François Hollande n’a pas lésiné sur les adjectifs dans son discours inaugural de la conférence environnementale, jeudi 27 novembre : « La France veut être exemplaire » de la transition écologique. Après avoir symbolisé la patrie des droits de l’homme, elle veut s’imposer comme celle des « droits de l’environnement », a-t-il dit. À un an de la conférence Paris Climat 2015, « on ne peut pas convaincre si nous n’avons pas nous-mêmes engagé des actes forts ».
Il y a pourtant un angle mort de la politique énergétique française, depuis son élection en mai 2012 : les énergies renouvelables. Quelques mesures ont bien été prises depuis deux ans, essentiellement de déblocage, mais elles sont ténues, éparses et discrètes. Rarement mises en valeur, peu portées politiquement.
Officiellement, la France compte 13,4 % d’énergies renouvelables (16,6 % de son électricité). Mais une fois que l’on ôte les barrages hydrauliques, construits depuis des lustres, il ne reste que des poussières de mégawattheures verts : les éoliennes ne produisent que 3 % de notre courant électrique, le photovoltaïque et la biomasse… 1 % chacun (0,8 % pour le solaire en métropole). Misère.
Même lorsqu’on prend en compte les barrages, le compte n’y est pas. La loi fixe un objectif de 23 % d’énergies renouvelables en 2020 et de 27 % en 2030. Mais le premier cap ne sera pas franchi à temps. Pour l’éolien terrestre, l’objectif national est d’atteindre 19 gigawatts (GW) installés en 2020. Or en juin 2014, on n’en comptait que 8,5. « Il faudrait 1,7 GW de plus à la fin de l’année, alors qu’on sera vraisemblablement autour de 900 mégawatts (MW) », analyse Sonia Lioret, déléguée générale de France Énergie éolienne (Fée), association professionnelle du secteur.
Le photovoltaïque accuse lui aussi du retard : fin juin 2014, la puissance totale raccordée en France a franchi le cap des 5 GW, alors que les objectifs cumulés des Schémas régionaux climat air énergie (SRCAE) dépassent les 15,5 GW pour 2020. Il faudrait tripler d'ici cinq ans la puissance installée, alors que le rythme annuel de développement en 2014 est très inférieur. La commission de régulation de l’énergie (CRE) ne prévoit que 8 GW en 2020. Pour l’éolien terrestre, elle ne s’attend qu’à 15 GW en 2020 (au lieu des 19 prévus), 2 GW d’éolien offshore au lieu de 6 et 500 MW de biogaz au lieu de 625 MW. Le ministère de l’écologie vient de lancer un nouvel appel d’offres pour 1 GW supplémentaire d’éolien en mer.
La France est économiquement en retrait sur les renouvelables, a récemment pointé le consultant Yves Marignac : elle pèse 15,7 % du PIB européen, mais seulement 5,6 % du chiffre d’affaires européen de l’éolien et 7,9 % du photovoltaïque, selon ses estimations. Aucun groupe français ne figure dans les 10 premiers fabricants mondiaux d’éoliennes, ni dans les 15 premiers en photovoltaïque.
Pourtant, dans le reste du monde, les énergies renouvelables se développent à un rythme effréné : en 2013, pour la première fois, les nouvelles capacités installées des renouvelables ont dépassé toutes les autres énergies (nucléaire, charbon, gaz, et pétrole) pour la production d’électricité dans le monde, et de loin : 58 % contre 42 %. En 2012, pour la première fois, le Japon, la Chine et l’Allemagne ont produit plus d’électricité par les « nouvelles renouvelables » (hors grands barrages) que par l’atome. En Espagne, pays nucléaire pourtant, l’éolien est devenu la première source d’électricité.
C’est sur le photovoltaïque que l’échec français est le plus patent. Les lecteurs du livre de Jeremy Rifkin, La Nouvelle Société du coût marginal zéro, y ont découvert une Amérique couvrant les toits de ses maisons et de ses parkings de panneaux solaires. Dans l’Hexagone, on continue de ne voir que briques et ardoises. C’est que dans notre système actuel, rien n’incite à passer ce cap. S’inspirant de l’Allemagne, la France a instauré un système de tarif d’achat : EDF est obligé d’acheter le courant produit par les installations photovoltaïques à un prix fixé pour 20 ans, qui varie en fonction de la taille des installations, mais est supérieur au prix du courant nucléaire. C’est une forme d’aide, financée par les consommateurs par le biais de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Mal calibré à cause de tarifs trop élevés et indexés sur l’inflation, ce système a généré une bulle spéculative, dopée par les crédits d’impôts du Grenelle de l’environnement au début du quinquennat Sarkozy.
« Les tarifs d'achat du photovoltaïque ont été fixés en 2006 à des niveaux trop élevés, bien au-delà de ce qui était nécessaire pour assurer le développement voulu », explique le CLER, association regroupant des professionnels du secteur. « En quelques années à peine, les extraordinaires progrès de l’industrie ont fortement fait baisser les prix des équipements, entraînant un découplage complet entre le coût de plus en plus bas des installations et le niveau du tarif d’achat, toujours plus élevé. » Conséquences : un surcoût pour la collectivité. Les contrats de photovoltaïques représentent 5 milliards d’euros cumulés depuis la création de la CSPE, essentiellement entre 2008 et 2011, a calculé le CLER. Entre 2014 et 2025, 24 milliards d’euros y seront consacrés pour des contrats signés avant 2013.
En 2010, un moratoire suivi d’une baisse drastique des tarifs a tout gelé, portant un coup d’arrêt à l’essor de la filière, dont elle peine encore à se remettre aujourd’hui. Tous les fabricants de modules ont mis la clef sous la porte. Photowatt, en faillite, est devenu une simple marque d’EDF, au devenir incertain. Les installateurs ont été obligés de se diversifier sur d’autres activités. Le français Exosun, l’un des leaders mondiaux des trackers (panneaux modifiant leur orientation en fonction de la position du soleil) se concentre sur l’international. « Il n’existe plus de filière. C’est une érosion lente et sûre. Il n’y a plus de chiffre d’affaires en photovoltaïque », se désole Marc Jedliczka d’Hespul, association de développement du solaire. Près de 15 000 emplois ont disparu en trois ans. « L’équivalent de cinq PSA-Aulnay », calcule Raphaël Claustre du CLER.
Après deux ans de chute, les nouveaux raccordements d'installations photovoltaïques ont connu un rebond au premier semestre 2014. Ségolène Royal vient d’annoncer l'attribution de 217 projets par le biais d’appels d’offres, en dehors du système du tarif d’achat. Mais ils ne représentent qu’un faible volume total (41 MW), insuffisant pour relancer la filière.
Horriblement complexes (cinq tarifs d’achat différents cohabitent avec des appels d’offres), le système français comporte par ailleurs de véritables chausse-trapes réglementaires qui achèvent de plomber le secteur. Par exemple, les particuliers doivent intégrer leurs modules photovoltaïque « au bâti », c’est-à-dire au toit de leur logement, pour bénéficier du tarif d’achat. Mais cette contrainte entraîne des problèmes techniques et engendre des surcoûts, d’environ 30 % selon Raphaël Claustre du CLER. Résultat : installer des modules coûte plus cher en France qu’en Allemagne, et crée une vulnérabilité technique.
Autre handicap : le coût de raccordement au réseau électrique, monopole d’ERDF, la filiale d’EDF. « C’est une boîte noire, décrit Marc Jedliczka. ERDF fait les tarifs et les applique. On ne peut pas en discuter. » Jusqu’en 2010, les producteurs d’électricité bénéficiaient d’une remise de 40 %. Elle a été supprimée lors du moratoire, ce qui renchérit d’autant leurs factures. Et crée une discrimination entre producteurs et consommateurs, pourtant interdites par les règlements européens. Mais ce n’est pas tout : l’autre filiale d’EDF, RTE, présente une autre « douloureuse » aux producteurs de renouvelables, qui correspond à l’impact de leur puissance installée sur le réseau de transports à haute tension. Mais là aussi, tout est opaque : en fonction des régions, la facture peut aller de 0 à 40 000 euros par MW installé, décrit Hespul. Côté éolien, les délais de raccordement varient d’une région à l’autre et peuvent prendre quelques années. Jusqu’à cinq ans, selon un cas « extrême » recensé par France énergie éolienne (Fée), qui regroupe des entreprises du secteur. Face à RTE et ERDF, il n’existe aucun contre-pouvoir.
La situation de la filière éolienne s’est pourtant « améliorée depuis deux ans », estime Sonia Lioret, déléguée générale de la Fée. Mais « c’était catastrophique, on buvait la tasse ». À la suite d’un recours contre le tarif d’achat éolien par une fédération d’opposants, Vent de colère, plus aucune banque ne voulait financer les projets. Le litige est toujours en cours devant la Cour de justice européenne, mais le gouvernement s’est porté garant du tarif, levant l’incertitude financière. Pour un temps car, paradoxalement, la loi de transition énergétique crée de nouveau une inquiétude sur le tarif d’achat, en ouvrant la possibilité de création d’un système de marché couplé à l’octroi de primes pour les nouvelles installations, en application d’une guideline européenne, que la France semble vouloir appliquer avec zèle.
Un an plus tôt, la loi Brottes de 2013 avait fait sauter deux freins réglementaires (le régime contraignant des zones de développement de l’éolien, et l’obligation d’au moins cinq mâts par champ). Des avancées concrètes qui ont répondu à une partie des attentes des entreprises de la filière, représentées par le syndicat des énergies renouvelables (SER). Mais les projets éoliens mettent toujours six à huit ans à se développer. Sur le terrain, ils s’opposent souvent à l’armée, qui réserve d’importantes portions du territoire à ses radars (de même que Méteo France).
Le principal problème est systémique : c’est l’absence de véritable marché pour les acteurs des renouvelables, décrypte Sonia Lioret de la Fée. « Tout se fait en contrat, au gré à gré. 80 % du volume de l’électricité consommée aujourd’hui en France n’est pas vendu sur le marché de gros. Les petits acteurs n’ont aucune marge de manœuvre. » Le système reste pensé par et pour le nucléaire : centralisé, rigide, figé par le monopole de la distribution et du transport de l'électricité et l'omnipotence d'EDF. Propriétaires de leurs réseaux de distribution d'énergies, l'immense majorité des collectivités locales préfèrent en concéder la gestion à EDF qui continue ainsi à contrôler tous les échelons de l'édifice électrique.
Cette situation est aussi très favorable aux fossiles. C’est un paradoxe éclairé par le dernier rapport de la CRE : la CSPE, l’outil principal de financement des renouvelables, a en réalité historiquement surtout profité aux énergies fossiles. Parmi les 30 milliards d’euros financés par la CSPE depuis son apparition, les deux tiers ont servi à financer charbon, fioul et gaz (en particulier via la péréquation tarifaire et l’obligation d’achat cogénération). L’éolien ne touche que 10 % de la CSPE chaque année, soit 4 euros par ménage et par an, selon Sonia Lioret.
Dans les DOM et sur les îles, la situation est caricaturale : le système de péréquation finance les fossiles en masse. Sur les douze dernières années, son coût cumulé atteint 10,8 milliards d’euros, dont seulement 7 % pour les renouvelables, relève le CLER. Jusqu’en 2025, il montera à 26 milliards dont seulement 19 % serviront aux énergies vertes. Le premier bénéficiaire de cette manne est EDF SEI, la filiale d’EDF en Corse et en Outremer. Cette politique de soutien a conduit à une explosion de la production et des recettes pour les énergies fossiles, note encore le CLER. Sur l’île de Sein, dont 100 % de l’électricité sont fournis par du fioul, une énergie fossile très émettrice de gaz à effet de serre, un projet d’éolien participatif bataille contre le monopole d’EDF. Les niches fiscales profitant aux énergies fossiles dépassent 33 milliards d’euros en France, selon les calculs du spécialiste en fiscalité Guillaume Sainteny.
L’enjeu de la CSPE est ainsi central dans la compréhension des blocages systémiques à l’essor des renouvelables : elles ne pâtissent pas d’un manque d’argent. Des dizaines de milliards d’euros sont programmés d’ici 2030. Mais cette manne est mal utilisée, en partie captée au service du statu quo énergétique alors qu’elle devrait initier la transition vers un modèle organisé autour de la réduction de la demande et des gaz à effet de serre.
Les rejets de CO2 bénéficient d’une subvention cachée : l’absence de fiscalité écologique. Elle permet aux industries et comportements polluants de bénéficier de la gratuité des dommages quasi irréversibles qu’ils causent à l’atmosphère. Dans ces conditions, les énergies fossiles livrent une concurrence déloyale aux renouvelables, qui ont besoin que la tonne de dioxyde de carbone coûte cher pour consacrer leur rentabilité. Les énergies vertes ont besoin du respect du principe pollueur-payeur pour prospérer. La contribution climat énergie, introduite en 2013 dans la loi de finances, est bien trop maigre pour avoir le moindre effet. Elle devient même parfaitement invisible alors que les cours du pétrole s’effondrent. Face à l’enjeu capital de la mise en place d’une offre énergétique renouvelable, c’est la plus grande défaillance de l’actuel exécutif.
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