Bordeaux, de notre envoyé spécial. À voir l’énergie dépensée par leurs défenseurs et les trouvailles procédurales qu’ils sont allés dénicher, on se dit que Patrice de Maistre et François-Marie Banier sont ceux, parmi les prévenus, qui ont réellement le plus à craindre de la tenue du procès Bettencourt. La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qu’ils avaient plaidée avec fougue, lundi dès l’ouverture du procès, a été rejetée par le tribunal pour absence de motif sérieux, ce qui était prévisible (lire notre article ici). Comme la veille, la journée de mardi a été consacrée à des incidents de procédure, sur lesquels le tribunal correctionnel de Bordeaux rendra sa décision mercredi matin à 9 h 30. Et comme la veille, les offensives contre l’ouverture des débats eux-mêmes se sont multipliées, par vagues de robes noires.
Comme dans un théâtre où l’on jouerait à la guerre, alors que certains prévenus risquent en fait leur liberté ou leur patrimoine, la défense s’est réparti les rôles pour monter à l’assaut du procès. Pour l’artillerie lourde, on peut compter sur Pierre Haïk, l’un des défenseurs de Maistre. Il essaie de pulvériser l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel par laquelle les juges d’instruction ont saisi le tribunal. « Cette ordonnance a bafoué, piétiné les principes fondamentaux de notre droit pénal, je n’ai jamais vu ça ! C’est scandaleux, indigne de l’institution judiciaire ! » bombarde Me Haïk, dont la colère semble surjouée.
L’infanterie, c’est Pierre Cornut-Gentille, l’un des défenseurs de Banier. Tous deux redoublent d’efforts pour tenter de démontrer que les juges ont instruit uniquement « à charge », qu’ils se sont acharnés, en écartant systématiquement du dossier tout ce qui pouvait être favorable aux mis en examen. Des formules chocs occupent un peu les médias. Mais il reste que les juges d’instruction de l’affaire Bettencourt ont accordé plusieurs non-lieux, et que leur procédure a déjà été validée par la cour d’appel et la Cour de cassation. Autant dire que le tribunal ne risque pas de déclarer leur ordonnance irrecevable, et annuler du même coup le procès.
On attaque donc les témoins. C’est la suite du plan. Puisqu’un juge d’instruction parisien a accepté de mettre Claire Thibout, l’ex-comptable des Bettencourt, en examen pour « faux témoignage », les avocats tentent une opération qui est vouée à l’échec : ils demandent au tribunal de surseoir à statuer, le temps que la procédure parisienne s’achève. Ce qui reviendrait à renvoyer l'affaire Bettencourt aux calendes grecques, et empêcherait certainement la tenue de tous les grands procès où de puissants intérêts sont en jeu. Jacqueline Laffont, qui défend elle aussi Maistre, se risque avec élégance dans cette opération commando.
Et pour finir (comme nous l’annoncions, là aussi, aussi avant le procès), la défense essaie même d’expulser symboliquement les parties civiles du procès en les faisant déclarer irrecevables, cela au motif que la fille unique et les deux petits-fils de Liliane Bettencourt, encore présents à l’audience ce mardi, n’ont pas subi un vrai préjudice. Après quelques plaidoiries d’un goût assez douteux, de la part de certains défenseurs de milliardophiles jugés pour « abus de faiblesse », la partie civile se fâche. « Après le procès des juges, puis celui des témoins, voici celui des plaignants », contre-attaque Nicolas Huc-Morel, l’un des avocats de la famille Bettencourt. Lui veut un vrai procès. Le parquet aussi, cela tombe bien.
Prudemment, Éric Woerth et Pascal Wilhelm étaient absents toute la journée du mardi, comme s’ils ne voulaient pas être associés à tout cela. Le tribunal, lui, rendra sa décision sur tous ces incidents de procédure mercredi matin à 9 h 30.
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