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Que dit la vidéo antidjihadiste du gouvernement ?

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Le gouvernement français s’est lancé mercredi 28 janvier dans la contre-propagande antidjihadiste sur Internet avec un site et une vidéo choc. En quatre jours, cette vidéo de 2 minutes (4 clips de 30 secondes), conçue par le service d’information du gouvernement (SIG) pour décourager les jeunes Français de partir en Syrie et en Irak, a atteint près de 700 000 vues.


Sur le mode du tutoiement, la campagne joue sur l’opposition entre les promesses des djihadistes pour embrigader de nouveaux combattants (images couleur) et la réalité de territoires en guerre (images en noir et blanc). « Ils te disent : sacrifie-toi à nos côtés, tu défendras une juste cause » se transforme en « En réalité, tu découvriras l'enfer sur terre et mourras seul, loin de chez toi ». « Le message, c’est : on vous vend du rêve, voici la réalité, dit Christian Gravel qui dirige le SIG, placé sous l'autorité du premier ministre Manuel Valls. Notre souci était surtout de ne pas faire le jeu des djihadistes qui cherchent à établir un clivage entre judéo-chrétiens et musulmans. »

Le SIG a utilisé des images, systématiquement sourcées, venant à la fois de l'État islamique, de grandes agences (AFP, Reuters, Associated Press) ainsi que de journalistes indépendants. La scène marquante des trois hommes exécutés et jetés dans un précipice, qui ouvre la première vidéo, a ainsi été filmée par l'État islamique lui-même, à Raqqa en Syrie en janvier 2014. Une autre, montrant l’exécution publique d’un homme ayant avoué avoir marché sur le Coran lors d’une querelle familiale, se déroule à « Deir Ezzor, Syrie, entre septembre et décembre 2014 ». La source est un « journaliste infiltré à Raqqa », indique le site gouvernemental.

Déconseillées aux moins de 12 ans, certaines images sont très dures, même si le montage, rapide, ne s’attarde jamais : corps décapités, crucifiés, traînés derrière une voiture. La plupart ont été filmées à Raqqa, en Syrie, « capitale » du califat, lors de la célébration par l’État islamique de la prise de la ville irakienne de Mossoul en juin 2014.

L’esthétique s’inspire directement des codes de la propagande djihadiste, reprenant notamment la musique orientale des films « 19HH » d’Omar Omsen, « une superproduction hollywoodienne qui a coûté des millions de dollars », précise Christian Gravel. Ce Niçois de 39 ans, parti en Syrie fin 2013, serait selon Le Figaro « connu des services de sécurité comme le premier recruteur des djihadistes français via des vidéos diffusées sur YouTube ». « Nous avons cherché à reprendre les codes de ce qui peut séduire les jeunes aujourd’hui », dit le chef du SIG.

Un des quatre clips vise ainsi directement les jeunes filles tentées par le départ en montrant des femmes et enfants épuisés : « Tu élèveras tes enfants dans la guerre et la terreur. » Il s'agit de réfugiés yézidis fuyant dans les montagnes d'Irak l’avancée de l'État islamique en août 2014. Un autre joue sur la fibre humanitaire, qui motive de nombreux départs, en insistant lui aussi sur des enfants yézidis en pleurs dans un hôpital de la ville kurde d’Al-Malikiyah, là aussi suite aux attaques de Daech. « Les djihadistes profitent d’une situation réelle et insoutenable, de l’absence d’ONG, de la violence de la répression de Bachar al-Assad pour recruter, rappelle Christian Gravel. Ils s'appuient sur une situation malsaine : nous avons tous vu ces scènes d’enfants gazés en août 2013, au moment où nous aurions dû intervenir. »

Pour David Thomson, auteur de l’ouvrage Les Français jihadistes, le spot, « assez bien fait », s’adresse avant tout aux familles : « Tout l’aspect qui montre qu’en quelques messages échangés sur Facebook, on peut se retrouver en Syrie, c’est intéressant, car cela peut alerter les familles qui sont parfois les dernières à apprendre que leur fils est parti. Des djihadistes avaient deux comptes Facebook, et certaines familles prennent connaissance du départ de leur fils en recevant un coup de fil de leur enfant, qui les appelle une fois arrivé en Syrie… »

Ce clip échouera en revanche selon lui à détourner les apprentis djihadistes de la tentation du départ. « Les jeunes disqualifient immédiatement toute image et tous messages venus du gouvernement, qu’ils considèrent comme de la propagande, dit-il. Quelle que soit la pertinence des arguments, il est difficile pour l’État français de les toucher. Et puis, leur dire qu’ils trouveront la mort là-bas et s’en servir comme un argument, c’est un peu paradoxal, puisque les djihadistes sont déjà au courant : mourir en martyr, c’est même ce qu’ils cherchent. »

À noter également qu'Amedy Coulibaly et les frères Kouachi, auteurs des attentats de Paris, ne s'étaient pas radicalisés sur Internet. Les derniers faisaient d'ailleurs partie d'une génération de djihadistes plutôt ancienne, dans les radars des services et de la justice depuis le démantèlement en 2005 de la filière djihadiste dite des Buttes-Chaumont à Paris.

« La campagne ne peut être efficace que sur des jeunes qui s’interrogent, qui sont tombés sur des sites parlant de paysages, d’aventures, de violence et peuvent potentiellement basculer, estime de son côté Christian Gravel. Nous sommes lucides sur le fait qu'elle n'aura d'impact sur ceux qui sont déjà passés dans autre chose, car les techniques employées par les djihadistes relèvent vraiment de la manipulation mentale. C’est une logique sectaire où tout est fait pour isoler un individu, l’extraire et l’intégrer à un nouveau groupe. Ce n’est pas notre clip qui va inverser ce processus. »

Conçue « en étroite collaboration » avec le ministère de l’intérieur, l’Uclat (unité de coordination de la lutte antiterroriste), les services de renseignement, la vidéo a coûté « quelques dizaines de milliers d’euros » selon le SIG avec des « achats d'espace sur Facebook et Twitter ». Ont également été pris en compte les retours des responsables de la plateforme du numéro vert "anti-djihad", mis en place au printemps 2014 pour les proches de candidats au départ, ainsi que d’«experts» comme l’anthropologue Donia Bouzar, fondatrice du Centre de prévention des dérives sectaires liées à l'islam et omniprésente sur ces questions.

Aux États-Unis, c'est le département d'État (équivalent du ministère des affaires étrangères) qui a lancé en décembre 2013 une campagne  « Think again, turn away » (pensez-y à deux fois, faites machine arrière) sur Twitter et Facebook. Une vidéo parodique, intitulée « Bienvenue dans l'État islamique », a été diffusée en septembre 2014. Elle commente sur le ton de la moquerie les crimes attribués à l'organisation. Sur Twitter, le département d'État n'hésite pas à contre-argumenter pied à pied contre des "tweetos" djihadistes. Au risque, comme l'a jugé le magazine Time, de mener une campagne contreproductive en leur offrant une visibilité et une légitimité qu'ils n'auraient sinon jamais pu espérer.

Exemple de discussion sur Twitter entre un djihadiste et le Département d'Etat américainExemple de discussion sur Twitter entre un djihadiste et le Département d'Etat américain

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Citizen Four


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