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Privatiser les cars : la fausse bonne idée de Macron

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En libéralisant les cars, le gouvernement s’attaque à l'un des derniers bastions du monopole public dans les transports collectifs. Jusqu’à peu, l’État et les collectivités territoriales en avaient conjointement le monopole, qu’ils pouvaient déléguer au sein d’une agglomération. En 2009, le transport routier international s’est ouvert au privé, au bénéfice de Transdev, filiale de la Caisse des dépôts, de Veolia et ses célèbres bus Eurolines, du groupe Stagecoach et ses Megabus lowcost pour l’Angleterre, mais aussi de la SNCF, qui a affrété des iDbus (et par ailleurs, premier transporteur routier de marchandises en France). Au même moment, le train s’ouvrait à la concurrence. En 2011, la première ligne ferroviaire privée est inaugurée vers l’Italie par Transdev (encore) et TrenItalia.

Aujourd’hui, la loi Macron entend faire du transport en car, à son tour, un marché comme un autre. Objectifs affichés : améliorer la mobilité, notamment des classes moyennes et moins favorisées, créer des emplois, renforcer le positionnement des entreprises françaises sur le marché européen (Veolia peut leur dire merci). Longtemps sacrifié en faveur du train, mais aussi du tout-voiture, l’autocar se voit donc réhabilité. « Le car a été abandonné dans les années 1950 pour ne pas mettre en danger le transport ferroviaire par la SNCF, explique une spécialiste du secteur, contrainte à l’anonymat par ses fonctions professionnelles. Mais à partir du moment où l’Europe libéralise le train, il n’était pas logique de ne pas ouvrir la route à la concurrence. » En apparence d’ordre technique, cette ouverture à la concurrence est loin d’être neutre, tant d’un point de vue écologique que social.

  • Est-ce économiquement porteur ?

Aujourd’hui, le transport en autocar est moins cher que le train, car depuis des décennies, la route a été favorisée au service du tout-voiture. Construction d’un important réseau routier, financé par la puissance publique ; fiscalité favorable au diesel ; absence de taxe poids lourds, très faible taxation carbone : le prix du billet de car ne paie pas le coût réel des infrastructures. Le réseau d’infrastructures routières (autoroutes, nationales et départementales) est dix fois plus long que le ferroviaire. Aujourd’hui, les Français se déplacent plus en voiture individuelle (85 % des transports urbains et interurbains) que la moyenne des Européens. En Espagne, Italie, Suède et Pologne, les transports collectifs routiers sont plus développés. En Grande-Bretagne et en Espagne, près de 10 % des trajets de grande distance se parcourent en car. En France, c’est infinitésimal.

Parts modales du transport urbain et interurbain en Europe (Etude d'impact de la loi).Parts modales du transport urbain et interurbain en Europe (Etude d'impact de la loi).

Dans ce contexte, lancer sa ligne d’autocars promet d’être une bonne affaire, sur certains trajets : les coûts d’exploitation sont faibles, bien moins chers que pour le ferroviaire, et les véhicules moins difficiles à remplir que les trains. « Des flux de trafic de bien plus faible densité (par rapport au train) peuvent suffire à soutenir une exploitation financièrement soutenable », explique l’étude d’impact du projet de loi.

Mais la mise en concurrence des lignes publiques par le privé ne se fera pas dans des conditions équitables : le principe de péréquation entre les lignes ou sur une même ligne entre les trajets ne s’applique qu'au service public. L’étude d’impact reconnaît ainsi qu’il est « tout à fait envisageable que sur un trajet économiquement rentable, un autocariste privé vienne perturber l’équilibre économique d’autres liaisons, bénéficiant de la péréquation, en venant faire diminuer le trafic sur ce trajet ». À noter que les TGV ne sont pas régis par des contrats de service public, pour le droit européen. Si bien que la France ne pourrait pas refuser l’ouverture d’une ligne par car pour protéger l’équilibre économique d’une ligne de TGV.

Pour autant, le giron public ne garantit pas le maintien des services de transport, en attestent les fermetures de gares dans une partie du monde rural français. « Paradoxalement, c’est quand les réseaux ont été nationalisés, sous le Front populaire, que la moitié des lignes ferroviaires ont fermé », signale le juriste Laurent Quessette. Le service public ne préserve pas d’une gestion libérale, insiste-t-il.

En guise de garde-fou, une autorité administrative indépendante sera chargée de surveiller qu’aucun contrat de service public ne sera menacé. La loi Macron transforme le régulateur actuel, l’Araf, en Arafer, pour élargir son périmètre à la route. Or sa présidente actuelle, Anne Yvrande-Billon, était précédemment chargée du dossier au sein de l’Autorité de la concurrence. Une éminente spécialiste, plutôt favorable à l’essor du car privé, selon une experte.

  • Est-ce écologiquement vertueux ?

En plein examen de la loi de transition énergétique, et alors que la France accueille en décembre le sommet Paris Climat 2015, on peut s’étonner de l’absence de discussion publique sur l’impact écologique de ce soudain soutien au car. Les transports représentent 23 % de l’empreinte carbone nationale, c’est la principale source de gaz à effet de serre. Pour l’Ademe, « l’impact à l’euro dépensé est plus fort que dans toute autre catégorie de consommation ». Les véhicules roulant au diesel émettent des particules fines, du dioxyde d’azote, ozone, dioxyde de soufre dont l’impact sanitaire est néfaste. 

Les Français utilisent globalement moins les transports collectifs que leurs voisins européens (part modale de 14,9 % contre 16,7 %). C’est un facteur de pollution de l’air, de risque sanitaire et une cause de dérèglement climatique. Les transports collectifs, même routiers, ont un moindre impact que la voiture individuelle. Par kilomètre, un passager en voiture émet 0,14 gramme de CO2 contre 0,023 gramme en bus ou car (et 0,028 gramme en train). Ce chiffrage est cela dit à relativiser car variable en fonction du taux de remplissage : un car moderne et bondé peut présenter un bilan carbone équivalent à celui d'un train vide.

Si l’ouverture de ces nouvelles lignes de cars se produit au détriment du train, le bilan environnemental de cette réforme sera négatif. Or cette hypothèse ne peut être exclue, explique l’étude d’impact de la loi, avec une étonnante légèreté : « Les conséquences des services d’initiative privée par autocar sur les services publics ferroviaires peuvent être ou ne pas être significatives. » Les trajets les plus demandés, donc potentiellement les plus lucratifs pour les autocaristes privés, sont aussi potentiellement les plus embouteillés, et donc potentiellement moins attractifs. Sauf s’ils obtiennent des couloirs express dédiés. 

Mais elle peut aussi produire l’effet inverse : si je voyage en car avec d’autres passagers plutôt que de rouler dans ma voiture individuelle, le bilan carbone de mon voyage s’améliorera nettement. L’effet écologique de la mesure deviendrait positif. Une bonne spécialiste des transports collectifs remarque ainsi que le chiffre d’affaires du site de covoiturage BlaBlaCar a prospéré en France, en particulier grâce à l’absence d’offre de transport collectif routier. 

Le député EELV François de Rugy juge ainsi que la mesure peut être intéressante : « Nous ne sommes pas contre le principe du développement du car, c’est un transport en commun. Son bilan carbone est meilleur que celui de la voiture individuelle. Pourquoi ne pas tester des liaisons avec des compagnies privées qui ne touchent pas de subventions publiques ? » France Nature Environnement ne s’y oppose pas non plus : « Le transport en car est pertinent sur certains trajets, il ne faut pas l’opposer au train, ils sont complémentaires, analyse Michel Dubromel. Le problème, c’est que le gouvernement n’a toujours pas de politique des transports : un coup à gauche, un coup à droite. On vient de voter une loi ferroviaire et maintenant, on libéralise le transport routier des personnes… »

  • Est-ce socialement juste ?

Le gouvernement met en avant un objectif de démocratisation de la mobilité des Français. L’inégalité d’accès aux déplacements est réelle en France aujourd’hui. Plus on est riche, plus on voyage (même en excluant les déplacements professionnels).

Voyage de longue distance par décile de revenu (ENTD, 2008).Voyage de longue distance par décile de revenu (ENTD, 2008).

Le TGV, lancé dans les années 1980 pour concurrencer l’avion, cible avant tout les cadres supérieurs (qui s’offrent un week-end de détente ou se rendent dans leur maison de campagne). La part des plus riches (10e et 9e déciles) est bien plus importante à bord des TGV que dans le reste des trains.

Répartition par type de train selon les revenus (ENDT 2008).Répartition par type de train selon les revenus (ENDT 2008).

Face à cette segmentation, le car offre des prix bien plus accessibles (114 euros pour un trajet Lille-Paris à quatre personnes contre 396 euros en train, mais en trois fois plus de temps). Pour le juriste Laurent Quessette, « le fait de libéraliser va permettre de baisser les tarifs mais de multiplier par deux le temps de trajet par rapport au train. Qui acceptera de voyager en bus si ce n’est les plus modestes, comme les étudiants ou certains retraités ? ». Le chercheur y voit un risque de polarisation sociale, comme il l’explique dans cette tribune, Ceux qui sont pauvres prendront le car.

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