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L'affaire Chauprade révèle les contradictions du FN

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« On a le culte de la cheftaine, mais ça grogne ! » résume un membre du bureau politique. Alors que Marine Le Pen a désavoué son conseiller international Aymeric Chauprade après sa vidéo sur une « cinquième colonne » islamiste qui existerait en France, de nombreux responsables et cadres se lâchent sur les réseaux sociaux et dans les médias, bien loin de la ligne de refus des amalgames qu'affiche la présidente du Front national.

Dans sa vidéo, postée le 15 janvier, Aymeric Chauprade explique que « la France est en guerre contre des musulmans ». Il dénonce « l’idéologie ressassée du "pas d’amalgame" », à la fois « fausse » et « dangereuse », car « l'islam fait planer sur la France une menace très grave sur son avenir ». « Une cinquième colonne puissante vit chez nous et peut, à tout moment, se retourner contre nous », déclare-t-il. « On nous dit qu’une majorité de musulmans est pacifique. Certes mais une majorité d’Allemands l’était avant 1933 et le national-socialisme allemand. »

Lundi, Marine Le Pen a annoncé que l’eurodéputé n'était plus son conseiller politique aux affaires internationales. Mercredi, elle a dit qu’elle réfléchissait à lui retirer ses responsabilités de chef de délégation FN au parlement européen, « à partir du moment où il refuse toute concertation préalable à ses prises de position ». De son côté, Aymeric Chauprade affirme à l'AFP ne pas être « sort(i) de la ligne » et avoir fait « la distinction entre différentes formes de l'islam ».

La présidente du FN est surtout embarrassée par une vidéo qui brouille sa stratégie de communication, deux semaines après les attentats de Paris. Tenue à l’écart de la grande marche républicaine à Paris, le 11 janvier, puis sifflée par des manifestants lors de son rassemblement à Beaucaire, la présidente du FN ne veut pas s'isoler davantage. « Elle ne veut pas souffler sur les braises et être rendue responsable d’événements qui nous dépasseraient. Elle a peur qu'en cas de réactions fortes contre les mosquées, cela nous retombe dessus », rapporte à Mediapart un membre du bureau politique.

Elle a donc déployé un rideau de fumée. Elle a d'abord demandé aux responsables FN locaux de ne pas diffuser la vidéo pour « des raisons juridiques ». Son entourage a expliqué qu'elle était convaincue que les associations anti-racistes « se jetteraient sur ce texte ». Mercredi, SOS Racisme et le Collectif contre l'islamophobie en France ont annoncé qu’ils déposeraient plainte contre le conseiller frontiste.

Parallèlement, la présidente du FN a expliqué, dans le New York Times, vouloir regarder « dans les yeux l’ennemi à combattre » pour « éviter l’amalgame »: « Les musulmans eux-mêmes ont besoin d’entendre ce message. Ils ont besoin que l’on fasse clairement la distinction entre le terrorisme islamiste et leur foi. »

Mais l’« affaire » a pris de l’ampleur. À rebours de la consigne de Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen ont apporté leur soutien à Chauprade, le premier en jugeant son propos « tout à fait juste et intelligent », la seconde en diffusant sa vidéo. Sur Twitter, de nombreux militants, élus ou cadres frontistes l'ont également relayée.

Jeudi, la députée du Vaucluse a réfuté dans le Parisien toute « volonté de contester l'autorité de Marine Le Pen », tout en la contredisant dans la foulée: à la différence de sa tante, elle juge « minime » « le risque juridique » de cette vidéo dont elle « partage l'analyse » « et qui ne fait aucun amalgame », selon elle.

« Il y a une guerre ouverte, il y a deux Le Pen contre un maintenant », estime un membre du bureau politique, qui affirme que le président d’honneur du FN « a entraîné avec lui les deux sénateurs », Stéphane Ravier et David Rachline. D'après lui, la décision de Marine Le Pen est incomprise par de nombreux militants. « Elle a tellement encensé Chauprade et sa "Chronique du choc des civilisations" (son ouvrage publié en 2009 et très relayé à l’extrême droite, ndlr), que les gens ne comprennent pas et disent qu'il ne fait que reprendre son livre ! » Pour lui, l'eurodéputé est « représentatif » d’une « tendance lourde » au FN. « Ça suffit, on n'a jamais été agressé par un juif ! ajoute-t-il. On en a marre de tous ces étrangers qui s'intègrent mal. »

Le désaveu d'Aymeric Chauprade met surtout au jour une contradiction au Front national. D'un côté, une présidente qui affiche un refus des amalgames. De l'autre, des membres qui n'ont de cesse de lier islam, immigration, délinquance et terrorisme, ou bien qui stigmatisent pêle-mêle musulmans, immigrés et étrangers. De l'état-major du FN aux militants, en passant par les secrétaires départementaux et cadres du parti, l'obsession reste l'islam.

Le compte Twitter de Louis Aliot, pourtant l'artisan de la stratégie de « dédiabolisation » du FN, en donne un aperçu. Ces cinq derniers jours, par exemple, le numéro deux du FN a relayé des tweets sur des « milliers de Kouachi qui arrivent » ; un article sur « un chien pendu, égorgé et calciné "au nom de l'islam" », un autre sur « l'homme qui paie les amendes des femmes en niqab », ou encore sur les rassemblements contre Charlie Hebdo dans « une partie du monde musulman » ; un tweet sur une « manifestation anti-française en Algérie », « ce pays (à qui) l'UMPS accorde quelque 300 000 visas par an » ; un tweet d'Alain Finkielkraut sur la « francophobie en France », des vidéos de Michel Onfray qui « persiste et signe sur "l'Islam" », des communiqués des catholiques ultras de l'Agrif.

Les maires frontistes David Rachline (Fréjus), Stéphane Ravier (7e secteur de Marseille) et Julien Sanchez (Beaucaire) mêlent quant à eux terrorisme, immigration et islamisme radical.

De son côté, le maire d'Hayange, Fabien Engelmann, très proche des islamophobes de Riposte laïque, relaie la vidéo d'Aymeric Chauprade, mais aussi d'autres messages diffusés par la sphère identitaire.

De nombreux amalgames ponctuent aussi le compte Twitter de l'un des conseillers de Marine Le Pen, Éric Domard.

Son conseiller culture, Karim Ouchikh, président du SIEL, explique quant à lui qu'un seul « intégrisme » existe, « l'islam radical » :

L'ancien président du FNJ, qui avait repris à son compte le slogan des identitaires « Je suis Charlie Martel », évoque les « islamo-racailles » :

L'islam est aussi au cœur d'une écrasante majorité des tweets de Damien Rieu, un responsable identitaire devenu directeur adjoint de la communication du maire FN de Beaucaire :

« Les musulmans sont en majorité pacifiques » mais « prétendre que ces attentats n'ont rien à voir avec l'islam, c'est se moquer du monde », estime l'eurodéputé Bruno Gollnisch dans une vidéo. « Si, ça a à voir avec l'islam. Ces extrémistes peuvent trouver dans le livre que les musulmans considèrent comme sacré, quantité d'incitations à la guerre sainte, au meurtre des chrétiens », estime-t-il, à l'inverse des « chrétiens (qui) ne peuvent pas trouver de justifications de leurs actes dans l'évangile ».

Sur son blog, l'élu reprend aussi les thèses d'Alain de Benoist, figure de la Nouvelle Droite et cofondateur du GRECE, qui accuse le gouvernement de « faire croire que le terrorisme auquel nous sommes aujourd’hui confrontés a plus à voir avec le Proche-Orient qu’avec l’immigration et la situation des banlieues ».

Entre sa stratégie médiatique et le cœur de son électorat, Marine Le Pen se retrouve dans un numéro d'équilibriste compliqué. Lors de sa conférence de presse, le 16 janvier, elle a donné des gages à sa base en liant immigration, terrorisme et islamisme radical et en demandant le retrait des « milliers d'armes qui circulent dans les banlieues ».

La présidente du FN compte envoyer une lettre aux cadres « pour les informer des tenants et aboutissants de cette petite affaire » Chauprade, qu'elle met sur le compte de la « soif incroyable de reconnaissance » de son conseiller, « incapable de la moindre discipline ».

Mais cet épisode révèle aussi de fortes tensions entre deux clans s'opposant violemment au sein du parti. D'un côté, une ligne incarnée par Florian Philippot, appuyé par les anciens du GUD qui entourent Marine Le Pen (Philippe Péninque, Frédéric Chatillon, Axel Loustau). De l'autre, un axe autour d'Aymeric Chauprade, soutenu par Jean-Marie Le Pen, Marion Maréchal-Le Pen, de nombreux eurodéputés et des historiques du parti comme Bruno Gollnisch.

Florian Philippot, vice-président du FN.Florian Philippot, vice-président du FN. © Reuters

Les anti-Philippot sont remontés contre le jeune vice-président, omniprésent dans les médias et très écouté par Marine Le Pen. Quant aux anti-Chauprade, ils ont perçu le « manifeste » de l'eurodéputé au mois d'août comme une déclaration de guerre. Aymeric Chauprade y expliquait qu'« Israël n'est pas l'ennemi de la France » et appelait à « éliminer » les djihadistes français partis combattre en Syrie et en Irak avant « qu'ils ne reviennent ». La présidente du FN s'était clairement démarquée de cette « vision personnelle ». Cette bataille avait dépassé les frontières du Front national, puisque Alain Soral, proche du clan des Gudards, avait violemment menacé Chauprade, en l'accusant de « trahison » avec ce « texte de soumission au sionisme » (lire nos articles ici et).

Louis Aliot, Marion Maréchal-Le Pen, Aymeric Chauprade et Marie-Christine Arnautu, lors de la "Manif pour tous" en octobre 2014.Louis Aliot, Marion Maréchal-Le Pen, Aymeric Chauprade et Marie-Christine Arnautu, lors de la "Manif pour tous" en octobre 2014. © Twitter / a_chauprade

En décembre, Chauprade s'était fait le porte-parole de la frange la plus conservatrice du parti après le recrutement du cofondateur de Gaylib et ex-UMP Sébastien Chenu, en reprochant à Marine Le Pen « d’être manipulée par le lobby gay ».

À ces oppositions idéologiques s'ajoutent de fortes querelles d'égo et d'ambitions. « Florian Philippot est très seul, il y a peu de monde derrière lui, les gens en ont plein le dos de le voir broder lui-même la doctrine du FN sur BFM et aller fleurir la tombe de De Gaulle », rapporte ce membre du bureau politique qui décrit une situation explosive: « Ça fume ici. Marine Le Pen est dans une position délicate. Elle est dépassée par ceux qu'elle a voulu faire émerger. »

BOITE NOIREMise à jour: cet article a été actualisé le 22 janvier à 15h30 avec la réaction dans le Parisien de Marion Maréchal-Le Pen.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Ca vous coûtera juste quelques données


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