L’amitié de Kader Arif devient de plus en plus encombrante pour François Hollande. Les sociétés d’événementiel pilotées par le frère et les neveux du secrétaire d’État démissionnaire ne se sont pas contentées de contrats juteux avec le conseil régional de Midi-Pyrénées et le ministère de la défense, visés par une enquête préliminaire sur des soupçons de favoritisme (lire notre article). D’après des informations recueillies par Mediapart, AWF Music, la première d’entre elles, a aussi encaissé plus de 700 000 euros du candidat Hollande pendant la primaire socialiste de 2011 et la présidentielle de 2012.
Cette entreprise spécialisée dans l’image et le son créée par Aissa Arif (le frère de Kader) aurait même dû gagner davantage pendant la campagne. Initialement, elle s’était vu confier l’ensemble des « petits » meetings de François Hollande. Mais à un mois du premier tour, en mars 2012, l’équipe du candidat l’a remerciée en catastrophe, après une trentaine de prestations marquées par une coupure d’électricité intempestive ou l’effondrement d’un pupitre, d'une qualité jugée insuffisante (comme le site Atlantico l'a déjà évoqué).
D'après nos informations, ce divorce à l’amiable a donné lieu à un drôle d’arrangement de coulisse. Questionnés par Mediapart, plusieurs responsables de la campagne confient que les deux parties sont tombées d’accord sur le versement d’un « dédommagement » à AWF Music, réglé non par le candidat, mais par le parti socialiste « après l'élection » de François Hollande. Le député Régis Juanico, trésorier du PS à l’époque, confirme avoir décaissé 85 000 euros à ce titre.
Estimant que ces frais de rupture exceptionnels ne constituaient pas une « dépense à caractère électoral », l’équipe du candidat ne les a pas déclarés dans le compte de campagne. Interrogée par Mediapart sur ce choix, la commission nationale des financements politiques (CNCCFP) a confirmé jeudi sa régularité.
À ce stade, il s’avère difficile de savoir quand exactement l’accord a été scellé, et surtout qui a joué l’arbitre. Ce halo de mystère est entretenu par l’avocat de la société d’événementiel, Me Patrick Roumagnac, qui refuse de confirmer la transaction, comme de la démentir.
En quelques mois de campagne présidentielle, AWF Music a en tout cas multiplié les prestations en faveur de François Hollande pour un montant global d’environ 550 000 euros (sur 21,7 millions d’euros de dépenses, dont 10,7 remboursées par l’État). Au menu : une série de petits meetings à Mérignac (20 332 euros), Caen (20 331 euros), Toulon (20 327 euros) ou Créteil (20 296 euros), la fabrication d’un « fond de scène » (19 734 euros) ou encore l’installation d’une « connexion internet » à Strasbourg (5 738 euros).
À vrai dire, la société d’Aissa Arif s’était mise au service de François Hollande dès 2011, lors de la primaire interne au parti socialiste. Entre juillet et octobre 2011, au moins dix factures ont ainsi été réglées par le micro-parti personnel du candidat, baptisé Répondre à gauche, pour un montant total de quelque 160 000 euros – seule une petite partie a ensuite été intégrée au compte de campagne de la présidentielle.
Alors, comment la société a-t-elle décroché le gros lot et doublé ses concurrents ? Dans quelle mesure la proximité entre Kader Arif, grognard de la “hollandie”, et le candidat a-t-elle joué ? « Il ne peut pas y avoir de favoritisme au sens pénal du terme puisqu’un candidat est absolument libre de choisir ses prestataires, rappelle un ancien responsable de la campagne. Mais il n’est pas impossible que Kader ait un peu forcé le passage. »
« Je vous confirme que Kader Arif connaissait Aissa Arif, ironise de son côté l’avocat d'AWF Music, Me Roumagnac, interrogé sur l'influence de l'ancien secrétaire d'État. Mais au-delà de son frère, je pense qu’Aissa lui-même connaissait déjà tout l’entourage de François Hollande quand il n’était qu’à 3 % dans les sondages ! »
Au moins une énigme persiste : après des mois de “test” au cours de la primaire, on comprend mal pourquoi l’équipe de François Hollande a reconduit la collaboration avec AWF Music pour la présidentielle de 2012, si les prestations n’étaient pas dignes du candidat...
« Ils travaillaient pour pas cher, le rapport qualité-prix nous a intéressés, répond le grand argentier de la campagne présidentielle de François Hollande, Jean-Jacques Augier (président de l’association de financement). Nous voulions travailler à l’économie et ça nous permettait de financer un plus grand nombre de meetings. Mais il y a effectivement eu quelques petits incidents. » On ne peut pas dire que la société ait joui, ces dernières années, d'une excellente réputation dans le milieu.
La société d’Aissa Arif a d’abord travaillé pour le producteur télé Endemol. Créée en 2003, AWF Music était surtout spécialisée dans la télé-réalité : « Star Academy », « Secret Story », « La ferme célébrités », etc. En 2007, la petite entreprise affichait un chiffre d'affaires minime de 71 000 euros. Celui-ci s'est ensuite envolé, prospérant sur la commande publique, au point qu’en mai 2014, il atteignait 888 000 euros par an.
C'est qu’AWF Music (ou sa déclinaison, créée en juillet 2013 sous le nom AWF), installée à Verfeil en Haute-Garonne, a accumulé les contrats en Midi-Pyrénées. Elle a par exemple organisé le grand meeting du PS aux municipales de Toulouse, en 2008 comme en 2014. « Ils sont très pros. Par rapport à leurs concurrents, ils ont cet avantage d'être très modulables et de pouvoir faire ce qu'on leur demande », justifie François Briançon, ex-directeur de campagne du candidat PS à Toulouse, Pierre Cohen.
Ces dernières années, AWF Music a surtout été le prestataire quasi exclusif pour les événements du conseil régional Midi-Pyrénées, dirigé par le socialiste Martin Malvy. Vœux annuels, grand prix de l'apprentissage, prix Claude-Nougaro, stands de la région au salon de l'agriculture, Trophée des sports, etc. : AWF Music est depuis 2008 le grand organisateur des raouts institutionnels de la région, à laquelle elle fournit fonds de scènes, projecteurs, sonorisation, pupitres, machinistes, etc. Au total, celle-ci a versé depuis six ans plus de 2 millions d'euros pour l'organisation de 240 événements. Pour la communication du conseil régional, la société est devenue au fil des ans un partenaire obligé.
Le premier marché avec le conseil régional est signé en 2008. Il est d'une durée théorique de deux ans mais son plafond (179 000 euros) se trouve vite atteint. En 2009, AWF Music remporte un nouveau contrat, cette fois sans montant maximum : dans les quatre ans qui suivent, la société récoltera l'équivalent de 1,7 million euros de prestations. L'été 2013, la région passe un nouvel appel d'offres. AWF est à nouveau candidate, comme quatre autres sociétés. L'une d'elles, All Access, a pour associés les deux fils d'Aissa Arif, les neveux de Kader Arif. L'appel d'offres sera annulé de justesse pour « insuffisance de concurrence ». Pendant six mois, il n'y a plus de marché encadrant les prestations, mais AWF est resté l'organisateur unique.
Pour le conseil régional, rien de suspect dans ses contrats. « Les marchés qui lui ont été attribués l’ont été au terme d’appels d’offres qui ont fait l’objet de larges publications d’appels à la concurrence. Ils l’ont été par la commission d’appel d’offres dont la composition comprend des élus de l’opposition régionale. La transparence est totale », assure Martin Malvy. Mais, sous couvert d'anonymat, plusieurs concurrents décrivent un « marché protégé ». « Sans le dire, le conseil régional flèche les contrats vers AWF soit en fusionnant les lots, soit en spécifiant dans l'appel d'offres des équipements dont seul AWF dispose », dénonce l'un d'eux. « J'ai arrêté de répondre aux appels d'offres de la région, dit un autre. Ça ne sert à rien de passer des jours à ça pour se casser les dents. »
« Si je ne m’inscris pas au marathon, je suis sûr, moi aussi, de ne pas gagner, réplique l’avocat de l’entreprise, Me Roumagnac. Mon client est très serein. Il n’y a pas eu d’intervention de Kader Arif auprès de la région. »
Plusieurs concurrents insistent cependant sur la présence à la direction de la communication du conseil régional d'Ali Arif, l'autre frère de l'ancien secrétaire d'État. Est-il chargé, directement ou indirectement, des contrats AWF ? « Agent de catégorie C, il ne s’occupe pas de procédures administratives », nous répond le conseil régional. Un professionnel du secteur assure pourtant qu'il a vu Ali Arif gérer lui-même certains événements. « Il a pu être dans ce rôle de régisseur, confirme la collectivité. Mais chez nous, c'est la direction de la logistique qui s'occupe des marchés et des commandes. » Difficile quand même d'imaginer qu'un employé de la direction de la communication ne s'occupe jamais, même indirectement, de prestations organisées par le principal fournisseur de la région…
Dans cette affaire, le plus étonnant est qu'AWF Music ait été liquidée en mai 2014. Elle affiche alors un passif de 245 000 euros. Comment expliquer une si mauvaise gestion ? Les dirigeants de la société ont-ils à ce point réduit leurs tarifs qu'ils n'ont plus réussi à assurer leurs charges ?
En 2014, un nouveau contrat de 2,8 millions d'euros a été signé entre la société AWF et le conseil régional, qui n'a pas été remis en cause à ce jour. Et comme tous les ans, c'est bien AWF qui devrait organiser les vœux de Martin Malvy, début janvier 2015. Quant à la troisième entité, All Access, c'est elle qui a assuré en 2014 une séance de media training à Kader Arif, alors au gouvernement. Un contrat à 50 000 euros hors taxe (60 000 euros TTC) passé sans appel d’offres par le ministère de la défense (plus précisément le « bureau des prestations intellectuelles »). L’exécutif a suspecté un cas de favoritisme et ce contrat a coûté son poste au secrétaire d’État.
BOITE NOIREJeudi 27 novembre, en début d'après-midi, nous avons intégré la réponse de la Commission nationale des financements politiques (CNCCFP) sur le dédommagement. La question lui avait été posée la veille, en amont de l'écriture de cet article.
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