Pour le journal d'opposition Novaya Gazeta, elle est la « lobbyste russe la plus influente de l'année 2014 ». Marine Le Pen et son parti ont obtenu plusieurs prêts russes cette année. Mais elle affirme que le Front national n'a pas varié d'un iota : « Au motif que l’on obtient un prêt, cela déterminerait notre position internationale ? Cela fait longtemps que nous sommes sur cette ligne (pro-russe). » On assiste en réalité, depuis deux ans, à une inflexion sans précédent de l’engagement pro-russe du Front national : multiplication des voyages et rencontres, nombreuses déclarations défendant les intérêts russes, postes et investitures confiés à des pro-russes.
La ligne russophile du Front national ne date pas de Marine Le Pen. Son père défendait déjà une « Europe des nations de Brest à Vladivostok », et s'est rendu en Russie dès qu'« elle n’a plus été communiste ». Il y a noué de solides amitiés dans les cercles nationalistes et identifié « des intérêts et des adversaires communs ».
Mais dès son arrivée à la tête du Front national, en 2011, c’est des cercles poutiniens que se rapproche Marine Le Pen. Un intense lobbying se met en place. Au quotidien russe Kommersant, elle déclare, en octobre 2011, qu’elle « admire Vladimir Poutine », ce qu’elle redira sur RTL. Pendant la campagne présidentielle, son programme international est résolument axé vers la Russie, avec laquelle elle prône une « alliance stratégique poussée ».
La présidente du FN s’est entourée de conseillers à l’engagement pro-russe affiché. Emmanuel Leroy, qui fut sa plume pendant la pré-campagne de 2012, défendait un axe Paris-Moscou. Aymeric Chauprade, son éminence grise depuis 2010, dispose de solides réseaux en Russie. Ses conseillers économie et Europe, Bernard Monot et Ludovic de Danne, ne manquent pas une occasion de défendre la Russie. Enfin, son vieil ami et prestataire Frédéric Chatillon est lui aussi un admirateur de la Russie de Poutine, où il se rend pour ses affaires.
Les deux intermédiaires du Front national à Moscou, les eurodéputés Aymeric Chauprade et Jean-Luc Schaffhauser, ont eux-mêmes choisi des assistants parlementaires pro-russes. Le premier s'est entouré de la russophone Tamara Volokhova. Le second a choisi Pierre-Yves Rougeyron, président du Cercle Aristote et propagandiste pro-russe ; Nicolas de Lamberterie, ex-représentant en France d'un mouvement identitaire hongrois proche du Jobbik ; et le Polonais Marek Klukowski, membre de son Académie européenne, tournée vers la Russie.
La proximité entre Russes et frontistes se mesure aussi dans les médias. Les journalistes russes déroulent très régulièrement à Marine Le Pen le tapis rouge, la présentant comme une interlocutrice majeure, respectueuse, et la future présidente française. De leur côté, les responsables du FN n'ont de cesse de défendre les positions russes – sur l'Ukraine, la Syrie, le mariage pour les couples homosexuels. La moindre de leurs déclarations sur la Russie est relayée sur le site frontiste Nations Presse Info.
En août 2013, Marine Le Pen est consacrée « première lady de la politique française » par le journal Odnako, créé par Mikhaïl Léontiev, l'un des journalistes russes les plus extrémistes. Dans l'interview, elle dénonce « une véritable guerre froide » menée par l'Union européenne contre la Russie et annonce que « si un jour (elle) occupe le poste de président, les liens entre Paris et Moscou se renforceront » « dans les domaines de la recherche scientifique, dans des projets médicaux, militaires et dans l'aéronautique ».
On ne compte plus ses passages sur la chaîne Russia Today, porte-voix des intérêts russes. Au lendemain du succès du FN aux européennes, la journaliste la présente comme « la présidente du premier parti de France » et termine une interview de trente minutes par un chaleureux : « Tout ce que vous m'avez dit pendant cette interview s'est avéré vrai (sic), alors bonne chance pour la présidentielle et félicitations encore une fois ! »
En avril 2014, c'est sur la première chaîne publique, Pervyi Kanal, que Marine Le Pen déroule son discours. Et lorsque la deuxième chaîne d'État, Rossya 1, réalise un reportage à Paris, décrite en ville dangereuse menacée par les immigrés, le micro est tendu à la patronne du FN.
Jean-Marie Le Pen y voit « une curiosité des Russes à l’égard des Français qui ne font pas du systématique "Poutine bashing" ». Depuis deux ans, chaque dossier international est l'occasion pour le Front national de monter au créneau pour défendre les intérêts russes. Mediapart en a reconstitué la chronologie complète.
- Décembre 2012
C'est en tant que députée membre du groupe d'amitié franco-russe que Marion Maréchal-Le Pen se rend à Moscou, où elle est reçue par le président de la Douma, Sergueï Narychkine, un très proche de Poutine. À son retour, elle accorde une longue interview à ProRussia.tv. Elle y fait l'éloge de Poutine et raconte « l'accueil particulièrement honorant » réservé par Narychkine, qui lui a souhaité son anniversaire (voir la vidéo à partir de 21'30). « La Russie cherche un certain nombre de partenaires, ils ont peut-être jeté leur dévolu, je l’espère en tout cas, sur le Front national », dit-elle en évoquant d'autres « rencontres » à venir. Trois mois plus tôt, cette web télé de « réinformation » pro-russe – qui a depuis fermé – a été lancée par d’anciens cadres du FN, avec l'appui de l'ambassade de Russie à Paris.
- Février 2013
Lors de la commission parlementaire France-Russie, à l'Assemblée, Marion Maréchal-Le Pen livre le même discours devant les Russes : elle salue un « grand pays », un « partenaire vital », et dénonce la « diabolisation systématique » de Poutine à travers des « désinformations régulières ». « On accuse la Russie de ne pas respecter les droits de l’homme ; mais que n’adresse-t-on pas ce reproche au Qatar, au lieu d’accorder à ce grand investisseur des avantages exorbitants ? » lance-t-elle (voir la vidéo). Le président russe de la commission salue en retour « l’intérêt porté à notre pays par l’une des élues les plus jeunes de l’Assemblée nationale », qui « nous (a) fait le plaisir de sa présence » trois mois plus tôt.
- Mai 2013
Un autre frontiste fait l'éloge du « patriotisme intransigeant » de Poutine et évoque la Russie comme « modèle » : Bruno Gollnisch. L’eurodéputé est reçu à la Douma avec une délégation d’élus européens. Un mois plus tôt, le conseiller culture de Marine Le Pen, Karim Ouchikh, fustigeait, lui, un « activisme russophobe » en France.
- Juin 2013
En juin, au tour de Marine Le Pen de se rendre dix jours en Crimée puis en Russie. Elle est reçue par Sergueï Narychkine, le vice-premier ministre Dmitri Rogozine et le président de la commission des affaires étrangères de la Douma, Alexeï Pouchkov (voir la vidéo).
À chaque fois, elle dit son admiration pour Poutine, ses « valeurs » et « idées communes » avec la Russie, présentée « sous des traits diabolisés » par les médias occidentaux. Elle se vante d’être « peut-être la seule en France qui défend la Russie », et lance les passerelles : « Ce n’est qu’un début, ces relations avec la Russie, j’espère les approfondir. J’espère aussi que nous développerons ces relations entre partis, patriotes. »
Invitée à l’université des relations internationales de Moscou, elle y prononce un long discours où elle exprime bien plus ouvertement qu’en France son opposition au mariage pour tous, une loi qui horrifie le Kremlin :
Elle rencontre aussi des représentants des patriarcats de Moscou :
Cette tournée – détaillée ici par Mediapart – est minutieusement préparée en amont et très médiatisée par le Front national à son retour : conférence de presse spéciale, nombreux articles sur les sites frontistes.
- Décembre 2013
Pour le 20e anniversaire de la fédération de Russie, Marion Maréchal-Le Pen se rend à l’ambassade de Russie, où elle avait déjà assisté aux vœux en janvier. La présidente du FN et sa nièce sont régulièrement reçues par l’ambassadeur Orlov. Parallèlement, alors que les agressions homophobes se multiplient en Russie, Marine Le Pen affirme que les homosexuels n’y sont pas persécutés.
- Décembre 2013-février 2014
Pendant la crise ukrainienne, de nombreux responsables du Front national (exemples ici et là) montent au créneau contre l’« ingérence » de l’Union européenne qui « a mis de l’huile sur le feu » et dénoncent des sanctions « idiot(es) » contre la Russie.
Sur France 3, Marine Le Pen cible l’Union européenne, qui « n’est bonne qu’à menacer de sanctions et faire du chantage », mais salue l’attitude de Poutine, qui « a pris ses distances ». « Historiquement Kiev est le berceau de la Russie, un tiers des habitants d’Ukraine sont russophones, une grande partie de l’économie ukrainienne est liée à l’économie russe, donc on ne va pas changer la géopolitique », plaide-t-elle.
Plusieurs candidats et responsables frontistes profitent des Jeux olympiques à Sotchi pour vanter la politique de Poutine et fustiger la « propagande anti-russe » des médias occidentaux. Sur les chaînes d'info en continu, Wallerand de Saint-Just et Marion Maréchal Le Pen saluent « un patriote » qui « défend les intérêts de son pays » et lui « fait beaucoup de bien ». À l’Assemblée, la députée dénonce « un glacis "otanisé" autour de la Russie ». Le président du FNJ, Julien Rochedy, propose quant à lui l'interdiction, comme en Russie, de la « propagande LGBT ».
Parallèlement, l'intermédiaire du FN, Jean-Luc Schaffhauser, se rend à Moscou en février pour rencontrer Alexander Babakov, un conseiller du président Poutine. À cette occasion, il l’aurait présenté à Marine Le Pen.
- Mars 2014
Mais c’est lors de l’annexion de la Crimée par la Russie que le Front national va vraiment donner de la voix. Dans un communiqué officiel, Aymeric Chauprade justifie l’intervention russe, dépeinte en conséquence de l’ingérence des « pyromanes de salon », qui ont « pouss(é) une partie de l’Ukraine contre une autre ». Le conseiller international de Marine Le Pen évoque la nécessité de garantir des « intérêts stratégiques propres à toute zone d’influence historique ».
Deux semaines plus tard, Chauprade se rend en Crimée comme « observateur » du référendum, à l’invitation d’une étrange organisation pro-russe (lire notre enquête). Il livre son témoignage à la Voix de la Russie, la radio d’État diffusée à l’étranger.
Au Front national, la ligne est claire : « Poutine a fait un sans faute », sa « position » est « inattaquable », « la Crimée a toujours appartenu à l'empire russe », résume Jean-Marie Le Pen sur BFMTV. Le conseiller Europe de Marine Le Pen explique sur Twitter que « la destitution était illégale au regard de la Constitution » et que « dans ce contexte, le référendum en Crimée (était) légitime ».
- Avril 2014
Le 14 avril, Marine Le Pen retourne en Russie, cette fois-ci pour une « visite privée ». Elle est à nouveau reçue par Sergueï Narychkine, qui salue « les excellents résultats » du FN aux municipales. Elle martèle que « les sanctions (à l’encontre de la Russie, ndlr) sont contre-productives ». Dix jours plus tôt, Jean-Marie Le Pen a signé une convention de prêt avec une société chypriote détenue par le directeur de la banque d’État russe Veb Capital, bras financier du Kremlin. Le 18 avril, les 2 millions d’euros sont versés à son micro-parti Cotelec, comme l’a révélé Mediapart.
- Mai 2014
Un mois plus tard, c’est une rencontre importante qui a lieu à Vienne, en Autriche, à l'initiative de l'oligarque russe Konstantin Malofeev, proche du pouvoir. À huis clos, une centaine de personnes se sont retrouvées pour les « 200 ans de la Sainte Alliance ». Parmi eux, le peintre nationaliste Ilia Glazounov, ami de Jean-Marie Le Pen ; l’idéologue Alexandre Douguine, conseiller officieux de Poutine ; mais aussi les frontistes Aymeric Chauprade et Marion Maréchal-Le Pen.
Le 26 mai, le Front national envoie 23 députés au parlement européen. Parmi eux, Aymeric Chauprade et Jean-Luc Schaffhauser, tous deux consultants internationaux. Ces deux intermédiaires avec les Russes ont connu une ascension éclair au sein du parti, à l’automne 2013. Le premier est devenu le conseiller international de Marine Le Pen et la tête de liste en Île-de-France. Le second, inconnu au FN, a remplacé au pied levé la tête de liste à Strasbourg aux municipales puis a été propulsé troisième sur celle de Chauprade aux européennes.
Dans l’hémicycle comme dans les médias, les deux eurodéputés multiplient les interventions en faveur de la Russie. Six des quinze interventions de Jean-Luc Schaffhauser en séance plénière sont ainsi consacrées à la Russie.
- Juin 2014
Le 12 juin, Marine Le Pen, Aymeric Chauprade et Marion Maréchal-Le Pen font partie des invitées à l’ambassade de Russie, à Paris, pour célébrer la fête nationale russe :
- Août 2014
Même en plein été, le Front national de cesse de manifester son engagement pro-russe. Dans un communiqué, le parti redit son opposition aux sanctions occidentales et estime que l'embargo sur l’agroalimentaire européen décrété par la Russie va « aggraver la crise de l'élevage et de l'agroalimentaire » en France.
- Septembre 2014
À la rentrée, les rencontres s’accélèrent. Le 1er septembre, Aymeric Chauprade participe à une rencontre avec l'Ambassadeur de Russie qui rassemble des élus et chefs d’entreprise français.
Puis il s’envole pour Moscou, où il s’affiche avec son « ami » l’oligarque Malofeev – à l’hôtel Président lors de la visite d’une délégation de députés français, puis à la tribune d’un congrès ultra-conservateur sur la famille. Il se rend aussi à la Douma « pour défendre la famille contre l’idéologie du “gender” ».
Pendant ce temps-là, le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, signe le prêt de 9 millions d’euros octroyé par la banque russe FCRB. De son côté, l’eurodéputé Jean-Luc Schaffhauser touche 140 000 euros pour son rôle d’intermédiaire – sans les signaler dans sa déclaration d’intérêts.
Au parlement européen, les 23 eurodéputés frontistes votent comme un seul homme contre l'accord d'association et de libre-échange avec l’Ukraine, adopté par 535 voix. Dans l’hémicycle, Marine Le Pen dénonce « une grave violation du processus démocratique » et Aymeric Chauprade lance un solennel « Face à l'histoire, vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas », à ses collègues.
- Octobre 2014
Au tour de Jean-Marie Le Pen de retourner à Moscou. Le président d’honneur du FN y rend visite à ses amis nationalistes russes, mais il participe aussi à un déjeuner avec l’oligarque Konstantin Malofeev, affirme-t-il à Mediapart.
- Novembre 2014
Comme Chauprade en Crimée, Jean-Luc Schaffhauser se rend en Ukraine comme « observateur » des élections séparatistes, à l’invitation d’une organisation créée par des membres d’extrême droite. À son retour, il en fait un récit très subjectif devant la commission défense du parlement européen, et donne du poids aux arguments russes.
De son côté, Aymeric Chauprade retourne à Moscou, où il prononce un discours sur l’Ukraine, « au nom de Madame Marine Le Pen », et s’affiche à la Douma avec le président de la commission des affaires étrangères. À son retour, il s'étonne que la haute représentante de l'UE pour les affaires étrangères ne considère plus la Russie comme « un partenaire stratégique ». Dans la foulée, il lance son institut du monde multipolaire (IMM), « auto-financé par ses membres », et qui se veut un « laboratoire de la pensée géopolitique ».
Lui aussi apparaît régulièrement dans les médias pro-russes : Russia Today (où il cite le 27 novembre un sondage en ligne bidonné par des votes automatiques venant de Russie), la Voix de la Russie, Ria Novosti, etc.
Le Front national se saisit aussi d'une autre actualité : la non-livraison par la France du Mistral à la Russie. Chauprade dénonce une décision « profondément nuisible », Florian Philippot fustige une France « aux ordres des Américains ». En août déjà, les élus frontistes de Saint-Nazaire avaient créé le collectif « Mistral, Gagnons ! » en soutien à la livraison des Mistral.
La proximité avec Moscou se matérialise au congrès du Front national, à Lyon, où une délégation russe est présente – et notamment le sénateur Andreï Klimov et le vice-président de la Douma Andreï Issaïev. À la tribune, celui-ci livre un discours virulent sur l’Ukraine et les Occidentaux (lire notre reportage).
Marine Le Pen lui a envoyé une lettre de remerciements très chaleureuse, publiée sur le site du parti de Vladimir Poutine, Russie unie. Elle s'adresse à lui comme « allié politique » et « ami qui soutient notre lutte pour une Europe des nations et pour la liberté ». Elle évoque leur « coopération future », qui « a un grand avenir », et dit attendre « avec impatience une nouvelle rencontre avec (lui) ».
Au Congrès, certains se sont aussi interrogés sur la candidature au Comité central de Vladimir Berezovski, un jeune chargé de mission du FNJ de la Drôme né en Russie, qui ne cache pas ses opinions.
- Décembre 2014
C'est jusqu'au conseil régional du Nord-Pas-de-Calais que le Front national apporte son soutien à Poutine. Le 17 décembre, Jean-Richard Sulzer, élu FN et conseiller économique de Marine Le Pen, exprime dans l'hémicycle « toute l'affection (qu'il a) pour la Russie » et évoque le « grand démocrate » Poutine.
Les Russes le leur rendent bien : le 2 décembre, Ivan Kvitka, membre du présidium du parti de Poutine, fait l'éloge de Marine Le Pen : « Enfin sur la scène européenne est apparu quelqu'un qui est capable de dire la vérité. »
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Mini guide MySQL