ce mot. « Je suis très heureux de ce procès ! Libération !… Sortir de ça... » Si l’on comprend bien Banier, cet esclave de sa richissime mécène, les choses auraient été tellement plus simples, plus vraies, plus légères, sans les millions de Liliane...

Bien sûr, il y a ce fichu dossier, dans lequel il est accusé d’avoir accepté tant de choses, de la part de son amie, la femme la plus riche de France. Cette toile de Munch, déclarée pour un million d’euros, et qui en vaudrait finalement douze. Et puis le Mondrian, le Braque, le Picasso, le Fernand Léger, le Matisse, et tant d’autres encore (une donation de 2001, déclarée pour plus de 126 millions de francs). « Ça lui faisait plaisir. Ces œuvres sont encore chez elle », remarque Banier, qui devait en hériter. « Ce ne sont pas des toiles de famille, elle voulait me donner notre histoire. »

Tous les ans ou presque depuis 1997, remarque le président du tribunal, le photographe préféré de Liliane Bettencourt recevait une donation d’abord très confortable, puis pharaonique. « Elle avait envie de faire des choses pour moi, ou de partager avec moi certaines choses. C’est comme si on avait eu le même maître nageur », répond Banier, en provocateur des beaux quartiers. Plusieurs millions d’euros tombent chaque année dans son escarcelle, en plus de ses contrats juteux avec L’Oréal. Banier achète des appartements sur Servandoni, des œuvres d’art, des livres. Pourquoi priver Liliane de ce plaisir, après tout ? « J’ai refusé les bijoux, et elle était très fâchée », tient-il à préciser.

Les millions continuent de tomber. Puis, en décembre 2006, la générosité de la milliardaire augmente encore d’un cran. Un don de 11,7 millions d’euros, alors qu’elle a précisément des soucis de santé, et qu’on la décrit sous l’emprise de son étouffant ami. « Elle était fatiguée, mais pas différente d’avant », jure Banier. D’autres témoins parlent au contraire d’un état confusionnel de la vieille dame, après une hospitalisation. Rebelote en avril 2008, après le décès de son mari, André Bettencourt. Encore un don de 2,9 millions d’euros. « Elle me disait : c’est mon argent, ça me regarde. Elle était furieuse quand je résistais », assure Banier. Mieux encore, Liliane Bettencourt voulait, selon lui, régulariser des dons plus anciens qui indisposaient fortement sa fille. « Madame Bettencourt n’avait pas envie que je sois traité de voleur. Déjà, gigolo, ça ne lui faisait pas plaisir, ni pour elle, ni pour moi… », lance Banier, d’un air outré.

Acculé, le photographe doit bien admettre que les sommes en jeu sont « faramineuses ». « Mais je ne me suis pas acheté d’avion, de maison à Saint-Tropez ou de Rolls », argumente-t-il. « Et je ne changerais pas ma Mobylette pour une Ferrari. » Après tout, Liliane n’était-elle pas « la septième fortune du monde » ?…
 
Ne pas contrarier Liliane. Voilà le refrain préféré de Banier, à la barre du tribunal. « C’est une femme qui impose sa volonté à un homme », lance-t-il d’un air sincèrement convaincu. Le compte en Suisse ouvert par Banier, et garni par Liliane ? Les assurances-vie dont il est devenu bénéficiaire dans des circonstances curieuses ? « Cela ne regarde que Madame Bettencourt et ses désirs », ose-t-il. « Son désir rejoint peut-être votre plaisir », remarque le président. Une assurance-vie d'un montant impensable de 262 millions d’euros, dont Banier devient bénéficiaire, peut en attester. Un ange passe.

« Liliane était furieuse. » « Liliane a pris feu », répète Banier. Liliane par-ci, Liliane par-là. Il voudrait installer l’idée d’une maîtresse femme omnipotente, là où tant de médecins, d’experts et de témoins ont – pour leur part – vu une vieille dame très diminuée. Même les questions sur les dons suspects effectués juste après une période d’hospitalisation de Liliane Bettencourt n’arrivent pas à ébranler Banier. « Elle insistait pour que j’accepte cette assurance-vie », se récrie-t-il, avec des accents d’enfant aux mains pleines de confiture.

Chez cet homme désintéressé, cet esthète fâché avec les chiffres et la paperasse, on a pourtant découvert des copies d’actes notariés ne concernant que Françoise Meyers-Bettencourt et sa mère, ainsi que des courriers entre les deux femmes. Encore la faute de Liliane, bien sûr. « Je l’ai fait parce qu’elle me l’a demandé obsessionnellement », répond Banier. Ce sont les témoins, les menteurs ! Le prédécesseur de Patrice de Maistre, qui voulait arrêter l’hémorragie de dons ? Un fou, qui l’aurait menacé de mort ! Quant à la fille unique de Liliane Bettencourt, qui a saisi la justice,  il ne veut l’appeler que « Madame Jean-Pierre », ou « Madame Meyers » (NDLR : elle a épousé Jean-Pierre Meyers), et c’est aussi à elle que semble s’adresser son ressentiment. « Si je suis ici aujourd’hui, ce n’est pas par l’opération du Saint-Esprit », grince la victime Banier.

Par moments, l'artiste met les rieurs de son côté. Puis il s’emporte, s'insurge que l’on puisse dire que Liliane Bettencourt était diminuée. Pensez-vous... Et puis, pendant les suspensions d’audience, le photographe, tout sourire et tout miel, fait la conversation au public et aux journalistes, avec un petit mot gentil pour les policiers. Un vrai homme du monde. Ses talents de séducteur semblent, toutefois, inopérants auprès des magistrats. Quant à Éric Woerth, il est le seul prévenu à avoir encore séché la journée d'audience.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Starred up


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles