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Des diplômes bidons à Sciences-Po Aix

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Enquête en partenariat avec le site Marsactu. « Ce n'est pas l'université de Toulon. » Quand nous l'avions rencontré, en septembre 2014, c'est par ces mots que le directeur de Sciences-Po Aix, Christian Duval, avait voulu écarter toute idée de scandale à grande échelle au sein de son institution. Depuis, chaque semaine qui passe rapproche pourtant l'école aixoise de ce gouffre. Dernier épisode en date, un audit, mené par Aix-Marseille université (AMU) et remis le 17 novembre, qui étaie les dérives révélées il y a deux mois par Marsactu et Mediapart.

Deux jours après la remise de ce document estampillé « confidentiel », Christian Duval annonçait sa démission. Elle deviendra effective ce samedi 6 décembre lors d'un conseil d'administration de l'Institut d'études politiques (IEP). Que contient donc ce rapport qui l’a poussé à partir ?

Exemplaire anonymisé d'un des «diplômes» bidon délivrés en juin 2014

L’équipe d'audit interne d'AMU a mis la main sur un diplôme bidon, signé en juin 2014 de la main même de Christian Duval. Il a été décerné, parallèlement à un vrai diplôme de l’AMU, à 28 militants et permanents du syndicat CFE-CGC qui ont suivi une formation continue en « intelligence sociale ». Officiellement inscrits dans un master d'études politiques spécialité management de l'information stratégique (MIS), ils ont obtenu un diplôme sur-mesure mentionnant le parcours « intelligence sociale », qui n’a jamais obtenu aucune habilitation du ministère de l’enseignement supérieur. Et le directeur de l’IEP, qui a signé ces diplômes où est apposé le sceau de Sciences-Po, n'en avait pas le droit. Il a assuré aux auteurs de l’audit qu’il s’agissait d’une simple « attestation de validation ».

« L'IEP a privilégié les demandes des partenaires et c'est allé très loin, explique l'audit, documents à l'appui. En effet, pour répondre à une demande persistante d'une promotion CFE-CGC, un diplôme de master d'études politiques parcours intelligence sociale, aux armoiries de l'IEP, mais avec toutes les mentions obligatoires (décrets, arrêté ministériel relatif aux habilitations…) et signé par le directeur de l'IEP, a été remis à 28 étudiants qui avaient reçu le master MIS. »

Remise des diplômes en juin 2014

Ce parcours proposé aux syndicalistes est révélateur des dérives de l'IEP. D'abord, l'audit note « un éloignement de la maquette d'habilitation et la disparition de la langue vivante pourtant obligatoire en master ». Concrètement, les enseignements délivrés n'ont pas grand-chose à voir avec ceux que sanctionnent les diplômes d'État validés par le ministère après discussion avec l'université, « tant en contenu qu'en nombre d'heures dispensées ». La conclusion est sans appel : « L'IEP a fait preuve d'un manquement important à ses obligations. » Autre incongruité : le montage économique de ce partenariat. Au lieu de délivrer lui-même ces cours « à Paris et à Aix », l'IEP a préféré les sous-traiter à un organisme de formation aixois récemment créé, l'Institut supérieur en intelligence sociale (Isis).

Le rapport d’audit confirme que sur les 12 masters habilités de l’IEP, les dérives concernent uniquement les spécialités du master management de l'information stratégique (MIS), dirigé par le consultant Stéphane Boudrandi dont Christian Duval avait fait son numéro deux. Initialement dédié aux sciences de l’information, ce master a été décliné à toutes les sauces, au gré des demandes des partenaires privés de l’IEP. « De nouveaux parcours on été créés avec des programmes s’éloignant de plus en plus de la maquette de départ », constatent les auteurs du rapport, qui assurent que l’AMU n’a jamais été informée de ces modifications. Ils citent notamment un parcours « Management et gouvernance des entreprises, dont les objectifs sont la finance, le marketing, les ressources humaines, communication ou business ».

Le rapport rappelle que Sciences-Po Aix a passé de nombreuses conventions avec des partenaires extérieurs prévoyant la délivrance du master MIS avec des cours délocalisés, mais que « quasiment aucun cours n’a été assuré par des enseignants-chercheurs ». Et pour cause, selon le rapport, le nombre d'étudiants des masters MIS a été multiplié par 34 en deux ans (passant de 16 étudiants en 2011-2012 à 547 en 2013-2014), « alors que l’équipe d’enseignant-chercheurs de l’IEP n’a quasiment pas évolué ». Dans certaines spécialités, seules 70 heures de cours ont été délivrées au total au lieu des 500 heures prévues par la maquette du diplôme. Et les étudiants dans ces masters délocalisés ont été recrutés n’importe comment. « Sur un échantillon de 104 étudiants inscrits pour les années universitaires 2012-2013 et 2013-2014, plus de la moitié n’avaient pas le niveau de diplôme requis », s'alarment les auteurs.

Certains avaient des parcours tortueux : 52 étudiants « d’origine chinoise » avaient pour adresse Pointe noire, au Congo Brazzaville. « Ils avaient comme dernier diplôme un MBA (master of business administration) de l’IEAM (une école de management) et l’Université professionnelle d’Afrique était mentionnée dans leur dossier », relève le rapport. Ces deux organismes font partie de ceux qui ont noué des partenariats douteux avec Sciences-Po Aix. Une trentaine d’autres étudiants inscrits étaient eux originaires de Kinshasa, « mais les dossiers n’ont pas été retrouvés », et ils n’ont finalement pas été diplômés.

Le rapport conclut, dans un langage très administratif et poli, que les diplômes du master MIS délivrés en 2013 et 2014 avaient tout faux. Ces diplômes dérogeaient « aux standards prévus à la fois au dossier d’habilitation, à l’arrêté relatif au diplôme de Master et aux exigences d’un diplôme universitaire, tout cela par le fait d’importants dysfonctionnements au sein de l’IEP ».

Les auteurs soulignent que les documents qui leur ont été remis par la direction de l’IEP étaient « incomplets ». Certaines maquettes de master leur sont arrivées en catastrophe le 17 novembre 2014, « veille de la remise du rapport final », comme celles du partenariat avec l’École nationale supérieure des sapeurs-pompiers ou encore l’École des officiers de la gendarmerie de Melun. Cette dernière semble d’ailleurs particulièrement éloignée de la maquette d’origine du diplôme, puisque seules 122 heures sur 669 sont consacrées au management de l’information stratégique, les autres étant dédiées à la « formation professionnelle », au « stage et pratiques professionnelles », à l’« éducation physique et sportive », ainsi qu’à l’« anglais ».

Combien d’incongruités ont ainsi été cachées aux auditeurs ? Ils n’ont par exemple pas eu accès aux conventions de partenariat signées avant 2012. Surtout, ils n’ont pas eu le temps d’aborder « toute la partie financière qui pourtant nécessitait certainement d’être étudiée ». À l’IEP d’Aix-en-Provence, un petit nombre de personnes semblait en effet avoir la main haute sur les partenariats.

Cette étape semble incontournable dans la mission de Didier Laussel, l’administrateur provisoire qui vient d’être nommé par le ministère de l’enseignement supérieur pour succéder à Christian Duval. Ce professeur agrégé d’économie est par ailleurs conseiller spécial d’Yvon Berland, le président d’Aix-Marseille université. Yvon Berland, qui siège au conseil d’administration de l’IEP, entend désormais obtenir plus de garanties avant de délivrer de nouveaux masters. « Nous avons repris l’ensemble des dossiers : il n’y a jamais eu de conventions présentées au vote en conseil d’administration, mais seulement des projets de convention. Puis en juillet 2013, Christian Duval a obtenu une délégation pour les conclure sans passer par le CA. Rien n’est arrivé dans les instances d’Aix-Marseille université. »

Au besoin, il envisage même une rupture de la convention qui autorise Sciences-Po Aix à délivrer au nom d’AMU des masters. Yvon Berland n’écarte pas non plus l’hypothèse d’une éventuelle suite judiciaire aux découvertes de son service d’audit : « Les services juridiques d’AMU examinent cela au microscope. » À défaut de l'avoir fait plus tôt.

Mediapart a mené cette enquête en partenariat avec le site d'information marseillais Marsactu.

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