Le parti socialiste des Bouches-du-Rhône n'en finit pas de sombrer. À trois mois des cantonales, le patron du département Jean-Noël Guérini (ex-PS) continue de peser de tout son poids sur sa majorité socialiste sortante au conseil général. Relaxé le 8 décembre dans une affaire de licenciement abusif, il reste toujours mis en examen dans deux enquêtes sur des marchés truqués. Le 5 décembre, le PS a investi 19 candidats sur les 29 cantons du département. Cette liste comporte de nombreux conseillers généraux sortants qui, le 4 novembre, avaient appelé à une alliance avec la Force du 13, le nouveau parti de Jean-Noël Guérini. Plusieurs militants, dont le conseiller général sortant Michel Pezet et Pierre Orsatelli, porte-parole de Renouveau PS Treize, dénoncent de nombreuses irrégularités dans leur désignation. Entretien avec Pierre Orsatelli, 51 ans, militant PS depuis 1983 et farouche adversaire du système Guérini.
Jean-Noël Guérini et son ex-conseiller Jean-David Ciot, premier secrétaire de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, ont été relaxés lundi dans une affaire de licenciement abusif. Est-ce une mauvaise nouvelle pour le PS qui comptait sur la justice pour régler le cas Guérini ?
Pierre Orsatelli. Non, nous avons toujours dit qu'à une question politique, il fallait apporter une réponse politique et non uniquement judiciaire. Certains socialistes au niveau national ont par lâcheté renoncé à s’impliquer dans le traitement du cas Guérini, car ils comptaient sur la justice pour le faire. La réponse judiciaire n’est pas là. Il faut maintenant avoir la lucidité et le courage d’apporter une réponse politique. Le PS doit cesser de s’acoquiner avec Jean-Noël Guérini. Sinon, durant toute la campagne des cantonales, on aura des micros tendus, partout en France, pour demander aux socialistes : « Comment justifiez-vous votre alliance avec Guérini ? »
Vous dénoncez des irrégularités lors du choix des candidats socialistes aux cantonales, lesquelles ?
Le parti socialiste a fait un appel à candidature comme dans toutes les fédérations. J’ai adressé ma candidature dans le strict respect de la circulaire nationale. On m'a même demandé un RIB pour l'enregistrer, mais elle n’a pas été retenue, et ce sans que j'en sois prévenu. Nous sommes plusieurs dans cette situation. Les militants PS ont voté le 3 décembre par canton. Les listes électorales n’ont pas été établies dans le délai prévu (un mois à l’avance), la liste de candidats n’était pas connue le jour même du scrutin, leurs professions de foi n’existaient pas ou n’avaient pas été diffusées et à 15 heures les lieux de vote n'étaient pas connus pour un scrutin qui débutait 17 heures ! Les candidats eux-mêmes ne savaient pas si leur candidature avait été retenue, où ils étaient candidat, et quels étaient les électeurs. Comme les cantons ont été redessinés, les militants ne savaient pas non plus à quelle circonscription ils étaient rattachés. Dans certains cantons, le vote a été annulé au dernier moment. Dans d’autres, le vote a eu lieu mais les candidats arrivés en tête n’ont pas été investis, manifestement pour réserver ces cantons à des conseillers généraux sortants signataires de l’alliance avec la force du Treize.
Le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis a exclu toute alliance avec Jean-Noël Guérini. Comment expliquer que la fédération des Bouches-du-Rhône ait le 5 décembre désigné des candidats guérinistes ?
La convention départementale du PS à Vitrolles a désigné 19 candidats, pas forcément ceux qui avaient été élus. Près de la moitié avaient en effet signé l’appel à l’alliance avec la Force du 13. Si rien n’est fait, nous aurons des investitures socialistes qui recouvriront à peu près fidèlement les 23 signataires de cet appel à un accord du PS avec la Force du 13, le parti localiste et sectaire de Jean-Noël Guérini.
La disjonction est incompréhensible pour un non-initié. Il faut donc poser la question à Jean-Christophe Cambadélis. Effectivement, il a dit qu’il ne fallait aucune alliance et qu'une commission pour suivre les faits et gestes de la fédération serait créée. À ma connaissance, elle n'a pas été mise en place.
La convention de Vitrolles était inaccessible puisqu’elle s’est tenue à huis clos avec une cinquantaine de personnes triées sur le volet. Les militants ou candidats qui ont voulu y assister n’ont pas pu. La convention a même voté un programme départemental hagiographique vantant les mérites de la gestion de Jean-Noël Guérini, qui n’avait jamais été proposé aux militants. Ça n’est rien que de l’habituel : dans les Bouches-du-Rhône, le PS ne respecte pas ses propres règles. Ce qui reste surprenant est qu’on s’évertue à respecter les oripeaux d’une légalité. Ceux qui gèrent cette fédération pour le compte de tiers sont très formalistes, alors que tout ça est une farce complète.
Allez-vous déposer un recours comme annoncé ?
Nous y réfléchissons. Ce serait un recours devant une juridiction civile puisque le PS est une association. Nous avons demandé aux militants d’apporter leurs témoignages : comment ils ne connaissaient pas les candidats, comment il n’y avait pas d’isoloir, pas de dépouillement, des chiffres de participation grotesques, pour les candidats recalés et même recalés alors qu'arrivés en tête, etc.
Mais il vaudrait mieux apporter une réponse politique d’ici les investitures par le conseil national qui aura lieu samedi 12 décembre. Il faut une ligne qui explique que la tutelle de Guérini sur le PS des Bouches-du-Rhône n’a que trop duré, qu’il ne peut y avoir aucune forme d’alliance, que le PS s’engage résolument dans l’application de la loi Lebranchu avec la perspective de création d’une métropole comme un bouclier. Seule une métropole permettra à ce département de faire face à la mondialisation. Les Bouches-du-Rhône peuvent être gérées avec des règles opposables à tous dans un principe d’égalité entre les citoyens. Les maires qui soutiennent la Force du Treize reçoivent pour leurs administrés 20 fois plus d’aide aux communes (versée par le département, ndlr) par tête d’habitant qu’un Marseillais et 27 fois plus qu’un Aixois. L’égalité n'est pas respectée. Les principes de transparence non plus. Il est très difficile à partir du site du conseil général de connaître les chiffres des subventions aux communes, de savoir ce ce qui est voté en commissions permanentes.
Quelle serait cette réponse politique ?
Il faut un programme clair et lisible. Il faut incarner le renouveau avec de nouvelles têtes. Il existe une profonde attente, car Stéphane Ravier (FN), Martine Vassal (tête de liste UMP-UDI), Jean-Noël Guérini (Force du 13) vont faire campagne contre la métropole. Les socialistes bucco-rhodaniens, par solidarité gouvernementale et par évidence, seraient fondés à faire campagne pour la métropole. Il ne s’agit pas du diable à six têtes présenté par ses opposants, mais bien l’outil du développement indispensable de ce territoire. Regardons par exemple le canton de Jean-Noël Guérini dans lequel il veut se représenter. Comment explique-t-il, qu’avec les moyens du conseil général, il ait laissé son canton devenir le plus pauvre d’Europe. La réponse est simple : le clientélisme est l’enfant de la pauvreté. C’est beaucoup plus facile de régner sur un territoire quand les gens sont dans le besoin que de chercher à le développer. C’est la réalité de ce territoire, de souvent, pour des calculs politiques, préférer la pauvreté au développement.
Il faut ouvrir cette maison du « Bateau bleu » (surnom de l'hôtel du département, ndlr) et en faire une collectivité exemplaire. Je pense à Michel Dinet, qui était président du conseil général de Meurthe-et-Moselle malheureusement décédé. Il avait adopté un règlement d’aides aux communes parfaitement transparent. On peut gérer un conseil général avec plus de deux milliards d’euros de budget annuel de façon lisible et transparente. Si ce conseil général redevenait une collectivité gérée par des principes de gauche, on pourrait faire beaucoup mieux pour l’ensemble des habitants de ce département.
La réalité est que, sans le portefeuille du conseil général, sans les clefs du coffre-fort, Jean-Noël Guérini n’a plus aucun pouvoir. Il est sénateur non inscrit, c’est-à-dire un pouvoir égal à zéro équivalent à celui de Stéphane Ravier (FN) ou de David Rachline (FN). Il n’a pas la capacité à agir sur le processus législatif, d’ailleurs il ne se rend guère au Sénat.
Comment expliquer que malgré le rapport Montebourg, la commission Richard, les trois mises en examen, les conseillers généraux socialistes ne se soient jamais débarrassés de l’épine Jean-Noël Guérini ?
N’importe qui vit dans ce département sait que ce conseil général est cadenassé. Les décisions sont prises de façon autocratique. La capacité d’influence d’un conseiller général de la majorité ou de l’opposition tend vers zéro. La gestion est basée sur des rapports de force dans une logique de vassalité. Si ces conseillers généraux n’étaient pas soutenus implicitement au plan national par Solférino, tout pourrait changer. Mais les réseaux, qui ont amené à négocier en bloc les mandats des Bouches-du-Rhône pour les congrès du PS au niveau national, sont toujours à l’œuvre. Certains n’avaient donc pas intérêt à lâcher Guérini, car il avait menacé d’entraîner le PS dans sa chute. Peut-être que ces messages ont été entendus par des gens qui avaient des choses à se reprocher. Je sais comment Jean-Noël Guérini parlait à certains de nos responsables nationaux. J’ai honte pour eux, qu’ils se soient laissé traiter ainsi, devant témoins. C’est une façon de faire de la politique qui est passéiste et alimente le désamour de nos concitoyens pour la politique. Il faut y mettre un terme.
Quitte à perdre le conseil général des Bouches-du-Rhône ?
Mais le conseil général est déjà perdu. Il est perdu depuis le 30 mars 2011, depuis qu’il est utilisé pour la protection du destin de Jean-Noël Guérini, au seul profit de sa carrière politique. Expliquer qu’il peut rester à gauche si nous faisons alliance avec la Force du 13, est une plaisanterie. Il ne s’agit pas de perdre le conseil général, mais au contraire de le regagner à gauche. Et notre seul espoir pour y arriver est de remobiliser un électorat de gauche qui ne comprend pas pourquoi les socialistes continuent d’être sous la coupe du système Guérini. Cet électorat attend qu’enfin nous envoyions un signal clair.
Il y a eu beaucoup d’occasions perdues, mais ce n’est pas une fatalité. Plus vite, nous nous désolidarisons de ce système, mieux ce sera pour le PS parce qu’il y a des échéances politiques (cantonales, régionales, présidentielle, etc.) et judiciaires à venir. Comme Jean-Noel Guérini sera probablement renvoyé devant le tribunal correctionnel en 2015 pour deux autres procès, les journalistes vont continuer à demander aux socialistes dans la France entière pourquoi ils ont fait alliance avec Guérini. Nous n’avons que trop tardé
D'autant plus, et il y a urgence, que la vraie ligne contre le FN, c’est un parti socialiste fort qui ne soit ni dans le compromis, ni dans la compromission.
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