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Nicolas Sarkozy et le boomerang des attentats de Paris

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La droite a un problème. Un problème politique, un problème d’intelligibilité. Mise en difficulté par la conversion sociale-libérale de la gauche gouvernementale, condamnée à saluer la fermeté affichée par l’exécutif depuis les attentats de Paris, l’UMP peine à trouver sa place sur son propre terrain. Mais plus encore que la droite, c’est Nicolas Sarkozy qui a un problème. Plusieurs problèmes, même. Déjà affaibli par le fiasco de son retour, le patron de l’opposition ne parvient toujours pas à rattraper son retard et voit peu à peu ses principaux adversaires, à droite comme à gauche, le distancer.

L’ancien chef de l’État semble tout juste commencer à comprendre qu’il a été battu le 6 mai 2012. Lui qui moquait, il y a quelques mois encore, François Hollande qui n’avait pas, comme lui, des « contacts directs » avec les grands de ce monde, voit aujourd’hui son successeur s’imposer sur la scène internationale. Son “pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette” observé lors de la marche du 11 janvier peut paraître anecdotique. Il est pourtant révélateur d’une forme de déclin politique.

 Nicolas Sarkozy, entre Benjamin Netanyahou et le président malien Boubacar Keïta. Nicolas Sarkozy, entre Benjamin Netanyahou et le président malien Boubacar Keïta. © Reuters

Nicolas Sarkozy a beau, comme il l’a fait au 20 heures de France 2, mardi 21 janvier, se défendre de « tomber à ce niveau-là », il n’est pas exempt de responsabilités dans ce qu’il qualifie lui-même de « politicaille ». Loin s’en faut. Le patron de l’UMP a du mal à assumer ses nouvelles fonctions. Être considéré comme simple chef de l’opposition ne lui suffit pas. « Je suis d’abord un ancien chef de l’État avant d’être le chef de ma famille politique », explique-t-il pour justifier son refus de prendre Jean-Christophe Cambadélis au téléphone, rapporte Le Point.

Sur ses comptes Twitter et Facebook, dont il surveille la fréquentation comme le lait sur le feu, il ne se présente d’ailleurs pas comme « président de l’UMP », mais simplement comme « 6ème Président de la Vème République française ». C’est la raison pour laquelle il refuse, depuis son élection, de débattre avec son homologue de la rue de Solférino. « Je ne connais pas Monsieur Cambadélis. Si Hollande veut prendre de la hauteur, il n’a qu’à m’appeler », déclarait-il à Manuel Valls après l’attentat de Charlie Hebdo, selon L’Obs.

En recevant Nicolas Sarkozy à l’Élysée le 8 janvier, Hollande a pris soin de l’accueillir avec le protocole réservé aux anciens chefs d’État. Leur entretien a marqué le début de la fameuse « union nationale » à laquelle se sont prêtées la gauche et la droite durant… quelques jours. Pour jouer son rôle d’opposant, l'UMP ne pouvait pas indéfiniment applaudir aux discours du premier ministre, comme elle l’a fait le 13 janvier à l’Assemblée nationale. Le patron du parti avait d’ailleurs prévenu ses troupes dès le 9 janvier.

Nicolas Sarkozy et François Hollande sur le perron de l'Élysée, le 8 janvier.Nicolas Sarkozy et François Hollande sur le perron de l'Élysée, le 8 janvier. © Reuters

« Il nous a clairement fait comprendre que l’union nationale durerait jusqu’à la marche, mais que dès le lendemain, ce serait terminé », se souvient un membre du bureau politique de l'UMP. De fait, pendant que Nicolas Sarkozy proposait dans l’urgence une série de mesures en matière de sécurité et d’éducation – auxquelles bon nombre de ténors de la droite n’ont même pas daigné jeter un œil, selon Libération –, ses lieutenants ont cherché le moindre prétexte pour briser « l’esprit du 11 janvier ».

Un exercice d’autant plus délicat que l’UMP et le gouvernement sont globalement d’accord sur les différentes propositions avancées ces quinze derniers jours pour lutter contre le terrorisme. Même la « peine d’indignité nationale », exhumée par l’opposition des tréfonds des années 1940, a trouvé une oreille attentive du côté de Matignon. L’Élysée n’y est pas favorable, la garde des Sceaux, Christiane Taubira, non plus. Qu’importe, puisque c’est Manuel Valls qui mène la danse en ce moment. Le premier ministre a donc lancé une « réflexion transpartisane » sur le sujet, conduite à l’Assemblée et au Sénat par le socialiste Jean-Jacques Urvoas et l’UMP Philippe Bas.

Le fond étant décidément peu critiquable, la droite a choisi d’attaquer sur la forme. Quand Jean-Christophe Cambadélis a pointé la « contradiction » de Nicolas Sarkozy qui « est à la fois chef de parti » et qui « veut être au niveau du président de la République », quelques voix de l’UMP ont commencé à bougonner. Quand Christiane Taubira a déclaré « qu'une nouvelle grande loi antiterroriste » n'était pas nécessaire, la rumeur s’est enflée rue de Vaugirard. Mais il aura fallu attendre que Manuel Valls prononce le mot « apartheid » pour que l’ensemble de la droite se réveille.

Comme ses camarades de l’opposition, Nicolas Sarkozy s’est dit « consterné » par l’emploi de cette expression. « Comparer la République française à l'apartheid, c’est une faute », a-t-il tranché, choisissant de recourir à son tour aux armes lexicales pour affronter celui qui n’en finit pas de lui voler la vedette. L’angle d’attaque peut surprendre venant de quelqu’un dont le parcours est jonché de « racaille », de « Kärcher », de « casse toi pov’con » et autre formules printanières. Surtout, il s’est rapidement retourné contre le patron de l’UMP. « Dans ces moments-là, il ne faut pas penser à soi, il ne faut pas penser à je ne sais quelle échéance, a ainsi répliqué Manuel Valls, le 22 janvier. Vous croyez que moi, ou nous, allons perdre du temps à ce type de polémique ? »

Avant d’ajouter, comme pour siffler la fin de la récréation : « Dans ces moments-là, tout le monde, et à commencer par les responsables politiques, ceux qui gouvernent, comme ceux qui hier ont gouverné, doivent être grands, pas petits, se hisser au niveau de l’exigence des Français, (…) participer à aucune polémique qui vise non pas à discuter du fond de la politique, mais à briser l’esprit du 11 janvier, à mettre en cause l’unité nationale. » Bien entendu, l’UMP se défend d’avoir porté le coup de grâce à l’union nationale. Mais les “off” que son président ne peut s’empêcher de faire attestent le contraire.

Nicolas Sarkozy et Manuel Valls, au Parc des Princes à Paris, le 2 mars 2014.Nicolas Sarkozy et Manuel Valls, au Parc des Princes à Paris, le 2 mars 2014. © Reuters

« Son union nationale à Hollande, ça commence à me courir », aurait confié Nicolas Sarkozy, lundi 19 janvier, selon Le Canard enchaîné. Ce soir-là, alors que toute la classe politique – FN compris – se pressait aux 70 ans de l’Agence France-Presse pour célébrer la liberté de la presse deux semaines après la tuerie de Charlie Hebdo, l’ancien chef de l’État se montrait aux 20 ans d’Alliance Police nationale, syndicat classé à droite.

« La liberté de la presse, c'est bien gentil, mais franchement, moi je préfère aller voir les flics », aurait encore lancé Nicolas Sarkozy à l’occasion de cette soirée. Rien d’étonnant lorsqu’on se rappelle la place qu’occupait la France dans le classement en matière de liberté de la presse publié par Reporters sans frontières, à quelques mois de la fin de son mandat. « Suscitant toujours l’inquiétude sur la protection du secret des sources et la capacité des journalistes d’investigation à enquêter sur les cercles proches du pouvoir, la France stagne à un niveau décevant », écrivait à l’époque l’association.

Parmi les nombreuses questions politiques suscitées par les attentats de Paris, figure celle du bilan. Et en matière de liberté de la presse, comme de sécurité et d’éducation, celui de Nicolas Sarkozy lui revient aujourd’hui comme un boomerang. Pointer des failles et critiquer des réformes relève de la mission impossible pour celui qui fut chargé des sujets régaliens pendant dix ans, d’abord place Beauvau puis à l’Élysée. Frédéric Péchenard, l’ancien grand flic devenu directeur général de l’UMP, en a très vite convenu : « Vu les responsabilités que j’occupais avant, je ne me vois pas pointer du doigt nos services de renseignement », expliquait-il à Mediapart, dès le 11 janvier.

Frédéric Péchenard à la marche parisienne du 11 janvier.Frédéric Péchenard à la marche parisienne du 11 janvier. © ES

L’ancien chef de l’État, lui, ne s’est même pas donné cette peine. Et c’est sans complexe qu’il est venu assener ses contrevérités au 20 heures de France 2, le 21 janvier. Interrogé sur la baisse des effectifs de la police et de la gendarmerie durant son quinquennat, l’ancien ministre de l’intérieur a imaginé ses propres statistiques. « C'est faux, c'est faux, c'est totalement faux. (…) Les chiffres parlent d'eux-mêmes : entre 2002 et 2011, on a eu 1 700 postes de plus », s’est-il offusqué, semblant oublier que la police et la gendarmerie ont perdu plus de 9 000 postes entre 2007 et 2012, à la suite de sa fameuse réforme de la RGPP, visant à ne remplacer qu’un départ à la retraite sur deux.

Sa solution pour faire face à la menace terroriste ? Adapter son antienne « travailler plus pour gagner plus » aux forces de l’ordre en proposant « de décider immédiatement de rétablir les heures supplémentaires dans la police et les services de renseignement ». Mais là encore, le patron de l’opposition a tout faux. Car non seulement ces heures supplémentaires existent déjà dans la police, mais elles ont en plus été vivement critiquées par la Cour des comptes qui en a dénoncé les « dérives » dans un rapport paru en 2013.

Le bilan de Nicolas Sarkozy n’est guère plus défendable en matière de renseignement. Réduits à peau de chagrin par la réforme de 2008, les anciens RG ont en effet pâti de la création de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), ce “FBI à la française” dirigé par Bernard Squarcini jusqu’en mai 2012. On sait aujourd’hui, principalement grâce à l’enquête des auteurs de L’Espion du président  (Éd. Robert Laffont) comment la DCRI était devenue, sous la direction de ce policier totalement dévoué à Sarkozy, l’exécutante des missions de basse police du pouvoir politique en général et de l’ancien chef de l’État en particulier.

Déjà mis en difficulté après l’affaire Merah, Bernard Squarcini a cette fois-ci tenté de prévenir les éventuelles critiques en s’invitant sur France 2, dès le lendemain de la tuerie de Charlie Hebdo. L’homme qui surveillait les journalistes est ainsi venu livrer au 20 heures ses conseils pour mieux surveiller les filières djihadistes qui ne l’étaient vraisemblablement pas assez lorsqu’il était aux manettes. Selon nos informations, l’ancien patron de la DCRI a été convoqué par le ministère de l’intérieur, quelques heures seulement après le premier attentat. « Pour venir en renfort », plaide-t-on à droite. « Pour s’expliquer », imagine-t-on à gauche.

L'ancien patron de la DCRI, Bernard Squarcini.L'ancien patron de la DCRI, Bernard Squarcini. © Reuters

Autre sujet d’actualité, autre question délicate pour l’UMP : l’éducation. Non contente de n’avoir jamais rien fait pour favoriser la mixité sociale à l’école lorsqu’elle était au pouvoir, la droite a également fermé les yeux sur le rapport Obin – du nom de Jean-Pierre Obin, un inspecteur général de l’éducation nationale – sur les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires, publié en 2004.

À l'époque, cette enquête, qui pointait déjà les difficultés rencontrées par l'école aujourd'hui, a été rapidement enterrée. « François Fillon (alors ministre de l’éducation nationale – ndlr) a attendu neuf mois avant de publier le rapport sur le site du ministère, sans faire de bruit, le plus discrètement du monde », a dénoncé son auteur dans L’Express. Interrogé à ce sujet sur Europe 1, Jean-Pierre Raffarin, premier ministre de 2002 à 2005, s’est défendu d’avoir « planqué » cette enquête, avant de reconnaître : « Nous avons des échecs, il faut les regarder en face sur ce sujet. »

Nicolas Sarkozy n’a pas des ennemis qu'à gauche. Dans son propre camp, plusieurs voix s’élèvent contre un sujet très embarrassant pour l’ancien chef de l’État : ses relations avec le Qatar, que beaucoup soupçonnent de financer des groupes terroristes. C’est Bruno Le Maire, son principal concurrent à la présidence de l’UMP, qui a le premier mis les pieds dans le plat. « Je ne comprends pas qu'on puisse avoir des doutes sur un double-jeu du Qatar », a-t-il déploré sur BFM-TV, le 19 janvier. Mardi 20 janvier, il a de nouveau fait part de ses questionnements à l’occasion du bureau politique de l’UMP, face à un Nicolas Sarkozy visiblement irrité par les sous-entendus du député de l'Eure.

« Il est très sensible sur ce sujet », confie un proche au Monde. On le serait à moins. Comme l’a raconté Mediapart, l’ancien président est un grand ami du Qatar, où il se rend régulièrement. C’est d’ailleurs à Doha qu’il a donné, le 6 décembre, sa première conférence rémunérée en qualité de patron de l’UMP. « Le Qatar est un pays ami de la France. Pas depuis moi, c'est François Mitterrand », s’est-il défendu sur RTL le 12 janvier, avant de commettre un curieux lapsus : « Vous croyez que François Mitterrand, Jacques Chirac, moi-même hier, François Hollande aujourd'hui, on aurait cette politique d'amitié avec le Qatar si nous pensions que le Qatar c'était uniquement le financeur du terrorisme ?… C'était le financeur du terrorisme ? »

L'homme d'affaires qatari et président du PSG, Nasser Ghanim Al-Khelaïfi, et Nicolas Sarkozy, le 29 novembre.L'homme d'affaires qatari et président du PSG, Nasser Ghanim Al-Khelaïfi, et Nicolas Sarkozy, le 29 novembre. © Reuters

La défense bégayante de Nicolas Sarkozy est du pain bénit pour ses adversaires de droite. Son ancien premier ministre, François Fillon, n’a d’ailleurs pas tardé à s’engouffrer dans la brèche ouverte par Bruno Le Maire, en soulignant « le rôle ambigu » joué par le Qatar dans la lutte contre les djihadistes. « Le Qatar se retrouve au beau milieu d’un règlement de comptes politique, se désole l’entourage de Meshal Hamad Al Thani, l’ambassadeur du Qatar à Paris, dans Le Monde. La cible, ce n’est pas le Qatar, mais Sarkozy, bien sûr. »

Confronté à son bilan, critiqué pour son mélange des genres et réduit à l’atonie par une gauche gouvernementale qui empiète sur son terrain, Nicolas Sarkozy se retrouve aujourd’hui dans une impasse. Dans ses propres rangs parlementaires, le patron de l’opposition est dénigré. « Franchement, tout le monde s’en fiche un peu, souffle un député UMP quand on l’interroge sur la présence de l’ex-chef de l’État aux réunions du groupe à l’Assemblée nationale, le mardi matin. On attend de voir… Pour le moment, nous n’avons que les retours du terrain et ils ne sont pas bons. »

Les fidèles eux-mêmes commencent à refréner leurs ardeurs. Quand le sénateur des Hauts-de-Seine, Roger Karoutchi, menace de quitter l’UMP – « ce parti de pleutres » –, l’éditorialiste Éric Brunet – qui avait signé en 2012 Pourquoi Sarko va gagner (Éd. Albin Michel) – tweete avoir soutenu l’ancien président « pour des raisons personnelles », mais n’avoir jamais été « sarkolâtre » ni « sarkophile ». L’ex-chef de l’État n’attire plus. En témoignent aussi les faibles audiences réalisées par France 2 lors de son passage au 20 heures. Roland Marci, l’un des personnages du feuilleton Plus belle la vie, s’en souvient encore.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Eviter les piratages « bêtes »


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