Déjà annoncée par Christiane Taubira en juin 2012, dès son arrivée Place Vendôme, la création d’une peine de probation comme alternative à la prison a fait son retour cet été et a donné lieu à une passe d’armes remarquée entre la ministre de la justice et son homologue de l’intérieur Manuel Valls.
La peine de probation, parfois appelée « contrainte pénale », vise à éviter, autant que cela est possible, l’incarcération pour les personnes encourant une peine inférieure ou égale à cinq ans de prison. Sa création part du constat que la prison coûte cher et ne réinsère pas les petits délinquants mais fabrique au contraire de la récidive.
Concrètement, cette probation conduirait, selon un premier projet de la Chancellerie, à « l'obligation pour la personne condamnée d'être soumise, pendant une durée comprise entre six mois et cinq ans et qui est fixée par la juridiction, à des mesures d'assistance, de contrôle et de suivis adaptées à sa personnalité et destinées à prévenir la récidive en favorisant son insertion ou sa réinsertion au sein de la société, tout en respectant certaines obligations ou interdictions justifiées par sa personnalité ou les circonstances de l'infraction ».
Ce système de probation, déconnecté de toute référence à un retour en prison (à la différence du sursis avec mise à l’épreuve), existe notamment en Grande-Bretagne, en Suède, au Danemark, aux Pays-Bas et au Canada. Certains de ses promoteurs, comme le chercheur Pierre-Victor Tournier, estiment qu’il faudrait commencer à l’expérimenter en France sur une catégorie spécifique de petits délits, une option non retenue à ce jour dans le projet de la Chancellerie.
Cette peine de probation, ainsi que d’autres mesures assez fines d’individualisation et d’aménagement des peines, s’inscrira en fait dans une réforme pénale annoncée de longue date, et vivement combattue ces dernières semaines par Manuel Valls. Le texte devrait enfin faire l’objet d‘un arbitrage interministériel en fin de semaine, puis être soumis au Conseil d‘État la semaine prochaine.
Faute d’oser réformer le Code pénal pour abaisser l'échelle des peines – une mesure importante mais trop risquée politiquement –, le cabinet de Christiane Taubira a tricoté du sur-mesure pour tenter d’atténuer les effets des lois sécuritaires de la décennie 2002-2012. Il doit s’agir notamment d’en finir avec les « peines planchers », qui fixent depuis 2007 des seuils quasi-automatiques en cas de récidive et sont en grande partie responsables de l’accroissement des peines de prison ferme prononcées.
L’abrogation des peines planchers figurait au programme de François Hollande mais, jusqu’ici, une simple circulaire de la Garde des sceaux conseille aux magistrats de ne pas les appliquer.
Il n’est pas question, dans le projet de la Chancellerie, de dépénaliser en s’attaquant à certains des nouveaux délits créés lors de l’inflation pénale des dernières années, comme le « racolage passif » (passible de 2 mois de prison), la « mendicité agressive » (6 mois de prison), l’occupation d’un terrain ou d’un hall d’immeuble en réunion (6 mois de prison), ou encore la vente à la sauvette (6 mois de prison). Pas plus qu’il n’est prévu de transformer en contraventions passibles d’une simple amende certains délits comme l’usage de cannabis ou la conduite sans permis.
Assez prudents, les projets de Christiane Taubira sont pour partie inspirés des travaux de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, remis en février à Jean-Marc Ayrault, et du rapport sur la lutte contre la surpopulation pénale rendu en janvier par les députés Dominique Raimbourg et Sébastien Huyge.
La réforme pénale est encouragée par plusieurs parlementaires socialistes, dont Jean-Jacques Urvoas et Jean-Pierre Sueur (lire ici leur note publiée par la Fondation Jean Jaurès). Rien ne dit, cependant, que le texte de cette réforme pénale assez prudente sera présenté à l’Assemblée avant les municipales de mars 2014. « Le sujet risque d’être instrumentalisé et déformé », prévient un spécialiste. De fait, le calendrier de l’Assemblée est déjà bien rempli pour les six mois à venir.
Pourtant, selon les spécialistes, à défaut de vider les prisons, comme le prétendent des élus UMP (Christian Estrosi a déjà lancé une pétition pour demander son abandon), la réforme Taubira a plutôt pour objet de rappeler aux magistrats que l'incarcération doit être réservée aux cas indispensables, tout en leur laissant le choix.
La probation est-elle la panacée ? Peut-elle suffire à soulager des prisons pleines à craquer, et souvent au bord de l’explosion ? Rien n’est moins sûr. Malgré une très légère baisse mensuelle de 1,3 %, le nombre de détenus était encore de 67 683 au 1er août pour 57 238 places seulement, et la situation est toujours intenable.
Les causes de cette surpopulation carcérale dramatique sont anciennes et bien connues : condamnations plus nombreuses, peines plus lourdes. Au point que la droite elle-même, dans la loi pénitentiaire de 2009, avait dû développer les alternatives à l’incarcération pour les peines inférieures ou égales à deux ans.
Pour que la future peine de probation ne reste pas symbolique, il faudra cependant des moyens : les services pénitentiaires de probation et d’insertion sont déjà débordés, tout comme les juges d’application des peines.
Les postes à pourvoir pour que les conseillers d’insertion et de probation puissent faire correctement leur travail (en suivant un maximum théorique de 50 à 60 personnes chacun) sont estimées à 1 500 par la CGT-pénitentiaire, et à 1 200 par le Snepap-FSU. Or le budget contraint du ministère de la justice ne prévoit l'an prochain que 300 créations de poste de ce type (et 10 postes de juges d'application des peines).
Autre point épineux : cette future peine de probation devrait s’ajouter aux dispositifs existants, comme le sursis avec mise à l’épreuve, la surveillance électronique, la semi-liberté et le travail d’intérêt général. Le ministère de la justice reste muet sur la question, mais de nombreux professionnels craignent un manque de lisibilité de la mesure et une complexité accrue du « mille-feuilles pénal ».
La communication du ministère de la justice sur ce sujet est plutôt floue. « On aura quelques effets d’annonce à la rentrée et il ne se passera pas grand chose », prédit un haut magistrat, pour qui le bilan de Christiane Taubira, « habile politique », reste jusqu’ici « assez maigre » en ce qui concerne la justice.
Quoiqu’en dise l’exécutif, il y a bien deux politiques qui s’affrontent ouvertement au sein du gouvernement: l’une sécuritaire et répressive, celle d’un Manuel Valls qui veut construire des prisons, et l’autre, plus à gauche, incarnée par Christiane Taubira.
L’affaire de Marignane l’a encore montré. Le 23 août, le ministre de l’intérieur a rendu hommage au « courage » de l’homme de 61 ans, tué par deux jeunes qui venaient de braquer un tabac et prenaient la fuite après qu'il eut percuté leur scooter et les eut aspergé de gaz lacrymogène, en déclarant que ce crime devait « provoquer le réveil des esprits et des consciences face à cette violence ».
« Tout acte délictuel doit être sanctionné dès le premier, pour que cet acte ne se reproduise pas », a tonné Manuel Valls. « La sanction s’impose, la prison joue totalement son rôle. » « S’il n’y a pas sanction, il y a impunité », a cru devoir ajouter le premier flic de France. « Il faut faire preuve d’une grande fermeté, dire que ça suffit », a-t-il insisté.
Christiane Taubira n’a pas tardé à lui répondre, assurant quelques heures plus tard dans un communiqué que « la justice œuvrera avec célérité » après « ce crime lâche et veule commis contre un citoyen ».
Et pour bien mettre les points sur les « i », la Garde des sceaux « rappelle que le Code pénal punit sévèrement les crimes, par une réclusion égale ou supérieure à dix ans w rappelle également que la réforme pénale ne concerne que les délits ». Autrement dit, le crime de Marignane brandi par Manuel Valls ne peut s'inscrire dans le débat.
Depuis mai 2012, comme sur d’autres sujets clivants, les hésitations et prudences de Jean-Marc Ayrault et François Hollande ont fait douter de leur volonté de voir une vraie réforme pénale aboutir. Ainsi, après l'épilogue du duel Valls-Taubira, lors de l'université d'été du PS à la Rochelle, le premier ministre s’est-il déclaré opposé aux peines automatiques comme aux réductions de peine automatiques…
S’agit-il de maintenir les grands équilibres, ou plus prosaïquement d’une politique des petits pas ?
(Lire également sous l'onglet Prolonger.)
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Suivre des blogs Google+ en RSS