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A l'ouverture du procès du Carlton, un DSK inflexible et un parfum de complot

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Lille, de notre envoyée spéciale. Il est assis à l’extrémité du banc des prévenus, aux côtés de son ami Fabrice Paszkowski, l’organisateur des « parties fines » qui ont conduit l’ex-patron du FMI à se retrouver, ce lundi 2 février, devant le tribunal correctionnel de Lille, où il est poursuivi pour « proxénétisme aggravé en réunion ». À l’autre bout de la banquette, Dominique Alderweireld, alias “Dodo la Saumure”, le gérant de maisons closes soupçonné d’avoir « ramené des filles » pour participer aux « soirées libertines » organisées par la poignée d’hommes réunis là. Des cadres et chefs d’entreprise, un avocat, un commissaire de police, un gérant d’hôtel… et un ancien prétendant à l'Élysée, donc.

Costume-cravate sombre, jambes et bras croisés, Dominique Strauss-Kahn écoute le président Bernard Lemaire énumérer les préventions des treize autres prévenus de l’affaire dite du Carlton. Il est question de « prostitution », d’« exploitation », de « pression », mais aussi de « délits financiers », de « manœuvres frauduleuses » et d’« escroquerie ». L’ancien patron du FMI ne bouge pas un sourcil. Lui qui n’a jamais mis un pied à l’hôtel Carlton de Lille semble se demander ce qu’il fait là. Son avocat, Me Henri Leclerc, le clame depuis le début de l’affaire : « Il n’existe, selon lui, aucun commencement de preuve quelconque d'une culpabilité de DSK sur une infraction qui existe. »

Dominique Strauss-Kahn arrive au tribunal correctionnel de Lille, le 2 février.Dominique Strauss-Kahn arrive au tribunal correctionnel de Lille, le 2 février. © Reuters

Lorsque son tour arrive et que les faits qui lui sont reprochés résonnent dans la salle d’audience (« avoir, à Lille ou sur le territoire national, entre le 29 mars 2008 et le 4 octobre 2011, aidé, assisté, protégé la prostitution, notamment de sept personnes »), l’ancien patron du FMI reste de marbre. D'ailleurs, aucun des prévenus n'est invité à s'exprimer. Ce lundi, la parole est réservée aux avocats. Du côté de la défense, Me Olivier Bluche, le conseil de Jean-Christophe Lagarde, ancien chef de la sûreté départementale du Nord, a déposé une requête en nullité sur la base d’un témoignage, paru après l’ordonnance de renvoi et faisant état d’écoutes administratives effectuées en dehors de toute procédure judiciaire.

Restées secrètes durant l’instruction, ces écoutes auraient eu lieu bien avant que ne démarre officiellement l'affaire, entre juin 2010 et février 2011, date de l’ouverture de l’enquête préliminaire sur la base de « renseignements ». Les robes se succèdent à la barre pour appuyer la requête de Me Bluche et dénoncer « un dossier tronqué », une procédure « bidouillée », réalisée à partir d’« une enquête fantôme ». Pour être légale, ce type de surveillance doit être effectuée à la demande des ministres de la défense, de l'intérieur, des douanes (du budget, donc), et dans tous les cas, après autorisation écrite du premier ministre. À l’époque, c'est François Fillon qui était à Matignon.

Dans quels cas de figure le gouvernement peut-il procéder à ce genre d'écoutes ? « La sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France (contre-espionnage économique) ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous », détaille maître Eolas sur son blog. Or, c’est là le problème soulevé par la défense : « des écoutes administratives dans des affaires de proxénétisme, ça n'existe pas », fait remarquer Me Dupond-Moretti.

Aucun des conseils ne se risque à employer l'expression « complot » à la barre, encore moins celle de « complot politique », mais c’est pourtant bien le spectre qui plane à travers la salle d’audience, où les questions des avocats se bousculent : quel était « l’objectif final » de ces écoutes ? Quel était le véritable but de ces « manipulations » ? De ces « mensonges » ? De ces « faux » ? « Combien de pièces au puzzle manque-t-il au juste ? » Sur le banc des prévenus, Dominique Strauss-Kahn ne bouge toujours pas. L'après-midi d'audience tourne au débat de procédure, qui dure, dure...

Que savait-on de l’affaire dite du Carlton, avant qu’apparaissent dans le débat ces mystérieux « 240 jours » d’écoutes administratives ? Dans la version connue jusqu’à aujourd’hui, le dossier démarre au début de l’année 2011 lorsque des « renseignements » parviennent à la direction interrégionale de la police judiciaire. Ils concernent « les activités » d’un certain René Kojfer au sein de deux hôtels lillois, le Carlton et l’hôtel des Tours, où il exerce officiellement la fonction de « responsable des relations publiques ». Officieusement, l’homme « proposerait à des hommes ayant de “bonnes références” les services de jeunes femmes en vue de prestations sexuelles tarifées et faciliterait également les relations entre les clients et les prostituées en mettant à disposition des chambres au sein de ces deux établissements », avec la complicité du gérant et du propriétaire des murs.

Une enquête préliminaire est ouverte le 2 février 2011. S’ensuivent plusieurs semaines de surveillances téléphoniques au cours desquelles apparaissent les principaux protagonistes de l’affaire : un avocat, des chefs d’entreprise, quelques cadres, mais aussi et surtout le fameux “Dodo la Saumure”, « connu en Belgique pour traite des êtres humains, exploitation de la débauche, prostitution, exploitation de travailleurs étrangers, publicité pour services sexuels, escroqueries, blanchiment et trafic illicite de produits stupéfiants ». Les échanges de tout ce beau monde ne laissent aucun doute quant à leur objet : trouver des « dossiers » (des filles) et les proposer en « bouquet garni » dans les chambres d’hôtel.

Le dossier prend une nouvelle tournure après l’ouverture d’une instruction judiciaire, le 28 mars 2011, lorsque les écoutes révèlent les liens qu’entretient Kojfer avec plusieurs fonctionnaires de police retraités ou en activité. Des liens souvent noués au sein de la même loge maçonnique et resserrés par leur goût commun pour les « soirées libertines ». Au mois de mai, Dominique Strauss-Kahn est arrêté à New York, dans l’affaire du Sofitel. La gauche française se dit « sous le choc ». Kojfer et “Dodo la Saumure”, eux, ne sont pas tellement surpris et en “plaisantent” au téléphone :

Dodo : Ouais c’est pas étonnant de dire, tu sais quand je lui avais ramené des filles, tu te souviens.

René : Je sais.

Dodo : Il avait voulu baiser Béa dans les toilettes d’ailleurs de force.

René : Je sais, c’est un gros cochon, il est pire que moi.

L’enquête s’accélère après les mises en examen, quelques mois plus tard, de David Roquet (directeur d’une filiale du groupe de BTP Eiffage), de Fabrice Paszkowski (responsable d’une société de matériel médical) et du commissaire Lagarde. DSK devient alors le « pivot central » de l’affaire, comme il fut le « pivot central » de plusieurs de ces « soirées libertines » organisées à Paris, Vienne, Madrid, ou encore Washington, durant lesquelles des prostituées étaient « offertes » par Paszkowski et Roquet, aux frais de leurs entreprises respectives.

Le Carlton de Lille.Le Carlton de Lille. © ES

Face aux juges, plusieurs jeunes femmes ayant participé à ces soirées ont décrit par le menu le déroulé de celles-ci. Les mots employés sont hard, dans tous les sens du terme. Elles parlent d’« abattage », de « véritable boucherie », de « carnage » même. Quatre d'entre elles se sont portées partie civile dans le dossier. Durant les trois prochaines semaines, elles devront de nouveau s'exprimer en public, détailler devant le tribunal ce qu'elles ont déjà confié à l'abri des bureaux d'instruction. La demande de huis clos formulée par leur avocat a été rejetée ce lundi.

Leurs propos avaient déjà été repris au long cours dans l’ordonnance signée des juges Stéphanie Ausbart et Mathieu Vignau, lesquels ont pris soin d'insister par écrit sur « la violence » du comportement sexuel de DSK, « son appétence pour les rapports sexuels de type sodomie (…) qu’il pratiquait de façon brutale, sans tenir compte de l’avis et du bien-être de ses partenaires, sans utilisation de préservatif ».

Une façon d’agir qui « n’est pas la coutume du libertinage et démontre sa connaissance de la qualité des filles », expliquent les juges, tentant ainsi de démontrer que l’ancien patron du FMI, contrairement à ce qu’il soutient depuis le début, ne pouvait ignorer qu’il avait affaire à des prostituées. La nuance est de taille, puisqu’elle fonde en grande partie le motif de renvoi de l’ancien patron du FMI devant le tribunal correctionnel. L’ordonnance souligne encore que « certains éléments acquis au dossier ont permis aux juges d’instruction de considérer que, loin d’être un simple client consommant gratuitement, Dominique Strauss-Kahn a apporté son aide et son assistance à la prostitution d’autrui ».

Parmi ces éléments, « la mise à disposition d’un appartement à Paris », mais aussi la réservation et le règlement de chambres d’hôtel par DSK qu’ils soupçonnent d’être « l’instigateur » des faits poursuivis, les soirées ayant été organisées « pour répondre à une invitation de Dominique Strauss-Kahn » et les jeunes femmes ayant été sélectionnées « selon les critères de choix et les attentes » du même DSK.

Depuis quatre ans, l’affaire a été largement relayée par la presse. Écoutes téléphoniques, SMS, témoignages, auditions… Pas un élément du dossier n’a échappé aux filets médiatiques. Ce lundi, les avocats des parties civiles, ceux des prévenus, et le président Lemaire lui-même, se sont employés à dénoncer la « violation de l’instruction » dans ce dossier, le « déferlement médiatique » et la « campagne de presse orchestrée à un niveau industriel ». Quelque 300 journalistes se sont accrédités pour couvrir le procès. Les nombreuses cartes de presse présentes au tribunal pourront le suivre durant les trois semaines prévues au calendrier. Le tribunal ayant finalement « joint au fond » la demande de nullité relative aux écoutes administratives, celle-ci ne sera tranchée qu'au moment du jugement.

Comme les treize autres prévenus, Dominique Strauss-Kahn sera donc entendu, mais la semaine prochaine seulement, les premières journées d’audience étant réservées aux auditions de René Kofjer, Hervé Franchois et Francis Henrion, les membres du groupe « hôtelier ». Avant de laisser repartir tout le monde, le président Lemaire a tout de même précisé : « Ce dossier s'est embrasé dès la révélation des premiers feux. Il nous arrive dans un contexte extraordinaire. Le tribunal voudrait le juger de la manière la plus ordinaire qui soit, par l'application des règles du droit. » Pas de morale donc, simplement des textes de loi. Et un « grand principe » également rappelé en clôture de séance : « le respect de la liberté d’expression ».

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Starred up


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