La photo de famille est telle qu’il la souhaitait. Les commentaires, aussi. Dix jours après son élection à la tête de l’UMP, Nicolas Sarkozy a de quoi sourire. À lire le storytelling qui s’écrit sous nos yeux, le « grand rassemblement » dont il se voulait le maître d’œuvre est désormais enclenché. Sa première semaine rue de Vaugirard a été rythmée par des poignées de main chaleureuses et des déclarations enthousiastes. Sa rencontre avec Bruno Le Maire ? « Amicale. » Celle avec François Fillon ? « Apaisée et positive. » Et celle avec Alain Juppé ? « Bonne. »
« C’est formidable ! Dans ce parti, il n’y a que des amis. Tout va bien ! Tout le monde se parle, c’est chaleureux ! » s'est même exclamé le sénateur de la Vienne, Jean-Pierre Raffarin, à l’issue du premier bureau politique dirigé par l’ex-chef de l’État, le 3 décembre. « Chez (Nicolas Sarkozy), il y a une certaine pratique du clivage », reconnaissait pourtant le même Raffarin deux jours plus tard dans les colonnes du Monde. De fait, le nouveau patron de l’opposition est plus expert en divisions qu’en rassemblement. L’équipe dirigeante du parti qu’il vient de composer en est d'ailleurs la preuve. Car sous la couche d'unité badigeonnée à la va-vite, se sont créées de nouvelles poches de discordes.
À première vue, l’ex-chef de l’État s’est échiné à satisfaire tout le monde. Lui qui promettait il y a encore peu qu’il « ne choisirai(t) personne parce qu’il est sarkozyste, juppéiste ou filloniste », a finalement pioché dans chacune des écuries du parti pour constituer son organigramme. En faisant du député des Hauts-de-Seine, Thierry Solère, un proche de Bruno Le Maire, le “Monsieur primaires” de l’UMP, il a donné des gages à celui qui a rassemblé face à lui près de 30 % des suffrages le 29 novembre. En demandant au juppéiste Édouard Philippe, au filloniste Bernard Accoyer et au fidèle Brice Hortefeux de l'épauler dans cette tâche, il a tenté de rassurer tous ceux qui craignaient qu’il ne remette en question le principe des primaires, qui devront désigner le candidat de la droite à l'élection présidentielle de 2017.
Même chose pour la filloniste Isabelle Le Callennec et le copéiste-sarkozyste Sébastien Huygues, tous deux nommés porte-parole. « Un attelage politiquement inimaginable il y a deux mois encore », salue Le JDD. Selon les commentateurs, Nicolas Sarkozy aurait encore brillamment joué les équilibristes en faisant de la “modérée” Nathalie Kosciusko-Morizet (vice-présidente de l’UMP) et du très droitier Laurent Wauquiez (secrétaire général) ses nouveaux bras droit et gauche. Une alliance contre nature qui présage de futures grandes luttes de pouvoir, déjà perceptibles dans « la valse des bureaux » de la rue de Vaugirard, racontée par Libération. Art de la synthèse ou bazar organisé ? « Les militants ont voté pour un homme qui proposait n’importe quoi. Au final, ils ont un homme et n’importe quoi », tranche un proche de Bruno Le Maire.
En votant Sarkozy, les militants ont effectivement obtenu du Sarkozy. Car au-delà de quelques nominations symboles qui se comptent sur les doigts d’une main, l’ex-chef de l’État a surtout placé ses lieutenants aux principaux postes stratégiques de la machine qu’il veut faire sienne pour 2017. « Lui et Frédéric Péchenard (l’ex-patron de la police nationale, promu directeur général de l’UMP – ndlr) concentrent 100 % des pouvoirs », glisse un cadre du parti. À leurs côtés, bon nombre de fidèles sarkozystes : Daniel Fasquelle (trésorier), Christian Estrosi (commission nationale des investitures), Brice Hortefeux et Luc Chatel (conseillers politiques), Marc-Philippe Daubresse, David Douillet et Éric Woerth (délégués généraux)… Le nouveau patron de l’opposition a planté des garde-fous à tous les étages de la rue de Vaugirard, tout en écartant les éléments encombrants de sa garde rapprochée, ses boulets politiques.
Exit l’ex-garde des Sceaux, Rachida Dati, qui était encore vice-présidente sous la présidence de Jean-François Copé, mais dont les critiques permanentes ont fini par agacer l'ex-chef de l'État. Exit également l’ex-trésorière de l’UMP, Catherine Vautrin, récemment mise en examen pour « abus de confiance » dans l’affaire des pénalités imposées à l'ancien candidat à la présidentielle après le rejet de son compte de campagne. Quant à la fidèle copéiste Michèle Tabarot, ex-n°2 du parti embarrassée par l’affaire d’escroquerie immobilière de son frère aîné, elle devra se contenter de conserver son poste de présidente de l'Association nationale pour la démocratie locale (ANDL), qui avait vendu des formations d’élus en partie fantômes aux collectivités locales.
Exit enfin – du moins temporairement – Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, les médiatiques cofondateurs de la Droite forte, qui se voulaient jusqu’alors « incontournables » au sein de l'UMP. Honnis par les élus de l'opposition en général, et par Nathalie Kosciusko-Morizet en particulier, ceux que d'aucuns surnomment « Adolf et Benito » devraient quand même récupérer, au terme de tractations houleuses entre Sarkozy et sa nouvelle vice-présidente, un poste obscur de “secrétaire national fonctionnel”, selon Le Figaro.
Conseillers, collaborateurs, ministres, amis… La garde rapprochée de Nicolas Sarkozy est une habituée des cabinets d’instruction. Jamais sous la Ve République un système présidentiel n'avait été cerné de si près par des juges anticorruption. Or, c’est précisément ce système, élaboré année après année par ses soins, que l’ex-chef de l’État doit désormais démanteler s’il veut circonscrire le feu judiciaire qui le menace. Dans ce nouveau dispositif, certains anciens affidés n’ont clairement plus leur place.
C’est notamment le cas de Claude Guéant, dont le nom est cité dans pas moins de sept affaires. L’ancien secrétaire général de l’Élysée, devenu par la suite ministre de l’intérieur, semble à présent persona non grata à l’UMP. Et pour bien le lui faire comprendre, Nicolas Sarkozy est allé jusqu’à confier un poste clef à son plus grand adversaire : Thierry Solère, l’homme qui lui avait fait subir un camouflet aux législatives de 2012, à Boulogne-Billancourt.
C'est aussi le cas du député et maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), Patrick Balkany, que l'ex-chef de l'État s'est toujours bien gardé de mêler aux rouages de la machine. Cela pourrait être enfin le cas, dans une autre mesure, de Guillaume Peltier qui, non content d'avoir fait ses armes à l'extrême droite, puis dans le sillage du conseiller sulfureux Patrick Buisson, a également vu son nom mêlé au tentaculaire dossier Bygmalion. Mais contrairement aux deux premiers, le maire de Neung-sur-Beuvron (Loir-et-Cher) a pour lui d'être jeune en politique et donc, d'être encore malléable.
Dans la liste des absents remarquables du nouvel organigramme de l’UMP, figure également Nadine Morano. Celle qui fut, comme elle le rappelle crânement à l’Est républicain, « déléguée en charge des élections, déléguée à la jeunesse, aux fédérations professionnelles, au monde du travail, secrétaire nationale, porte-parole » n’occupe plus aucun poste dans la nouvelle mouture du parti. Au quotidien régional qui le lui fait remarquer, elle rétorque : « C’est bien une question de journaliste. Toujours cette manière d’interpréter les choses. Je suis membre du bureau politique, membre de la commission d’investiture, c‘est de la mise à l’écart, ça ? »
Cela y ressemble, malgré tout. « Tous ces gens ont servi à Nicolas Sarkozy, mais aujourd’hui ils sont abîmés dans l’opinion publique et il le sait », souligne un cadre de l’UMP. L’ex-chef de l’État n’a d’ailleurs pas attendu d’être élu à la tête du parti pour faire le ménage dans sa garde rapprochée. Lui qui assurait dès l’officialisation de son retour qu’il aurait « besoin de toutes les intelligences, de toutes les énergies, de toutes les bonnes volontés », s'emploie depuis plusieurs mois à écarter tous ceux qui incarnent le “Sarko d'avant”, celui que les Français ont rejeté au soir du 6 mai 2012. Garder des amis « de trente ans » comme Brice Hortefeux ou des barons locaux comme le député et maire de Nice, Christian Estrosi, est une chose. Mais pourquoi s'embêter avec ceux qui ne représentent guère plus que quelques sorties médiatiques, le plus souvent gênantes ?
Le grand nettoyage des troupes sarkozystes a donné lieu, durant la campagne interne, à quelques “off” acrimonieux de Nadine Morano qui a attaqué tour à tour Gérald Darmanin (« le chihuahua »), Laurent Wauquiez (« la crevure ») ou encore Nathalie Kosciusko-Morizet. Malgré une mise à l'écart évidente, l’eurodéputée continue ses vains appels du pied. « À compétences égales, il vaut mieux être entouré de fidèles, qui vont vous entourer, qui ne vont pas vous poignarder au premier virage de travers, que d'avoir des gens qui, dès qu'il y a un petit peu de vent, sautent du bateau », déclarait-elle encore le 1er décembre sur Europe 1.
Mardi 9 décembre, plus de 25 nouvelles nominations (délégués généraux et secrétaires nationaux) ont été annoncées. Mais toujours rien pour l'ancienne ministre. L'Obs explique que cette dernière a en fait refusé le poste de secrétaire nationale à la formation professionnelle et à l’apprentissage que lui proposait l'ex-chef de l'État, voyant dans ce maigre cadeau de consolation la marque de l'irrespect de son mentor. « Sarkozy me traite de façon indigne et scandaleuse », s'est-elle plainte auprès de Paris Match.
Le nouveau patron de l'opposition a beau marteler qu'il souhaite « rassembler, unifier et rassurer », rien n'y fait : il reste l'homme des clivages. Tandis qu'il s'évertue à redorer son propre blason en polissant sa garde rapprochée, l'UMP continue de s'affaisser sous le poids des égos qui la composent. « Tout le monde joue la mascarade de l’unité pour éviter que le parti explose, mais chacun va continuer à jouer sa partition de son côté, souligne un proche de Bruno Le Maire. En bureau politique, le niveau de haines autour de la table est incommensurable. » Il l'est d'autant plus aujourd'hui que s'y est ajoutée l’amertume des sarkozystes tombés en disgrâce.
BOITE NOIRECet article a été mis à jour, mercredi 10 décembre à 17h30, avec les informations de L'Obs concernant le refus de Nadine Morano et ses déclarations dans Paris Match.
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