De notre envoyé spécial à Marseille
Regain de forme, mais sans gain de fond. Lors de la première journée de ses journées d’été, les cadres et dirigeants d’Europe écologie-Les Verts (EELV) n’ont pas boudé leur plaisir. Deux jours avant l’ouverture des « JDE », sur le campus de l’université Saint-Charles, les ministres Cécile Duflot et Pascal Canfin ont gagné leur bras-de-fer avec Manuel Valls, à propos de sa remise en cause du regroupement familial par le ministre de l’intérieur. Une sortie qu'ils ont publiquement dénoncé, avant que le président de la République n’arbitre en leur faveur, ce mardi. Une nouvelle démonstration, à leurs yeux, de l’intérêt de leur participation gouvernementale exigeante, après l’enlisement du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, ou encore la rédaction d’un texte commun avec le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, très proche du président. Place désormais à de nouvelles victoires, espèrent-ils.
Au cours de la réunion plénière ce mercredi soir, le ministre de l’écologie Philippe Martin est à son tour arrivé avec de nouvelles concessions élyséenne en faveur de ses partenaires. Outre la promesse d’une « contribution énergie climat » (autrement nommée taxe carbone), dont les contours seront à négocier dans les prochains mois, Martin a annoncé le maintien des crédits de l’Ademe, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, qui devrait être logiquement la maîtresse d’œuvre d’une transition énergétique en cours d’imagination. Un budget initialement revu à la baisse de 80 millions d’euros, et l’une des causes du récent départ de Delphine Batho, prédécesseure de Philippe Martin.
Pour enrober ses annonces surprises, le ministre avait préparé son effet. D’abord, il a annoncé dans un entretien au Nouvel Observateur une future prudence gouvernementale sur le calendrier de fermeture des centrales nucléaires. Mais il y assure aussi que « la fermeture de la centrale de Fessenheim doit être actée d’ici à fin 2016 ». Ce mercredi, en plein air et devant une forte assistance écolos (environ un millier de personne), heureusement à l’ombre du soleil de plomb marseillais, Martin a enfin conquis l’applaudimètre avec ses annonces. « Ce n’est pas Mediapart qui va me reprocher de feuilletonner », souriait-il avant son intervention à la tribune, pas mécontent de son effet. Habile, il a prononcé un discours fidèle à sa sensibilité écologiste de membre du club de la gauche durable, et d’ancien négociateur de l’accord électoral PS/EELV, promettant que « le politique devait reprendre la main sur l’énergie ». Martin a réjoui plusieurs dirigeants écologistes, comme de nombreux militants venus le féliciter à la fin. « C’est mon rôle de me battre à l’intérieur du gouvernement pour obtenir des avancées », dit-il après la réunion plénière.
Auparavant, Christiane Taubira a elle-aussi éclairé les visages écolos de l’asssistance, son vibrant plaidoyer envers le retour de la raison après le règne du « bon sens » sarkozyen, a recuilli de nombreuses ovations. Bien qu’elle s’en défende, difficile de ne pas voir dans certaines de ses tirades une allusion au débat qui l’a opposé à Manuel Valls, sur la réforme de la justice. « L’opinion publique a été désorientée pendant dix ans de droite par le pseudo-bon sens, a-t-elle ainsi conclu en citant le poète antillais Aimé Césaire. Si nous cédons à la tentation du bon sens, aux discours martiaux, à la grande menace, alors “la France aura tiré sur elle-même les draps des plus sombres ténèbres” ».
Mais au final, si EELV a arraché un hola à la surenchère de Manuel Valls dans sa promotion de l’ordre républicain, si ses ministres jurent qu’il y a « une atmosphère bien plus favorable » sur les questions environnementales qu’au début de l’été, le bilan reste maigre. Leurs victoires se résument à la garantie que les socialistes ne toucheront pas à la politique migratoire de regroupement familial. Mais au final, la bataille du récépissé de contrôle d’identité reste enfouie dans les placards de la place Beauvau. Ils obtiennent aussi la réalisation d’une promesse de campagne de François Hollande, la taxe carbone, et le maintien d’un budget, qui n’augmente pas.
Une « offensive défensive », en somme, qui risque de voir EELV muter en un lobby mi-environnemental mi-garde-fou sociétal, dans un gouvernement qui resterait social-libéral.
La réaction des socialistes en disait d’ailleurs long. « C’était du point de croix de grande qualité », glisse, malicieux, Christophe Borgel, expert en haute-couture stratégico-politique. Le député et secrétaire national du PS aux relations extérieures savoure la réussite de cet « exercice millimétré pour convaincre EELV de rester durablement au gouvernement ». Le patron des sénateurs écolos Jean-Vincent Placé, qui revendique avoir réclamé auprès de François Hollande le maintien du budget de l’Ademe, a lui aussi apprécié. D'un sourire, il ponctue : « C'était propre ». Plus tôt ans la journée, le même confiait : « C'est en gueulant qu'on se fait le mieux entendre. On fait de la politique, pas de la vie associative ».
Le ministre du développement, Pascal Canfin, martèle lui de son côté « l’utilité » de la présence écologique dans la majorité, citant notamment « la bataille contre l’optimisation fiscale ». Selon l’ancien eurodéputé EELV, « contrairement à la droite sous Sarkozy, sous la gauche, il ne peut y avoir d’abandon des promesses écologiques. Ce n’est pas le départ de Delphine Batho qui aurait créé une crise, mais celui des ministres écolos ».
Plus nuancée, Cécile Duflot s’est dite « lucide et fière » : « Ne soyons pas timides, mais ne soyons pas naïfs », a ajouté la ministre du logement au micro, estimant que « certaines alertes » vis-à-vis de la politique gouvernementale étaient « justifiées ». Car même efficacement dissipée, le sentiment de méfiance plane encore au-dessus de certains écologistes, vis-à-vis du partenaire socialiste. « On n'attend pas que le PS nous montre de la verroterie, dit l’eurodéputé Yannick Jadot, proche de Daniel Cohn-Bendit. On fait confiance à Philippe Martin, mais on sait aussi que les discours sur l’écologie sont souvent parmi les plus enthousiasmants, mais sont rarement suivis d’effet. Il a dit qu’il serait jugé sur ses actes, on est d’accord ».
Comme souvent, le secrétaire national du mouvement, Pascal Durand, a lui soufflé le chaud et le froid. Concluant une soirée qu’il a animé en la parsemant d’hommages multiples aux orateurs se succédant, le secrétaire national du parti écolo a tenu à interpeller le ministre PS : « Si on ferme la centrale de Fessenheim mais qu’on ouvre l’EPR de Flamanville, nous n’avons rien gagné. Le passage de 75% à 50% de la part de nucléaire en 2025 ne se finance pas en 2024, mais dès maintenant. Je t’en supplie, Philippe, ne nous faites pas le coup du Grenelle de l’environnement ! »
Présent à l'extrême droite du premier rang, la délégation du Front de gauche a peu goûté un spectacle (hormis le discours de Cécile Duflot et la conclusion de Pascal Durand) auquel elle n’était conviée qu’en spectatrice. Présent à ses côtés, Jérôme Gleizes, responsable de l’aile gauche d’EELV, s’inquiète lui de n’avoir assisté qu’à des « revendications strictement environnementales ». « On est à Marseille, il y a des pauvres, des chômeurs, des quartiers abandonnés, des morts par règlement de compte, et nous on parle de la taxation sur le diesel… C’est complètement décalé… »
Peut-être est-ce aussi un effet de la droitisation de la société, que n’en finissent pas de théoriser, non sans arguments, les socialistes au pouvoir : désormais, les écologistes se réjouissent de non-défaites dans les arbitrages gouvernementaux.
Mieux vaut un verre vidé à moitié qu’un verre que l’on aurait même plus l’opportunité de pouvoir remplir.
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