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Le récit des trois journées d'attentats

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Les attentats de Paris ont fait dix-sept morts en trois jours, sans compter les trois terroristes. Entre le 7 et le 9 janvier, les frères Saïd et Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly ont tué huit membres de l'équipe de Charlie Hebdo, un agent d'accueil, un invité du journal, trois policiers et quatre clients, juifs, de l'Hyper Cacher de l'avenue de la Porte-de-Vincennes. 

Ces événements sans précédent ont été comparés par de nombreux commentateurs, en France et à l’étranger, aux attentats du 11 septembre 2001. Le Monde a titré « Le 11-Septembre français », et pour le quotidien libanais L’Orient-le Jour, l’attaque contre Charlie Hebdo est « le 11-Septembre de la pensée libre en France ». Il faudra encore du temps pour mesurer la portée de ce crime qui a frappé, selon l’expression de François Hollande, « l’esprit même de la République c’est-à-dire un journal ». Retour chronologique sur les trois journées qui ont fait de « Je suis Charlie » un mot d’ordre interplanétaire.

Dessin de Philippe GeluckDessin de Philippe Geluck © DR

MERCREDI 7 JANVIER, DE 10 H À 13 H

Vers 10 heures, l’équipe de Charlie Hebdo se retrouve, comme chaque mercredi, pour la conférence de rédaction hebdomadaire au siège du journal, 10, rue Nicolas-Appert, dans le XIe arrondissement de Paris. La réunion se tient dans la salle de rédaction, au deuxième étage de l’immeuble, et débute habituellement à 10 h 30. L’équipe prend place autour d’une grande table ovale, en échangeant des plaisanteries et en dégustant des chouquettes et des croissants. Aux côtés de Charb, directeur de la publication, les dessinateurs Cabu, Honoré, Tignous, Riss et Wolinski, ainsi que Laurent Léger, enquêteur, Fabrice Nicolino, rédacteur d’articles sur l’écologie, et plusieurs chroniqueurs, dont Elsa Cayat, Philippe Lançon, Bernard Maris et Sigolène Vinson, rapporte Le Monde. Est également présent un policier du SDLP (service de la protection), Franck Brinsolaro, chargé d’assurer la sécurité de Charb.

À 11 h 25, tandis que la conférence de rédaction se déroule normalement, Chérif et Saïd Kouachi entrent dans un bâtiment voisin, au 6 de la rue Nicolas-Appert, en profitant du passage de la factrice (selon le témoignage sur Twitter d’Yves Cresson, producteur travaillant dans ce bâtiment qui abrite aussi les archives de Charlie Hebdo). Arrivés à bord d’une Citroën C3 noire, les deux assaillants sont cagoulés, vêtus de noir et portent des fusils d’assaut kalachnikov.

À 11 h 28, l’hebdomadaire publie sur Twitter un dessin d’Honoré qui représente les vœux d’al-Baghdadi, le leader de l’État islamique, avec cette légende : « Et surtout la santé ! »

À peu près en même temps que ce tweet est envoyé, les frères Kouachi, qui ont réalisé qu’ils n’étaient pas à la bonne adresse et sont ressortis du bâtiment, se présentent au 10 de la rue Nicolas-Appert. Ils tombent sur une dessinatrice du journal, Coco : « J’allais chercher ma fille à la garderie, devant la porte de l’immeuble deux hommes cagoulés et armés m’ont brutalement menacée, racontera-t-elle, en état de choc, à L’Humanité. Ils voulaient entrer, monter. J’ai tapé le code. »

Un journaliste de la rédaction de l’agence de presse Premières Lignes, qui se trouve dans le même immeuble, a vu les deux agresseurs arriver alors qu’il était descendu fumer une cigarette. Il prévient les autres membres de l’équipe qui se réfugient sur les toits, et tente d’appeler la police. « Nous avons réussi à joindre la police mais plusieurs minutes plus tard, il n’y avait toujours personnea indiqué au Monde une journaliste de l’équipeEt pendant ce temps, on entendait des tirs en rafale. »

Une fois dans l’immeuble, les assaillants demandent aux deux hommes d’entretien qui se trouvent à l’accueil où sont les locaux de Charlie Hebdo, « puis ouvrent immédiatement le feu et tuent l’un d’eux », selon le procureur de Paris, François Molins (voir son compte rendu en vidéo ici). La victime est Frédéric Boisseau, âgé de 42 ans et travaillant pour la société Sodexo. Les deux agresseurs gagnent la salle de rédaction au deuxième étage et ouvrent le feu à nouveau.

« Ils ont tiré sur Wolinski, Cabu, poursuit Coco. Ça a duré cinq minutes… Je m’étais réfugiée dans un bureau… Ils parlaient parfaitement le français… Se revendiquaient d’Al-Qaïda. » En quelques instants, dix personnes sont tuées : Charb, Cabu, Wolinski, Honoré, Tignous, Bernard Maris, Elsa Cayat, un correcteur du nom de Mustapha Ourrad, Michel Renaud, ancien directeur de cabinet du maire de Clermont-Ferrand qui était en visite à la rédaction, et Franck Brinsolaro, l’un des policiers affectés à la protection de Charb, « qui n’a pas eu le temps de riposter » selon une source policière citée par Le Monde. Philippe Lançon et Fabrice Nicolino sont blessés, ainsi que le dessinateur Riss et Simon Fieschi, le webmaster de Charlie Hebdo. Laurent Léger, qui se trouvait dans la salle et n’a pas été touché, aurait donné l’alerte en contactant un ami vers 11 h 40, selon L’Obs.  

Vidéo amateur montrant le départ des deux terroristes du siège de "Charlie Hebdo"

Les deux frères Kouachi quittent rapidement les locaux et regagnent la Citroën C3 noire qu’ils ont laissée sur la voie publique. Avant de repartir, ils changent les chargeurs de leurs armes. L’un d’entre eux brandit le point en criant : « On a vengé le prophète Mohammed. » Puis les deux hommes remontent tranquillement dans la voiture, démarrent, et se trouvent face à un véhicule de police sérigraphié. Ils redescendent de la Citroën et se mettent à tirer sur les policiers, les contraignant à battre en retraite, comme le montre une vidéo diffusée par Reuters.

Lorsque la police arrive dans les locaux de Charlie Hebdo, les assaillants ont quitté les lieux. Ils ont emprunté l’Allée verte, perpendiculaire à la rue Nicolas-Appert, et ont tiré sur la voiture sérigraphiée mentionnée plus haut sans toucher personne. Puis ils ont croisé une patrouille en VTT, d'où une deuxième salve de tirs, toujours sans blessés.

Captures d'écran de la vidéo de l'exécution du policier Ahmed MerabetCaptures d'écran de la vidéo de l'exécution du policier Ahmed Merabet

Ils déboulent alors boulevard Richard-Lenoir et déclenchent une troisième fusillade qui blesse Ahmed Merabet, un policier du commissariat du XIe arrondissement, en patrouille à pied avec une collègue. Touché, Ahmed Merabet est froidement exécuté à bout portant, alors qu’il gît sur le trottoir (image ci-dessus).

Du toit, les journalistes de Premières Lignes filment des échanges de coups de feu. Ils voient arriver un de leurs collègues ainsi que le médecin urgentiste Patrick Pelloux, chroniqueur à Charlie Hebdo. Tous deux se précipitent dans l’immeuble, découvrent le massacre et ressortent avec un blessé. Selon la journaliste de Premières Lignes, « il n’y avait toujours pas les pompiers ! ». Une source policière indique que « dix à douze minutes » se sont écoulées entre l’appel au 17 et l’arrivée des premiers agents, et précise que « c’est le temps moyen d’intervention ».

Les assaillants poursuivent leur route vers le nord de Paris. Place du Colonel-Fabien, ils percutent violemment une Volkswagen Touran, et blessent sa conductrice. Cette dernière, interrogée par les enquêteurs, mentionne non pas deux, mais trois fugitifs. L'information selon laquelle il y a trois suspects sera reprise plusieurs fois, notamment par le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve.

La première vidéo prise du toit diffusée par I-Télé

À 11 h 50, i-Télé annonce sur Twitter : « Tirs au siège de Charlie Hebdo, il y aurait au moins un blessé. » À midi, la chaîne diffuse une vidéo prise du toit par l'équipe de Premières Lignes.

Dans les deux heures qui suivent, la France va découvrir l’ampleur de la tragédie. À 12 h 15, Le Figaro annonce six morts d’après une source judiciaire. Quelques minutes plus tard, la préfecture confirme un bilan de dix morts, bientôt porté à onze. Sur Twitter, les messages de soutien à Charlie Hebdo se multiplient.

Fleur Pellerin, ministre de la culture, se rend sur place, mais ne fait aucune déclaration.

Intervention de François Hollande au siège de "Charlie Hebdo"

Environ une heure après l’attaque, François Hollande est présent au siège de Charlie Hebdo. Il dénonce un « acte d’une exceptionnelle barbarie contre un journal… c’est-à-dire l’expression de la liberté », rend hommage aux policiers, et affirme : « C’est un attentat terroriste, cela ne fait pas de doute. »

 

À 13 heures, le Parquet confirme que le bilan s’élève à onze morts.

 

MERCREDI 7 JANVIER, DE 13 H À 20 H

À 13 h 20, on apprend qu'il y a douze morts. Bientôt, la rumeur de la mort de Cabu, Wolinski, Charb et Tignous s’amplifie. Elle est confirmée par un tweet de LeLab à 13 h 51, faisant état de sources au ministère de l’intérieur. La mort de Bernard Maris n'est pas encore annoncée.

Après les premières informations fragmentaires, le pays réalise avec stupeur l’énormité de cet acte sans précédent : on n’a pas seulement assassiné des journalistes, on a voulu tuer un journal. Les dessinateurs historiques de Charlie Hebdo sont tombés sous les balles des terroristes. Le Grand Duduche et le beauf de Cabu, les femmes girondes et dénudées qui peuplent les dessins de Wolinski, appartiennent à l'imaginaire d'une génération.

Une réunion interministérielle se tient à 14 heures à l’Élysée. À l’issue de celle-ci, Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, confirme que 12 personnes ont été tuées, 8 blessées dont 4 en « situation d’urgence absolue », et indique qu’il y a « trois criminels à l’origine » de l’attaque contre Charlie Hebdo. Vers 15 heures, on apprend la mort de Bernard Maris.

L'un des premiers tweets "Je suis Charlie"L'un des premiers tweets "Je suis Charlie"

Peu après 15 heures, un appel à témoins est lancé. La traque des terroristes s’organise, mobilisant plusieurs centaines d’enquêteurs de police judiciaire, ainsi que vingt-trois magistrats du Parquet de Paris. Dans les 48 heures suivant l’attentat, les investigateurs vont procéder à 48 interceptions téléphoniques, 39 géolocalisations, 67 expertises, 8 perquisitions, engager et prolonger 16 gardes à vue, et entendre plus de 100 témoins (selon le compte rendu final de François Molins, voir dernière page).

Façade du Nasdaq, sur Times Square, à New YorkFaçade du Nasdaq, sur Times Square, à New York © http://travelandfilm.com/je-suis-charlie/

La Citroën des agresseurs, retrouvée rue de Meaux, a été fouillée. Les enquêteurs y ont découvert des cocktails Molotov, un drapeau djihadiste, une caméra GoPro, un gyrophare mais surtout la carte d’identité de Saïd Kouachi. Cette carte d’identité va donner un grand coup d'accélérateur à l’enquête. D’autant que l’on recueille aussi, sur un cocktail Molotov, une empreinte digitale de Chérif Kouachi, le frère de Saïd.

Saïd Kouachi est reconnu par un témoin présent dans la salle de rédaction de Charlie Hebdo comme l’un des auteurs de la tuerie. Il est également identifié comme le conducteur de la Citroën C3 et l’auteur des tirs sur les policiers.

Le nom des Kouachi fait aussitôt émerger le dossier de l’enquête antiterroriste ouverte en 2010 sur l’opération visant à faire évader de prison plusieurs chefs islamistes, parmi lesquels Smaïn Aït Ali Belkacem, l’artificier des attentats parisiens de 1995. Chérif Kouachi, frère de Saïd, a été condamné en 2008 dans l’affaire des filières irakiennes du XIXe et mis en cause dans la tentative d’évasion de Belkacem. Un mandat est délivré à l’encontre des deux frères. L’épouse de Chérif Kouachi est placée en garde à vue en fin d’après-midi.

Paris, place de la République, le 7 janvierParis, place de la République, le 7 janvier © Thomas Haley

À Paris, un rassemblement s’organise place de la République à partir de 17 heures. Au moins 15 000 personnes sont réunies sur la place dans la soirée.

 

MERCREDI 7 JANVIER, 20 H, À JEUDI 8 JANVIER, 3 H

Des investigations ont commencé dans l’après-midi pour tenter de localiser les frères Kouachi. Elles se poursuivent toute la soirée, et se concentrent dans les trois communes où les frères sont susceptibles d’être hébergés : Gennevilliers, Reims et Charleville-Mézières. Le nom des deux frères fuite dans certains médias. Un avis de recherche mentionnant Saïd et Chérif Kouachi ainsi que leur beau-frère Mourad Hamyd, présenté comme le troisième suspect, circule sur les réseaux sociaux.

Il s’avérera que Hamyd n’est pas impliqué. Les enquêteurs le recherchent parce qu’un témoin a dit avoir entendu son prénom prononcé dans les locaux de Charlie Hebdo pendant l’attaque. Découvrant qu’il est recherché, Mourad Hamyd se livre spontanément à la police à Charleville-Mézières, où il est placé en garde à vue avant d’être mis hors de cause.

Vers 23 heures, la police mène une perquisition à Reims. D’autres investigations se poursuivent. Plusieurs membres de la famille Kouachi sont interpellés et placés en garde à vue, entre 23 heures et minuit.

Selon le procureur Molins, les noms des frères Kouachi ayant été diffusés par de nombreux médias, et tout effet de surprise étant désormais exclu, les enquêteurs décident à 3 heures du matin de diffuser un appel à témoins concernant les deux frères Kouachi.

JEUDI 8 JANVIER, 7 H à 13 H

À 7 h 10, un accident de la circulation impliquant deux véhicules se produit avenue Pierre-Brossolette, à Montrouge. Clarissa Jean-Philippe, agent de la police municipale, âgée de 26 ans, intervient avec un collègue. Peu après 8 heures, des coups de feu claquent. La jeune femme s’effondre. On apprendra son décès deux heures plus tard. Un agent de la voirie également présent est blessé. Des douilles de 9 mm et de 7,62, correspondant à une kalachnikov, sont retrouvées sur la chaussée.

Chérif (à gauche) et Saïd KouachiChérif (à gauche) et Saïd Kouachi

Selon les premiers témoignages, un homme armé d’un fusil d’assaut kalachnikov a fait feu sur la policière, dont le collègue a aussi été visé mais pas blessé. Des personnes se sont interposées. L’auteur a dégainé une arme de poing, blessant l’agent de la voirie d’une balle qui lui a traversé la joue. L’auteur a ensuite braqué le conducteur d’un véhicule et pris la fuite. La voiture, une Clio blanche, sera retrouvée à 9 h 30 à Arcueil près de la gare de RER.

Dans un premier temps, rien ne permet de relier cette fusillade à l’attentat contre Charlie Hebdo, ce que Bernard Cazeneuve réaffirmera en fin d’après-midi (voir le récit de RTL ici). Un magistrat de la SDAT (sous-direction antiterroriste) se déplace cependant sur les lieux, à titre d’observateur.

Le meurtrier est décrit comme un homme vêtu de sombre et portant un gilet pare-balles, une cagoule, une kalachnikov, une ceinture de munitions et une arme de poing. La cagoule a été découverte sur les lieux. Un témoin l’a vu sans cagoule, permettant d’établir un portrait-robot. Ce témoignage indique que le suspect serait d’origine africaine. Ce n’est donc pas l’un des frères Kouachi.

Ces derniers sont repérés à 9 h 26 dans une station-service Avia sur la nationale 1 à Villers-Cotterêts. Ils braquent le gérant de la station, qui les reconnaîtra formellement ensuite. D’après le compte rendu du procureur Molins, le gérant indique aux enquêteurs que les deux individus sont repartis à bord d’une Clio grise, après avoir exhibé des armes de guerre « qu’ils ont posées sur le comptoir », et s'être « fait remettre un sac de victuailles sous la menace ». Ce témoignage est confirmé par la vidéosurveillance.

Ahmed Merabet et Clarissa Jean-PhilippeAhmed Merabet et Clarissa Jean-Philippe © DR

Vers 10 h 30, on apprend que la jeune policière municipale a succombé à ses blessures. L’agent de la voirie est hors de danger.

À 11 heures, la BRI (brigade de recherche et d’intervention) se déploie à Montrouge. Une information de France 3 Champagne-Ardenne indique que cinq personnes sont en garde à vue à l’hôtel de police de Reims, dont l’épouse de Saïd Kouachi ainsi que la sœur des deux frères.

À midi, après avoir fouillé les chambres d’un hôtel à Montrouge, la BRI quitte les lieux. À 13 heures, les portes de Paris sont sous surveillance d’un important dispositif policier, en particulier la porte de Saint-Ouen.

 

JEUDI 8 JANVIER, DE 13 H À LA NUIT

À 13 h 45, le RAID et le GIGN sont déployés dans la zone de la station-service, dans les environs de Villers-Cotterêts et de Crépy-en-Valois. Une information circule, selon laquelle les suspects auraient abandonné la Clio qu’ils avaient volée et seraient retranchés dans une habitation de Crépy-en-Valois, information que le maire, Bruno Fortier, ne confirme pas.

À 14 h 30, le Parquet de Paris se saisit de l’affaire de Montrouge, considérant le contexte des événements, l’armement lourd utilisé par l’agresseur et le caractère gratuit et délibéré de l’acte. Une enquête est ouverte pour assassinat de personne dépositaire de l’autorité publique, et confiée à la SDAT et à la DGSI. Un homme de 52 ans a été interpellé à Montrouge du fait que son signalement est proche de celui qu’ont donné les témoins, mais il sera mis hors de cause.

Autour de 15 h 30, le RAID et le GIGN se déploient sur une zone de 20 km sur 15 autour de Crépy-en-Valois, contredisant la nouvelle selon laquelle les suspects seraient retranchés dans une maison.

À 16 h 15, la D17 en direction de Longpont, dans l’Aisne, près de Soissons et de Villers-Cotterêts, est barrée au croisement avec la N2. « Beaucoup de médias s’installent », twitte un journaliste du Figaro. Des fouilles ont lieu à Corcy, bourgade voisine. Les forces de l’ordre sont lourdement armées. Le plan Vigipirate maximum est étendu à la Picardie.

Photo transmise par Edouard de Mareschal du FigaroPhoto transmise par Edouard de Mareschal du Figaro

Au même moment, la radio de l’État islamique qualifie de héros les auteurs de l’attaque contre Charlie Hebdo.

À 17 heures, selon un communiqué du ministère de l’intérieur, plus de 88 000 membres des forces de sécurité sont engagés sur l’ensemble du territoire (50 000 fonctionnaires de police, 32 000 gendarmes, 5 000 policiers et gendarmes en forces mobiles, 1 150 militaires). Pour la seule Ile-de-France, près de 10 000 personnels sont mobilisés.

18 heures : les forces de l’ordre continuent de fouiller la zone de Corcy et Longpont. Lors d’une conférence de presse tenue à 18 h 15, Bernard Cazeneuve déclare qu’il n’y a pas à ce stade de lien établi entre l’attentat de Charlie Hebdo et la fusillade de Montrouge. Il précise que Saïd Kouachi a été « formellement reconnu comme agresseur », et que 90 témoins ont été entendus.

À 20 h 30, un témoin de la fusillade de Montrouge qui a vu le tireur sans sa cagoule reconnaît Amedy Coulibaly sur une photo. Coulibaly, d’origine malienne, est un délinquant multirécidiviste qui s’est affilié à l’islam radical. Mis en cause dans la tentative d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, il a été condamné à 5 ans, en novembre 2013, et libéré en 2014 par le jeu de la détention préventive et des remises de peine. Les enquêteurs ont mis en évidence la relation entre les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, que Chérif a rencontré en prison. 

Les investigations téléphoniques révèlent que 500 appels ont été passés en 2014 entre la compagne de Coulibaly, Hayat Boumediene, et l’épouse de Chérif Kouachi, « ce qui établit un lien constant et soutenu entre les deux couples », selon François Molins. Interrogée par les enquêteurs, l’épouse de Kouachi confirme que son mari connaissait très bien Coulibaly.

Hayat Boumediene et Amedy CoulibalyHayat Boumediene et Amedy Coulibaly © Reuters

Vers 21 heures, les forces de l’ordre quittent Longpont. Les recherches continuent avec des hélicoptères équipés de caméras thermiques.

Dans la soirée, la chaîne NBC annonce que les frères Kouachi étaient interdits d’entrée aux États-Unis. Des informations diffusées par des médias américains révèlent un peu plus tard que Saïd Kouachi s’était rendu au Yémen et que les deux frères étaient interdits de vol pour les États-Unis.

Vers 23 heures une trace ADN est établie, et identifiée deux heures plus tard comme appartenant à Amedy Coulibaly. Un mandat de recherche est délivré contre Coulibaly et sa compagne Hayat Boumediene.

Dans l'Oise, les recherches se poursuivent toute la nuit mais les deux frères Kouachi sont introuvables.

À 4 heures du matin, trois perquisitions sont menées au dernier domicile connu de l’intéressé et de ses proches, à Bagneux, dans le quartier de la Grande Borne à Grigny, et à Fontenay-aux-Roses. Les lignes téléphoniques sont placées sous écoute et géolocalisées. Au petit matin, les tueurs sont toujours introuvables.

VENDREDI 9 JANVIER, 6 H À 13 H

Peu après 8 heures, à Nanteuil-le-Haudouin (Oise), les frères Kouachi surgissent d’un bois et braquent un automobiliste en déclarant qu’ils sont là pour venger le prophète. Ils s’emparent de son véhicule, une Peugeot 206, et roulent sur la nationale 2. Peu après, ils parviennent à la zone artisanale de Dammartin-en-Goële, en Seine-et-Marne, non loin de l’aéroport de Roissy, et quittent le véhicule. Ils croisent une patrouille de gendarmerie, à Dammartin-en-Goële. Un échange de tirs se déclenche immédiatement. Un gendarme blesse légèrement à la gorge Saïd Kouachi.

Les fugitifs se réfugient dans les locaux d’une société d'imprimerie, Création Tendance Découverte (CTD), et prennent en otage le gérant de la société. Ils croisent un commercial qui a rendez-vous chez CTD. Selon le témoignage de ce dernier, recueilli par France Info, l’un des deux hommes lui aurait serré la main en se présentant comme étant de la police, et lui aurait dit : « Partez, on ne tue pas les civils. » Le commercial estime avoir eu « beaucoup de chance ».

La Clio dans laquelle les frères Kouachi circulaient depuis mercredi est découverte embourbée à Montagny-Sainte-Félicité, près du lieu où a été volée la 206. Dans le véhicule les enquêteurs retrouvent une cagoule, un carton de nourriture venant de la station Avia braquée la veille, un chargeur de kalachnikov.

À 9 h 40, Bernard Cazeneuve annonce une opération en cours. Le GIGN est sur place à Dammartin-en-Goële. Les accès au village sont bloqués et des hélicoptères survolent la zone.

À 10 heures, un journaliste de BFM réussit à joindre au téléphone Chérif Kouachi et à avoir avec lui une conversation de deux minutes (voir la vidéo ci-dessous).

Propos de Kouachi et de Coulibaly recueillis par BFM

Il affirme avoir été missionné par Al-Qaïda au Yémen, et avoir été formé par l’imam Anwar al-Awaki, tête pensante d’Al-Qaïda, qui a été tué par un drone américain en septembre 2011. Mais il ne donne pas de précisions sur ses complices éventuels. « On ne tue pas des civils », déclare Kouachi. Ses propos suggèrent qu’il ne considère pas les journalistes de Charlie Hebdo comme des civils, mais comme une cible.

À 10 h 20, le gérant de la société CTD est libéré par les frères Kouachi. Il signale que les deux hommes sont armés de kalachnikovs, d’un lance-roquettes et de cocktails Molotov. Il raconte aussi qu’il a placé un pansement sur une légère blessure au cou reçue par Saïd Kouachi. Les deux terroristes sont localisés au premier étage. Un employé se trouve au deuxième, terrorisé, caché sous un évier. Sa présence restera ignorée des terroristes.

À 11 h 45, le GIGN entreprend des négociations avec les deux fugitifs. Des messages sont envoyés sur leurs téléphones portables. Ils n’y répondront pas.

VENDREDI 9 JANVIER, DE 13 H À MINUIT

Peu après 13 heures, une fusillade éclate à Paris, dans le XIIe arrondissement. Un homme armé entre dans le supermarché Hyper Cacher de l’avenue de la Porte-de-Vincennes. Il prend en otages 23 personnes qui s’y trouvent. Le Parquet se rend sur place. Le preneur d’otages est rapidement identifié comme étant Amedy Coulibaly. La BRI-BAC (brigade anti-commando de la police parisienne) et le RAID se rendent sur place. À 13 h 30, un total de 130 policiers est mobilisé sur les lieux.

Vers 15 heures, Amedy Coulibaly contacte BFM. Il revendique son acte, reproche à la France de s’être attaquée à l’État islamique et précise que son dernier contact avec les frères Kouachi remonte au début des attaques. Il dit s’être « synchronisé » avec les frères et s’être chargé de « faire des policiers ». Il affirme aussi qu’il abattra tous les otages en cas d’assaut à Dammartin-en-Goële.

Des propos plus détaillés de Coulibaly sont recueillis, peu après 15 heures, par RTL : la rédaction de la radio est entrée en liaison téléphonique avec l’Hyper Cacher et, du fait d’un téléphone mal raccroché, a pu intercepter un dialogue entre Amedy Coulibaly et ses otages (lien avec la vidéo ici).

« Au Mali, il n’y avait aucune exaction quand “ils” (l’armée française) sont partis là-bas, déclare notamment Coulibaly. Et moi je vous le dis à vous, parce que vous êtes pas très au courant de ce qui se passe. Des gens comme moi qui vont venir, il y en aura de plus en plus. (…) Il faut qu’ils arrêtent d’attaquer l’État islamique, qu’ils arrêtent de dévoiler nos femmes. (…) C’est vous qui avez élu vos gouvernements. Vos gouvernements, ils ne vous ont jamais caché qu’ils allaient faire la guerre. Deuxièmement, c’est vous qui les financez, car vous payez les taxes (…) Non, vous n’êtes pas obligés. Je ne paie pas mes impôts moi. »

Le négociateur de la BRI-BAC tente d’entrer en contact avec Coulibaly. Ce dernier l’appelle à 15 h 38, lui dit qu’il détient « une kalachnikov, deux Tokarev, un Scorpio (fusil-mitrailleur) » (selon le récit du Monde). Coulibaly déclare aussi qu’il y a « quatre morts et dix-sept otages ». Ses réponses convainquent le négociateur qu’il ne se rendra pas et qu’il est déterminé à mourir. À l'insu de Coulibaly, six otages se sont réfugiés dans une chambre froide, au sous-sol.

À 16 heures, l’enquête sur la prise d’otages de l’avenue de la Porte-de-Vincennes est jointe à celle sur la fusillade de Montrouge, Coulibaly étant clairement identifié comme l’auteur des deux actes. L'analyse du négociateur est transmise à Jean-Michel Fauvergue, patron de la FIPN (Force d’intervention de la police nationale), qui la répercute au chef de la police judiciaire parisienne, lequel avise Bernard Cazeneuve. « Vous avez le feu vert », répond le ministre qui se rend à la porte de Vincennes.

À Dammartin-en-Goële, la situation n’a pas évolué, les frères Kouachi ne répondant pas aux appels des négociateurs. À 16 h 40, les événements se précipitent. La porte de la façade de l’entreprise au rez-de-chaussée s’entrouvre d’une quinzaine de centimètres pendant de longues minutes. Soudain, les deux frères sortent, fusils d’assaut à la main, et se mettent à tirer en rafale en direction des forces de l’ordre.

Celles-ci répliquent par des grenades à effet de souffle qui projettent à terre les deux hommes. Ils continuent pourtant de tirer en rafale sur les membres du GIGN qui sont, selon les termes du procureur Molins, « contraints de les neutraliser tandis que deux membres des forces de l’ordre sont légèrement blessés ». Les frères Kouachi sont abattus à 16 h 55.

L’employé réfugié au deuxième étage est libéré sain et sauf. Les lieux sont sécurisés par le service de déminage. Ce dernier découvre un lance-roquettes M82 avec une roquette engagée, dix grenades fumigènes et deux fusils-mitrailleurs kalachnikov ainsi que deux pistolets automatiques. Les démineurs trouvent aussi sur le corps d’un des frères une grenade.

 

Images de l’assaut sur l’Hyper Cacher

Porte de Vincennes, les policiers n'ont plus le choix. La BRI-BAC et le RAID lancent l'assaut sur l’Hyper Cacher à 17 h 10. Coulibaly tire et blesse quatre hommes aux jambes. Il est abattu, toujours armé d’un fusil kalachnikov et d’un pistolet-mitrailleur Scorpio. Les deux autres armes qu'il a mentionnées, des pistolets russes Tokarev, sont ensuite découvertes dans le magasin. On retrouve les corps de quatre otages, tous les autres étant libérés sains et saufs.

À 22 heures, l’agence Associated Press diffuse le témoignage d’un responsable anonyme qui indique qu'Al-Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa) revendique l’attaque contre Charlie Hebdo. Cette première revendication, sujette à interrogation, sera confirmée le 14 janvier par un communiqué d’Al-Qaïda au Yémen, dans une vidéo diffusée sur YouTube et reprise notamment par Reuters.

Dans une vidéo postée sur Internet le 11 janvier, Amedy Coulibaly revendique à titre posthume l’assassinat de la policière et la prise d’otages de l’Hyper Cacher, et se réclame de l’État islamique, non d’Al-Qaïda. Les conditions exactes de l’association entre les frères Kouachi et Coulibaly ne sont pas encore démêlées. L’enquête devra aussi établir quelles éventuelles complicités ont permis la diffusion de la vidéo posthume.

 

Conférence de presse de François Molins, procureur de Paris, le 9 janvier

Vers 23 heures, le procureur François Molins donne une conférence de presse, dans laquelle il indique que « l’état des corps et les déclarations de Amedy Coulibaly indiquant “j’en ai tué quatre” » permettent de conclure qu’« aucun otage n’est décédé pendant l’assaut ». Tout indique que Coulibaly a tué les quatre victimes au moment où il est entré dans l’Hyper Cacher. Les démineurs ont retrouvé 15 bâtons d’explosif à usage civil, disposés avec un détonateur dans le magasin qui était donc piégé. Les noms des victimes – Yoav Hattab, Philippe Braham, Yohan Cohen et François-Michel Saada – ne seront connus que le lendemain.

« Toutes les procédures vont être jointes compte tenu des éléments qui établissent une entente qui a pu exister entre ces trois terroristes pour commettre toutes ces actions criminelles de façon coordonnée, dans la plus grande détermination », déclare Molins. Il confirme également que la compagne de Coulibaly est toujours recherchée. On apprendra le lendemain qu’elle a pris un avion de Madrid à Istanbul le 2 janvier, et aurait passé la frontière syrienne le 8 en vue de gagner une zone contrôlée par l'État islamique, le jour où Coulibaly abattait la policière Clarissa Jean-Philippe.

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