« Que François Hollande vienne à la marche de dimanche s’il le souhaite, mais il ne sera pas président de la République. Il sera Charlie. » Le président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), Alain Jakubowicz, ne cache pas sa colère. « Ce qui se passe est indigne de notre personnel politique, dit-il. C’est honteux pour la mémoire de Charlie. » Avec trois autres associations antiracistes (la Ligue des droits de l’homme (LDH), le MRAP et Touche pas à mon pote), la Licra a cosigné, ce vendredi 9 septembre, un communiqué de presse destiné à mettre fin à la tournure politique que la manifestation de dimanche a prise en l’espace de vingt-quatre heures.
« S’il est bien que les partis politiques, acteurs essentiels de la vie démocratique, s’emparent de ce débat, c’est d’abord au citoyen de le mener, écrivent les associations. Avant même de rassembler les institutions et les organisations, c’est d’abord les hommes et les femmes de ce pays qu’il faut rassembler autour non d’une incantation, mais d’une République effective pour tous. » Pourquoi un tel rappel des faits ? Parce que les choses ne semblent visiblement pas assez claires pour tout le monde, à commencer par le Front national et sa présidente, Marine Le Pen, qui s’estime « exclue » et ce, malgré sa rencontre avec François Hollande à l’Élysée, vendredi matin.
« Si on ne m'invite pas, je ne vais pas m'imposer », a fait mine de bouder la présidente du FN, qui continue de dénoncer une « manœuvre politicienne minable » et de réfuter toute forme de récupération personnelle de l'attentat de Charlie Hebdo. Jean-Marie Le Pen, président d'honneur du parti dirigé par sa fille, ne se donne même pas la peine d'une telle rhétorique, lui qui a posté sur Twitter le message suivant : « Keep calm and vote Le Pen. »
Aucun représentant frontiste n’a été convié aux réunions préparatoires pilotées par François Lamy, conseiller spécial du premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, qui avait dans un premier temps annoncé un rassemblement samedi, avant de finalement se greffer, pour des raisons de sécurité, à celui que les associations et représentants syndicaux avaient prévu dimanche. De fait, le PS et le gouvernement se sont finalement mués en organisateurs, choisissant d'élargir la table des discussions logistiques au centre et à la droite, mais aussi de la fermer au FN. « Il n’y a pas de place pour une formation politique qui, depuis des années, divise les Français, stigmatise les concitoyens en fonction de leur origine ou de leur religion, ou ne se situe pas dans une démarche de rassemblement des Français », a ainsi expliqué François Lamy.
« Chacun peut venir à cette manifestation. Le président de la République l’a dit tout à l’heure », a précisé Manuel Valls lors de sa visite au siège du journal Libération, où s’est installée l’équipe de Charlie Hebdo. Cette marche, « c’est une réaction pour défendre des valeurs et dans ces valeurs, il y a la tolérance, il y a la lutte contre le racisme, contre l’antisémitisme, contre des actes antimusulmans, une certaine idée de la République. Ce n’est pas une manifestation pour la peine de mort », a-t-il tout de même ajouté en référence à la proposition de referendum sur la peine de mort formulée par Marine Le Pen, jeudi sur France 2.
L’UMP, par la voix de bon nombre de ses ténors et notamment de son secrétaire général, Laurent Wauquiez, a quant à elle affirmé qu’« il n’est pas acceptable que le Front national soit exclu pour une manifestation d’unité nationale ». « Je répète depuis le début que cette marche ne devait pas être l’affaire des partis, mais des citoyens », argue de son côté Marielle de Sarnez, la vice-présidente du MoDem, dont le président, François Bayrou, a jugé que c'était « une mauvaise décision d'exclure qui que ce soit » du rassemblement de dimanche.
Contrairement à ce que prétend Marine Le Pen, personne n’est « interdit » de manifestation. En revanche, toutes les personnes présentes aux réunions préparatoires « étaient d’accord pour ne pas associer le FN au texte de défense des valeurs de la République » publié dans la soirée de vendredi, souligne le patron du Front démocrate, Jean-Luc Bennahmias. Ensemble !, le rassemblement d’anciens communistes rénovateurs et d’anciens de la LCR et du NPA, n’a pas souhaité signer ce communiqué commun où figurent notamment l’UMP et l’UDI. « Nous appelons sans aucune réserve à manifester dimanche, mais nous ne signons pas cet appel pour ne pas ajouter de la confusion politique, explique Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble !/Front de gauche. Les solutions pour répondre aux problèmes politiques que pose l’attentat de Charlie Hebdo ne peuvent être unanimes. Nous continuerons à avoir des divergences substantielles sur le sujet. »
Clémentine Autain regrette « l’erreur politique » commise, selon elle, par le gouvernement et le PS : « En proposant d’organiser cette marche, ils ont tendu un piège qui ne peut profiter qu’au FN. La présence ou non de Marine Le Pen est devenue le centre de cette organisation, ce n’est pas possible ! Il aurait suffi que les partis politiques appellent sur leur propre base. L’union populaire, oui, l’union des partis politiques, non ! » La fondation Copernic a beau avoir signé le texte, elle partage l’avis de Clémentine Autain : « Le gouvernement n’avait rien à faire dans cette histoire ! », s’agace son coprésident, Pierre Khalfa.
Pour lui, « cette façon de faire est détestable ». « Cela aurait dû rester dans les mains des associations et des représentants syndicaux au lieu d’être préempté comme ça l’a été par le gouvernement et le PS, poursuit-il. Nous nous retrouvons aujourd’hui dans le pire des scénarios envisageables : celui des grands manœuvres politiciennes. C’est une offense à ceux qui ont été assassinés. » La fondation Copernic, comme les associations antiracistes, ont le sentiment que la situation leur a échappé. « Mais qu’est-ce qu’on pèse face à eux ? Rien... », se désole Alain Jakubowicz de la Licra.
Pour finir, une ultime réunion logistique s’est tenue ce vendredi après-midi, à l’heure où les deux assauts étaient simultanément lancés. Des « conditions de sécurité exceptionnelles » vont être mises en place, explique Julien Bayou d’EELV. « On se laisse la possibilité de deux parcours, précise-t-il. L’un passant par Voltaire, l’autre par le Père-Lachaise. Ils vont enlever les voitures sur tout le parcours et fermer la ligne 2 du métro. » Un dispositif d'autant plus renforcé qu'outre François Hollande, plusieurs dirigeants européens (Angela Merkel, Donald Tusk, Jean-Claude Juncker, David Cameron, Matteo Renzi, Mariano Rajoy, Alexander Stubb…) ont annoncé leur présence à Paris. Aucune sonorisation n’est prévue : il s’agira d’une « marche silencieuse ».
Concernant l’ordre, les représentants de Charlie Hebdo devraient figurer en tête, aux côtés des syndicats de journalistes et de policiers, suivis de diverses personnalités « au sens large » : représentants de la jeunesse, politique, responsables associatifs, etc. Le tout, « dans un mode sobre, indique Bayou, avec plutôt pas de drapeaux ni de banderoles ». Les organisateurs de la marche ont ainsi répondu de façon positive à la demande des syndicats de journalistes.
« Nous ne leur avons pas laissé le choix, assure Vincent Lanier, premier secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ). J’ai été assez étonné que ce soit le PS qui organise tout cela et en même temps, nous étions incapables, après le choc de l’attentat, de l’organiser nous-mêmes. » Plusieurs représentants associatifs et syndicaux ont tout de même confié à Mediapart leur gêne de signer un texte commun avec la droite et en particulier avec l’UMP. « Les valeurs défendues par ce parti ne sont pas celles de Charlie Hebdo, note Pierre Khalfa de la fondation Copernic. Franchement, nous ne sommes pas très satisfaits de la façon dont tout cela s’est passé… »
Nombre de personnes présentes à la réunion de vendredi soir ont semble-t-il “tiqué’ en voyant que Brice Hortefeux était présent autour de la table des discussions. Plusieurs associations ont d’ailleurs demandé une “suspension de séance” afin de réfléchir si oui ou non elles ratifiaient un communiqué commun avec l’UMP, mais aussi le centre. Un débat a eu lieu sur le terme de « laïcité », certains arguant qu’il devait figurer dans le texte quand d’autres ne le souhaitaient pas. Ces derniers ont finalement obtenu gain de cause. Certains responsables associatifs musulmans ou de quartiers sensibles participeront à la manifestation de dimanche, quand bien même ils n'ont pas été conviés aux réunions d'organisation.
« Discuter de tout cela avec Brice Hortefeux, c’est effectivement la limite de l’exercice… », reconnaît Julien Bayou d’EELV. Nul n’a oublié que l’ancien ministre de l’intérieur avait été condamné en juin 2010 pour « injure raciale », avant d’être finalement mis hors de cause par la cour d’appel de Paris sur un fondement juridique. « Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes », avait-il déclaré à un jeune militant UMP d'origine maghrébine.
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été contactées par téléphone le vendredi 9 janvier. Ni les représentants de l'UMP ni François Lamy n'ont répondu à nos messages.
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