Après deux journées de concertation entre syndicats et patronat et des semaines de suspense, le gouvernement a levé, ce mardi 27 août en soirée, le voile sur son projet de réforme des retraites, l’un des dossiers les plus délicats de cette rentrée sociale. Depuis Matignon et devant les ministres concernés, Jean-Marc Ayrault, le premier ministre, a déroulé les principales mesures de cette réforme qui doivent rapporter 7,3 milliards d'euros en 2020, ce qui permettrait de compenser le déficit du régime général, évalué à 7,6 milliards à cette date.
L’annonce est tombée peu après la publication des chiffres du chômage pour le mois de juillet, toujours aussi mauvais et en hausse pour le 27e mois consécutif. Il ne s'agit pas d'un bouleversement du système ou d'une réforme d’ampleur promise tout au long de ces derniers mois par l’exécutif ou encore soufflée par le rapport Moreau pour bâtir un système par répartition en déficit chronique « durablement équilibré et plus juste ».
C’est même une réforme a minima que cette première réforme des retraites pour la gauche sous la Ve République, la quatrième en vingt ans. Taillée dans le consensus pour ne fâcher personne, bric-à-brac donnant des gages de la CFDT au Medef, elle devrait répondre aux exigences de Bruxelles et des marchés financiers… à court terme et poursuivre en matière d’allongement de la durée de cotisation ce qui a été entrepris en 2003 avec la réforme Fillon.
En voici les grands axes :
Travailler plus longtemps
La durée de cotisation sera portée à 43 années en 2035, contre 41,5 actuellement. Cet allongement se fera progressivement. Il faudra tout d'abord cotiser 41 ans et trois trimestres dès 2020, puis 42 ans en 2023, 42 ans et un trimestre en 2026, 42 ans et demi en 2029 et enfin 43 ans en 2035. « Il n'y a pas d'autre solution », a assuré Jean-Marc Ayrault. « Ne pas le faire, ce serait s'exposer soit à une diminution des pensions des actuels comme des futurs retraités, soit à une augmentation insupportable des prélèvements, ce que le gouvernement ne veut pas. » Le rapport Moreau avait préconisé un allongement jusqu'à 44 ans pour la génération née en 1989, mais la CFDT, seul syndicat qui ne soit pas radicalement opposé à cette mesure, a eu gain de cause. Elle était contre une augmentation de plus de 43 ans à l'horizon 2035.
Pas de hausse de la CSG, mais une petite hausse des cotisations
Le gouvernement renonce à augmenter la CSG souvent évoquée et opte pour une hausse des cotisations salariales et patronales de 0,15 point en 2014. Il propose également une augmentation des cotisations patronales et salariales de 0,15 points à partir de 2014. Dans le détail, la hausse des cotisations patronales et salariales sera progressive sur quatre ans : 0,15 point en 2014, puis 0,05 en 2015, 2016 et 2017, soit au final 0,3 point pour les actifs comme pour les employeurs en 2017. « Tous les régimes seront concernés : celui des fonctionnaires, les régimes spéciaux comme le régime général ou, par exemple, celui des indépendants selon des modalités propres », a déclaré Ayrault. Cette solution a été préférée à une hausse de la CSG qui aurait pesé « sur l’ensemble des ménages », avec ceci que cette contribution « n’a pas été créée pour financer les retraites ». « Ce sont donc les cotisations sociales qui seront sollicitées, à un faible niveau », a ajouté le premier ministre.
Mise en place d’un compte-temps pénibilité
À partir du 1er janvier 2015, un compte personnel de prévention de la pénibilité sera mis en place. Il sera financé par une cotisation des employeurs : une cotisation minimale de toutes les entreprises et une cotisation de chaque entreprise tenant compte de la pénibilité qui lui est propre. Il pourra servir à financer « la formation pour une reconversion, un temps partiel en fin de carrière » ou permettre à un salarié en situation de pénibilité de partir « plus tôt à la retraite ».
Pour les syndicats, qui réclamaient depuis des années de remettre à plat la question de la pénibilité au travail, sujet brûlant, encalminé depuis des années, âprement débattu en 2010, l’une des plus scandaleuses injustices du système français, ce compte-temps est une véritable avancée. « Nous sommes dans le traitement collectif. Nous ne sommes plus dans la réparation individuelle et médicale », pointe Philippe Pihet, le monsieur retraites de Force ouvrière. Le compte pénibilité coûterait un milliard en 2020, 2 à 2,5 milliards en 2035.
Le premier ministre a par ailleurs annoncé que le gouvernement engagera une réforme « pour que le financement de la protection sociale pèse moins sur le coût du travail ». Cette réforme, promise au Medef, concernera la “branche famille” en particulier, a-t-il précisé, ajoutant que « cette évolution sera engagée dès 2014, de sorte qu'il n'y ait pas de hausse du coût du travail l'année prochaine ».
C’est « l’ouverture surprise » du gouvernement, faite lundi 26 août au nouveau patron du Medef, Pierre Gattaz, qui plaide ardemment pour un basculement des 5,4 % de charges patronales de la branche famille vers la fiscalité (CSG ou TVA). Ce que Force ouvrière et la CGT, les syndicats les plus déçus par cette réforme, vont s’employer dans les prochaines semaines à surveiller, car « cela reviendrait à transférer le financement des allocations familiales sur les ménages », s’étrangle Philippe Pihet de Force ouvrière.
Si quelques mesures les satisfont, comme celle concernant la pénibilité, les femmes ou les jeunes mais avec une portée limitée sur les salariés concernés, cette réforme se situe dans la continuité des précédentes en privilégiant la poursuite jusqu’en 2020 de l’allongement de la durée de cotisation prévue par la loi Fillon, et en prolongeant ces dispositions après 2020, déplorent les deux syndicats. « Ayrault fait du Fillon ! 2013 prolonge 2003 ! Et sur cette question, il n’y a pas eu de concertation », constate Philippe Pihet de FO. « Demander 43 ans de cotisations aux jeunes nés à partir de 1973 alors même qu’on sait qu’ils rentrent de plus en plus tard dans le monde du travail et qu’ils atteindront ainsi l’âge du taux plein bien après 65 ans est une disposition orientée contre la jeunesse », renchérit la CGT dans son communiqué.
« Ce n’est pas ce que nous attendions de la gauche. En 2010, ils étaient dans la rue avec nous pour défendre la retraite à 60 ans. Aujourd’hui, non seulement ils entérinent les ravages de l’ère Sarkozy, mais ils vont encore plus loin puisqu’à partir de 2020, ils augmenteront encore la durée de cotisation. Nous avons l'impression d'avoir un gouvernement qui écoute plus le patronat que les salariés du monde du travail », abonde un cadre de la CGT. Il espère une forte mobilisation des salariés lors de la journée d’action du 10 septembre pour les salaires, l’emploi et une protection sociale de haut niveau, mais il ne s’attend pas à revivre les manifestations houleuses de 2010 contre la tant décriée réforme Sarkozy.
Car le gouvernement a tactiquement très bien joué, réussissant à désamorcer et à déminer un dossier explosif et crucial du quinquennat, en ne touchant pas par exemple aux régimes spéciaux ou aux retraites des fonctionnaires. « Il a su faire le grand écart entre patronats et syndicats et à contenter chaque camp. Hier, lundi 26 août, c’était flagrant à la sortie de Matignon. La CFDT était satisfaite car il n'y aurait “pas de modification des règles de calcul des retraites d'ici à 2020” ; la CGT, pourtant très offensive, était satisfaite par certaines mesures de justice, et le patronat était aux anges que le gouvernement lui ai tendu la main sur la baisse du coût du travail. Hollande, tout craché ! » note un observateur avisé du monde social.
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