Ils disent vouloir la coexistence de deux États mais ne s'entendent pas sur les modalités. Alors que les députés voteront le projet de résolution socialiste sur une reconnaissance de l’État palestinien le mardi 2 décembre à l'Assemblée (un autre projet sera examiné le 9 décembre au Sénat), la division des parlementaires paraît insurmontable. Le débat qui s'est tenu vendredi a mis en lumière les habituelles dissensions des deux côtés de l'hémicycle. À droite, les députés estiment que la reconnaissance d'un État palestinien ne peut se faire qu'à partir du moment où des accords de paix sont trouvés entre Israéliens et Palestiniens. À gauche, ils pensent qu'il faut au préalable un geste de reconnaissance de la Palestine pour encourager une reprise des négociations.
Le texte débattu a de fortes chances d'être adopté mardi prochain. Seule une dizaine de parlementaires socialistes n'ont pas signé le projet de résolution de Bruno Le Roux et, selon le député Axel Poniatowski (UMP), une vingtaine de députés UMP soutiendraient l'initiative des socialistes. Communistes et écologistes voteront eux en faveur du texte.
Après le Parlement britannique et l'Irlande début octobre, la déclaration de la Suède – premier pays membre de l'Union européenne à reconnaître l’État palestinien dans ses frontières de 1967 – et dernièrement le vote du congrès espagnol, la France devrait être le quatrième pays européen à reconnaître l’État palestinien par la voix de son parlement. Si le vote n'est que symbolique (une telle reconnaissance demeure du domaine exclusif de l'exécutif), il n'en constituerait pas moins une pierre supplémentaire dans le lent édifice de reconnaissance d'un État avec pour capitale Jérusalem Ouest.
En Israël, le premier ministre Benyamin Netanyahou a fait savoir dimanche 23 novembre que « la reconnaissance d'un État palestinien par la France serait une grave erreur ». Au même moment, son gouvernement approuvait un projet de loi visant à définir Israël comme « l’État national du peuple juif » et non plus comme un État « juif et démocratique », entérinant une distinction des citoyens sur la base de leur religion. Le chef de l'autorité palestinienne Mahmoud Abbas ne s'est pas prononcé sur le sujet.
« Nous sommes attendus bien au-delà de nos frontières », a lancé au début de son discours le président du groupe socialiste, Bruno Le Roux, face à une petite cinquantaine de parlementaires présents vendredi. « La résolution n'a d'autre but que de concourir à la paix au Proche-Orient », a-t-il affirmé avant d'inviter l'Assemblée à dépasser les clivages partisans en votant le texte mardi prochain. « Quid du Sahara occidental, de l'Abkhazie ou du Haut Karabagh ? », lui a rétorqué le député de Paris Pierre Lellouche (UMP).
Premier désaccord : pour une majorité de députés UMP, les socialistes empiètent « dans ce que l'on appelait jadis le domaine réservé du président de la République » en « invitant » le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine. « La reconnaissance d’un État est une prérogative de l’exécutif, mais la situation elle-même est exceptionnelle », a tranché Laurent Fabius, précisant qu'il n'y avait là pas d'injonction et appuyant la résolution.
Le deuxième désaccord concerne le moment choisi pour adopter une telle résolution. Les récents attentats en Israël et les nouvelles tensions sur l'esplanade des mosquées, lieu saint pour les juifs et les musulmans, laissent présager du pire. « Beaucoup pensent qu'une troisième intifada est en germe », pense Bruno Le Roux. « Vous ne tromperez personne, a lancé l'UMP Claude Goasguen à destination du banc socialiste. C’est un débat strictement politicien interne, une course de vitesse pour déposer une résolution. » « J’entends dire que cette proposition de résolution serait inopportune car prématurée, a avancé Élisabeth Guigou, présidente socialiste de la commission des affaires étrangères. Je crois au contraire que pour celles et ceux qui pleurent les victimes de ce conflit, elle vient trop tard. Face à l’échec du processus de paix, l’indifférence est coupable et l’inaction meurtrière », a-t-elle ajouté, applaudie vivement par la gauche de l'hémicycle.
À droite, plusieurs députés ont invoqué leur crainte de l'importation du conflit en France, à l'instar de Meyer Habib, député des Français établis hors de France (et dont la circonscription inclut Israël). « Dois-je rappeler qu’on a crié mort aux juifs dans les manifestations dans les banlieues cet été », s'est-il écrié avant d'accuser les socialistes d'avoir cédé aux coups de boutoir de la « gauche radicale et antisioniste ». Copieusement hué par les parlementaires, il n'a trouvé de relais qu'à travers les propos du frontiste Gilbert Collard : « À voir vos réactions, pendant que notre collègue prenait la parole, on peut difficilement ne pas croire que cette résolution va créer de graves tensions. »
« Aujourd’hui, la France a rendez-vous avec son destin », a clamé le député du Front de gauche François Asensi. « Nous avons la responsabilité de réparer une injustice vieille de plus de 60 ans et de reconnaître enfin au peuple palestinien le droit inaliénable qui est le sien : celui de disposer de son propre État. »
Le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius a conclu le débat en rappelant la position de la France depuis quarante ans, c'est-à-dire en faveur de la coexistence de « deux États souverains et démocratiques, sur la base des lignes de 1967 et avec Jérusalem pour capitale ». Il a également rappelé le contexte international des « négociations à l'arrêt » menées par John Kerry. Il a cependant affirmé ne pas vouloir d'une « reconnaissance en trompe-l’œil suivie d’aucun effet complet ». « Nous devons fixer un calendrier », a-t-il annoncé avant de plaider pour l'organisation d'une conférence internationale.
François Hollande l'avait mentionné jeudi, Paris est prêt à accueillir une conférence internationale et se donne deux ans pour aboutir à une « solution négociée ». « La France reconnaîtra la Palestine, ce n’est pas une faveur, pas un passe-droit c’est un droit », rappelle avec véhémence le ministre des affaires étrangères. À défaut d'une telle solution dans les deux ans, jure-t-il, le pays « devra prendre ses responsabilités en reconnaissant sans délai l’État de Palestine ».
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