L'an dernier, c'était municipales puis européennes. En 2015, les Français inscrits sur les listes électorales sont à nouveau convoqués aux urnes. Après quelques tâtonnements et reports, le gouvernement a fixé les élections départementales, au départ prévues en 2014, à la date des 22 et 29 mars (premier, puis deuxième tour). Puis viendront, en décembre, les élections dans les 13 nouvelles grandes régions.
Pour le PS au pouvoir, l'année s'annonce difficile. Les régionales pourraient être sanglantes, alors qu'il détient 21 des 22 régions actuelles. Mais auparavant, les départementales de mars (le nouveau nom des anciennes “élections cantonales”) seront aussi très compliquées. Le PS, contesté par le reste de la gauche, part pour l'instant au combat assez seul, et peine à recruter des candidats.
D'autant que l'abstention risque d'être très forte. La nouvelle carte des cantons et le nouveau mode de scrutin, vraiment paritaire (une première), ont pour but de rapprocher la politique des citoyens. Mais il faudra les convaincre de voter alors que, réforme territoriale en cours oblige, on ne connaît pas toujours les compétences futures des départements, dont Manuel Valls et François Hollande avaient annoncé la suppression en avril dernier, avant de se raviser. Revue de détail d'un scrutin bien incertain.
POUR LE PS, UN NOUVEL ÉCHEC EN VUE
Après les municipales et les européennes de mars puis juin 2014, les dirigeants du PS s'attendent à une troisième déroute. D'autant que pour la première fois cette année, les élus départementaux sont renouvelés en une seule fois, ce qui risque d'accroître la portée nationale de l'élection.
Aujourd'hui, 61 départements sur 102 sont à gauche, dont 51 dirigés par le PS. Selon le « scénario catastrophe » fréquemment évoqué au parti socialiste, la gauche pourrait n'en garder qu'entre 15 et 20. Le PS sera logiquement le plus grand perdant. À l'Assemblée des départements de France (ADF), tenue par le PS, on estime quelques bastions socialistes d'ores et déjà conservés : l'Ariège, l'Aude, la Creuse, la Dordogne, le Finistère, les Côtes-d'Armor, le Gers, le Lot, et peut-être la Seine-Maritime.
Mais au-delà, c'est la grande incertitude. Le nombre de cantons a été divisé par deux. Il y en avait 4 035 jusqu'ici (et donc autant de conseillers généraux), il n'y en a plus que 2 054, plus grands que les anciens. Le redécoupage rend les prévisions plus difficiles. Vu le contexte politique et son niveau élevé aux municipales et aux européennes l'an dernier, l'abstention (56 % lors des dernières cantonales, en 2011) risque dans bien des endroits de faire pencher la balance de façon inattendue. Surtout qu'il faut désormais réunir 12,5 % des suffrages des électeurs inscrits pour se maintenir au second tour. Avec une abstention forte, il faudra obtenir des scores très élevés (parfois plus de 30 % des votants) pour passer au second tour. Il y aura forcément de la casse dès le soir du 22 mars.
Cliquer sur la carte pour afficher la couleur politique des conseils généraux :
Non représentés sur la carte : Guadeloupe (PS), Martinique (gauche), Guyane (indépendantistes), Réunion (UDI), Mayotte (gauche)
En tout état de cause, la facture s'annonce salée pour le PS, parti d'élus et de collaborateurs politiques qui a déjà perdu la moitié de ses élus aux municipales (lire notre article).
Selon les données du répertoire national des élus établi par le ministère de l'intérieur, le PS compte actuellement 1 456 conseillers généraux. Des dizaines de départements perdus, ce serait autant d'élus en moins – chaque élu reverse 10 % de ses indemnités au parti – et des centaines de collaborateurs sur le carreau (membres des cabinets, directeurs des services, petites mains, etc.). Après le plan social massif des municipales, c'est le PS tout entier qui risquerait de vaciller. Dans certains départements (Alpes-Maritimes, Maine-et-Loire, Var, etc.) où il a déjà peu d'élus, il pourrait même disparaître des assemblées. En attendant, les candidats ne se bousculent pas : le premier fédéral de Moselle a même tenté de susciter des vocations en écrivant à ses adhérents.
Les autres partis de gauche devraient aussi souffrir. Le parti radical de gauche (PRG), qui détient 4 conseils généraux (et 110 conseillers), pourrait perdre les Hautes-Pyrénées et le Tarn-et-Garonne, propriété de la famille Baylet depuis 34 ans. Le président du PRG et patron de La Dépêche du Midi, Jean-Michel Baylet, le préside depuis 1985. Et de 1970 à 1982, ce fut sa mère, Evelyne, récemment décédée. Mais sa récente défaite aux sénatoriales a montré que l'ère Baylet est peut-être en train de s'achever. Le PCF (227 conseillers généraux), qui préside deux conseils généraux (Val-de-Marne et Allier), pourrait aussi perdre des plumes.
Pour ces élections, les candidatures ne seront arrêtées que le 19 février. Ce qui laisse aux partis le temps de constituer leurs listes et de négocier des accords. Mais le PS a beau appeler à l'union, il paraît bien esseulé : ses alliés habituels se détournent. « Force est de constater qu’ils ne veulent pas de nous », déplore Christophe Borgel, en charge des élections au PS, dans Libération. Pour l'heure, il n'a signé des accords globaux avec d'autres partis de gauche qu'en Seine-Saint-Denis (accord PS-EELV-PRG). Un large accord incluant le Front de gauche semble possible, mais pas certain, dans l'Essonne. Globalement pourtant, la direction d'EELV plaide pour l'autonomie, voire la recherche d'alliances alternatives à la gauche du PS. Idem au Front de gauche, où le parti de gauche (PG) de Jean-Luc Mélenchon appuie pour des accords avec les écologistes.
Ailleurs, c'est encore la confusion. Les alliances risquent d'être à géométrie variable, et dans de nombreux départements, tout le monde pourrait partir en ordre dispersé, à quelques exceptions près. Dans le Cher, PCF, PG et EELV ont conclu un accord qui exclut le PS. « Un événement sans précédent », selon le PCF local. Idem en Ariège, terre rurale où le PS est hégémonique, et dans l'Oise.
Avec la barrière des 12,5 % d'inscrits pour se maintenir, on risque de se retrouver en de nombreux endroits dans une situation où les candidats UMP, UDI, ou bien le PS sont éliminés, alors que le Front national (FN) se qualifie pour le second tour. De ce fait, les triangulaires seront réduites. Ce qui reposera crûment aux états-majors du PS et de l'UMP la question d'un éventuel « désistement républicain ». Le FN devrait donc être l'arbitre du troisième tour (la constitution effective des majorités) dans plusieurs assemblées départementales. Depuis 2011, le parti de Marine Le Pen n'a que deux élus, dans le Vaucluse et le Var. Il en aura de toute évidence bien plus à l'issue de ces départementales.
Dans le Vaucluse, la dissidence des candidats de la Ligue du Sud du député et maire d'Orange, Jacques Bompard, lui pose problème. Mais il vise la majorité, et donc la présidence, dans le Var où des grands électeurs de droite ont manifestement voté pour le maire FN de Fréjus, David Rachline, lors des dernières sénatoriales de septembre – Rachline siège désormais au Palais du Luxembourg.
NOUVELLE CARTE, NOUVEAU MODE DE SCRUTIN
La loi du 17 mai 2013 a gravé dans le marbre le principe d'un redécoupage des cantons et acté un nouveau mode de scrutin. L'intention est louable : rapprocher les assemblées départementales des citoyens. De fait, le précédent découpage des cantons n'avait pas été substantiellement modifié depuis… 1801 ! La Cour des comptes réclamait d'ailleurs régulièrement un redécoupage pour adapter la carte aux évolutions démographiques. Dans la quasi-totalité des départements, le canton le plus peuplé avait cinq fois plus d'habitants que le moins peuplé. En 2013, la carte a donc été entièrement revisitée, avec l'objectif de rééquilibrer la population des cantons (avec comme base de calcul +/- 20 % de la moyenne départementale).
Au ministère de l'intérieur, c'est Yves Colmou, alors conseiller de Manuel Valls place Beauvau (il l'a suivi à Matignon, où il reste très influent), qui a redessiné la carte de France, en lien avec les préfets et les responsables politiques locaux. La droite a dénoncé un « redécoupage ruralcide et partisan ». De fait, certains cantons dépeuplés sont aujourd'hui très grands – dans les Landes, un canton est plus grand que le Luxembourg.
Par définition, un redécoupage est très politique, sous la gauche comme sous la droite. Dans certains départements, il défavorise d'ailleurs clairement l'opposition actuelle. Par exemple en Corrèze, où Bernadette Chirac a perdu son canton. Ou dans le Lot : l'UMP crie au scandale et dénonce la « pire carte de France ». Cela dit, le Conseil d'État n'a rejeté aucun des milliers de recours intentés par la droite. Si le PS pensait tirer avantage de ce redécoupage en réorganisant les cantons autour de certaines villes (a priori plus favorables pour lui), le calcul a de toute façon été rendu caduc par la raclée des municipales, le parti socialiste ayant perdu 132 villes de plus de 9 000 habitants.
Autre nouveauté : le scrutin, désormais binominal et plus uninominal. En clair : chaque parti présentera dans chaque canton non pas un, mais deux candidats. À chaque fois, un homme et une femme (ainsi que deux suppléants). Et en cas de victoire, les deux seront élus : à la différence des élections municipales dans les petites villes, on ne peut pas biffer de noms.
C'est une avancée incontestable. À l'issue des élections de mars, les conseils départementaux seront forcément paritaires. Une grande première en France, où malgré les lois sur la parité, les femmes sont toujours moins représentées que les hommes en politique. Jusqu'ici, les conseils généraux étaient d'ailleurs les assemblées de loin les plus “machos”. On ne compte actuellement que 13 % de femmes conseillères générales. En 2011 encore, trois conseils généraux ne comptaient aucune femme élue : Haute-Corse, Tarn-et-Garonne et Deux-Sèvres. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, mais 12 départements sur 102 comptent encore moins de 10 % de femmes. Et seuls cinq conseils généraux sur 102 ont une femme à leur tête : Haute-Vienne, Pyrénées-Orientales, Rhône, Réunion et Martinique.
Redécoupage et nouveau mode de scrutin auront pour effet combiné un fort renouvellement du personnel politique local : paritaire certes, mais aussi plus jeune. Car aujourd'hui, les assemblées départementales sont dignes d'une gérontocratie. Seuls 10 conseillers généraux sur 4 030 (0,25 %) ont moins de 30 ans et 106 ont moins de 40 ans (2,6 %). En revanche, 6 sur 10 ont plus de soixante ans… et 1 conseiller général sur 100 a plus de 80 ans.
Mais ces nouvelles règles posent des questions.
Un, le redécoupage est-il lisible ? Si les contours des circonscriptions législatives (où sont élus les députés) sont plutôt respectés, la nouvelle carte bouscule les habitudes et superpose de nouvelles délimitations sur celles des structures existantes comme les intercommunalités ou les “pays”.
Deux, le nouveau mode de scrutin, jamais vraiment testé ailleurs dans le monde, risque d'avoir des effets de bord. Rien ne garantit que les binômes, une fois élus, ne deviendront pas des rivaux sur le même territoire. Par ailleurs, l'instauration du binôme fait que la réduction par deux du nombre de cantons se traduit par une… hausse du nombre de conseillers généraux. Ils seront désormais 4 100, au lieu de 4 035 aujourd'hui. Pas sûr que les électeurs s'en félicitent.
LES DÉPARTEMENTS, POUR QUOI FAIRE ?
Mais l'aspect le plus incongru de ces départementales, qui risque d'avoir un effet sur la participation, est que les électeurs ne savent pas très bien quelles seront les prérogatives des conseils départementaux qu'ils vont désigner.
Le 8 avril, lors de son discours de politique générale, Manuel Valls avait annoncé la suppression des départements « d'ici 2020 ». « Je pense que les conseils généraux ont vécu », disait alors François Hollande, lui-même ancien président de conseil général (en Corrèze). Mais en octobre 2014, le gouvernement a opéré un virage sur l'aile face aux protestations des élus ruraux de tous bords, et plus particulièrement des radicaux de gauche, devenus les seuls alliés du PS au sein du gouvernement. Manuel Valls annonce alors que la moitié des départements seront conservés.
Aujourd'hui encore, le sort des départements reste très flou. Le gouvernement n'envisage pas de les supprimer avant 2020, ce qui nécessitera de toute façon une réforme constitutionnelle, ce que le gouvernement avait un peu vite oublié en annonçant leur disparition.
Quant à ce que deviennent leurs compétences dans la réforme territoriale, c'est encore plus obscur. Leurs prérogatives sociales devraient être maintenues, mais sous quelles modalités exactement ? De plein droit ou par délégation des nouvelles grandes régions, renforcées dans la nouvelle architecture territoriale ? Garderont-ils leurs compétences actuelles sur les routes ou les collèges, etc. ? Pour l'instant, personne ne le sait. La loi “Notre” (Nouvelle organisation territoriale de la République) sur les nouvelles compétences des départements sera examinée au Sénat à partir de janvier. Mais elle ne sera pas votée avant les départementales. Faute de savoir ce qu'ils feront précisément, les candidats devront donc faire campagne sur des thèmes très généraux. Quant aux citoyens, on leur demande d'aller voter pour des collectivités dont ils ne connaissent pas le sort exact. Ce n'est ni très démocratique, ni très mobilisateur.
BOITE NOIREAjout: lundi soir 5 janvier, l'accord EELV-Front de gauche dans l'Oise, signalé par plusieurs lecteurs, dans les commentaires et par courriel.
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