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Comment Soral gagne les têtes (2/2)

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- (Lire ici la première partie de cette enquête en deux volets.)

Alain Soral a beau s’en défendre en toute occasion, les juifs sont chez lui une obsession. Il assure ne pas viser les « juifs de tous les jours », pour reprendre ses mots, ceux qui ne font pas partie de la « communauté organisée ». C'est à cette dernière, incarnée selon lui par le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) et la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme), qu'il réserve officiellement sa vindicte. Elle qui aurait la main sur tous les leviers importants en France, et dicterait leur conduite aux responsables politiques hexagonaux.

Selon sa rhétorique, s’il est taxé d’antisémitisme, c’est d’ailleurs la faute des représentants de la communauté. Dans une vidéo datant d’il y a deux ans, à la question : « Êtes-vous antisémite ? », le fondateur d’Égalité & Réconciliation (E&R) expliquait ainsi que dans sa jeunesse, « l’antisémitisme, c’était apprécier le projet hitlérien ». Mais aujourd’hui, selon lui, se verrait accuser d’antisémitisme toute personne qui ne « se soumet pas au racialisme du judaïsme talmudo-sioniste ». Adhérent de l'association, Achille (le prénom a été changé, à sa demande), 28 ans, défend pied à pied cette position et refuse de qualifier Soral d’antisémite. Au contraire, insiste-t-il, « Soral est pour beaucoup dans le dégonflement de ce que Mélenchon a récemment appelé le “rayon paralysant” du Crif qu’est l'accusation d'antisémitisme [voir ici, ndlr]. Selon les critères actuels, à peu près tous les auteurs de l'histoire française mériteraient procès et exclusion de la connaissance du public. »

Pourtant, derrière ce discours contre la « communauté organisée », les ressorts de son discours anti-juifs sont nombreux, et visent très large. Exemple tout récent : la vidéo du 11 novembre, où il annonce, avec Dieudonné, la création de leur parti politique commun. En réponse à Eric Zemmour qui dénonce les « élites », apparaît ce montage, censé démontrer qu'en France, elles sont avant tout juives.

© Capture d'écran de la vidéo du 11 novembre, où Alain Soral et Dieudonné annoncent la création de leur parti.

Aurélien Montagner, étudiant en science politique à l’université de Bordeaux, consacre sa thèse à l’idéologie d’Alain Soral. Dans le mémoire de master 2 qu’il a déjà soutenu (à lire sous l’onglet Prolonger), il s’arrête longuement sur cet aspect du discours de Soral. Sans ambiguïté : « On dénote un antisémitisme conséquent, protéiforme car utilisant plusieurs registres, qui est central dans l’idéologie d’Alain Soral, écrit-il. Ce qui renvoie très clairement à une des principales composantes de l’extrême droite. »

Le premier ressort de cet antisémitisme se nourrit de la politique actuelle d’Israël, notamment dans les territoires occupés, et s’habille des atours de l’antisionisme. Il trouve notamment un écho dans une partie de la communauté musulmane. « Cet antijudaïsme est un tabou, mais il existe, admet Nabil Ennasri, le président du Collectif des musulmans de France (CMF), spécialiste du Qatar, et enseignant au centre Shatibi. En particulier chez les gens qui ne comprennent pas, alors même que l’on bombarde Gaza et que l’on tue des enfants, les positions de la France et des médias dominants. Pour eux, l’explication simple, qui veut que les médias soient aux ordres du Crif, fonctionne. On tombe alors dans le carburant de l’antisémitisme traditionnel, qui veut que les juifs contrôlent le monde. » 

Un mécanisme qui fonctionne certainement. La guerre et les exactions de l’armée israélienne offrent à Soral l’occasion d’étendre très loin ses dénonciations, comme le démontre sa vidéo mensuelle de septembre dernier (autour de 1 heure 03 minutes). « Nous sommes tous à terme des Palestiniens. Les Palestiniens ont été traités dans cette guerre comme ce qu’ils sont selon les juifs, c’est-à-dire comme des goys, qu’on peut tuer sans aucun problème », déclarait-il. Il souligne ensuite que « les organisations juives officielles [françaises, ndlr] ont soutenu Tsahal [l’armée israélienne] de A à Z », ce qui est exact. Mais il ne s’arrête pas là, et juge sans s'embarrasser de précautions que « s’ils sont capables de soutenir ça à Gaza, je pense qu’une guerre civile entre Français chrétiens et musulmans demain ne les gênera pas beaucoup, si c’est dans leur intérêt. (…) Je pense que ces gens-là n’en ont rien à foutre d’une guerre civile [inter]-communautaire qui fera des centaines de milliers de morts, et même de l’activer par tous les moyens ».


Argent et religion, vecteurs d'une obsession antijuive

Le second pivot de l’antisémitisme soralien, c’est le cliché qui lie les juifs à la banque, si possible mondialisée, en posant comme une évidence que le système financier mondial est tenu par les juifs. C’est ce qu’il affirmait par exemple en 2012 en présentant la réédition, par sa maison d’édition, du livre Les Juifs et la vie économique. Publié en 1911 par le sociologue allemand Werner Sombart, l'ouvrage place les juifs au cœur du développement du capitalisme, contrairement à Max Weber, pour qui son origine est liée au protestantisme.

Le travail de Sombart (dont la thèse a été reprise en bonne partie par Jacques Attali en 2002 dans Les Juifs, le monde et l’argent) permet à Soral d’affirmer : « Le capitalisme est une invention juive, ce qui fait de notre monde occidental un enfant de la pensée juive, et de la bourgeoisie capitaliste une juiverie de synthèse. Ce qui veut dire qu’il est normal que [dans] le monde bourgeois commerçant capitaliste, dans sa forme la plus accomplie, au sommet de cette hiérarchie, il y ait les juifs de Wall Street car ils sont les inventeurs de ce monde. » Pour Aurélien Montagner, cet antisémitisme économique est « fort ancien » et « plutôt issu de la gauche anticapitaliste avant d’avoir été réutilisé par l’extrême droite ».

Soral réveille aussi un antijudaïsme qui s’appuie sur l’étude des textes religieux que sont la Torah et son interprétation réalisée dans le Talmud aux IVe et Ve siècles. Il fait mine de croire que ces textes servent encore de guide aux dirigeants de la communauté juive aujourd’hui, ce qui lui permet de glisser quelques énormités dans sa vidéo de septembre, comme : « Il y a vraiment deux humanités, l’humanité juive qui sont les élus, les seuls connectés à Dieu, qui ont une âme, et puis les goyims comme nous, qui sommes en fait des animaux, dont le destin est de les servir. C’est explicitement ce qui est écrit dans la bible. » Variante, dans la même vidéo : le Talmud dicterait de dominer les non-juifs par « le vol et le mensonge ». Une ligne de conduite que BHL ou Jacques Attali, grandes têtes de Turc des soraliens, s’empresseraient d’appliquer.

Ce discours sur fond religieux est notamment destiné à accrocher les oreilles des catholiques les plus réactionnaires. Il s’orne d’ailleurs régulièrement de références au Nouveau Testament, l’orateur se réclamant souvent de la « charité chrétienne », et est parfois teinté d'un mysticisme assez fort. Ces mots résonnent aussi chez certains musulmans, soucieux de respecter les textes et les traditions. « Certains prêtent l’oreille à un fond d’antijudaïsme né d’une lecture trop simple de certains versets du Coran et des Hadiths » (les paroles de Mahomet, rapportées par ses compagnons du prophète, ndlr), détaille Ennasri. On essaie de mettre en avant à quel point cette vision est erronée. Dans la littérature prophétique, l'ennemi n’est jamais le juif en tant que tel, mais le belligérant, qu’il soit juif ou pas. » Pour Ennasri, Soral joue un rôle très important dans la « transformation du fond antijudaïque primaire en conceptualisation, en politisation ». Notamment par ses références régulières à des responsables religieux radicaux, dont les vidéos sont très suivies, tel le cheikh Imran Hosein (lire sa notice wikipedia).

Enfin, Soral promeut certaines théories révisionnistes pour mieux attaquer la Shoah, perçue comme le bouclier ultime brandi par les juifs pour s’exonérer de la domination qu’ils mettraient en place. Les théories de Robert Faurrisson sont à ce titre défendues par E&R, et présentées comme un minutieux travail d’historien, dont les recherches sont entravées par la loi Gayssot (qui définit, en 1990, comme un délit le fait de contester l’existence des crimes contre l’humanité). À titre d’exemple, dans cette vidéo, Soral développe des arguments révisionnistes classiques sur la chambre à gaz d’Auschwitz-I, qui sont bien démontés ici. Il fait aussi mine de croire que « 4,5 millions d’êtres humains » sont morts dans cette chambre à gaz, ce qui serait le « plus grand miracle de l’histoire de l’humanité ». En fait, aucun historien sérieux ne prétend que 4,5 millions de personnes ont été tuées dans une seule chambre à gaz.

Sur son site, Soral n'hésite d'ailleurs pas à poser en pyjama de déporté pour se présenter en « dissident » qu'il faut soutenir financièrement face aux procès qui l'assaillent. Prochaine audience : le 24 novembre, la cour d’appel de Paris examinera la plainte de la Licra contre la diffusion par sa maison d'édition de cinq livres s'attaquant aux juifs, et notamment deux classiques antisémites, La France juive, d’Édouard Drumont et Le Salut par les juifs de Léon Bloy. L’association tentera de faire confirmer la condamnation obtenue en première instance en novembre 2013.

Observateur de cette obsession antijuive, Pierre Tevanian, fondateur du site Les mots sont importants et corédacteur en 2004 d'un texte toujours pertinent avertissant contre les stratégie de Soral en direction des musulmans, renvoie au portrait psychologique que faisait Sartre de l’antisémite dans les premières pages de son livre Réflexions sur la question juive, en 1946. « Sartre soulignait que pour l’antisémite, finalement, la République n’est pas loin d’être exemplaire, puisque tous les maux proviendraient d’une seule et même communauté malfaisante, rappelle-t-il. C’est une manière de continuer à croire que le monde est fondamentalement bien fait et qu’il existe une cause principale à toutes ses complications. »

Cette fixation sur les juifs, et son attention portée aux populations arabo-musulmanes, est finalement la seule différence réelle qui sépare Alain Soral et Éric Zemmour aujourd’hui. Et cette convergence des idées est un signe des temps, selon Philippe Corcuff, maître de conférences en science politique à l’IEP de Lyon, auteur du livre récent Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard (éd. Textuel) : « La montée en puissance de Soral est connectée à une montée plus large en France du néoconservatisme, réactionnaire et homophobe. Sur la question des racismes, ce camp est encore divisé, mais c’est la seule », estime Corcuff.

« Nous sommes dans le contexte de la chute des grandes idéologies, dans un brouillage des repères », abonde André Déchot, animateur du groupe de travail Extrême droite de la LDH et coauteur de La Galaxie Dieudonné, avec Michel Briganti et Jean-Paul Gautier (éd. Syllepse, 2011). Il s’inquiète de voir « le complotisme gagner du terrain partout, comme le soulignait récemment un article très frappant du Monde, montrant que de nombreux lycéens croient aux "illuminatis" ou aux théories limites sur le 11-Septembre ». De ce terreau, Alain Soral joue habilement. Il multiplie par exemple les allusions complotistes (pour en lire certaines, reportez-vous à notre florilège de citations). « Il est aussi l'un des rares à proposer une compréhension globale du monde, à en expliquer presque tous les aspects dans une vision générale. C’est une des clés de sa séduction envers un public déboussolé », constate Aurélien Montagner, le thésard qui analyse son discours. 


Faillite de la gauche

Mais l’homme qui fait le pont entre la gauche et l’extrême droite n’aurait aucun espace s’il ne prospérait pas sur le vide politique prévalant dans les terrains où il s’implante. « Comme Dieudonné, Soral est une conséquence. Ils ne pouvaient pas ne pas arriver : ils sont les produits de la social-démocratie et en même temps l'expression de sa faillite, estime Houria Bouteldja, porte-parole du parti des Indigènes de la République. Ils représentent aussi la défaite de la gauche de la gauche, un échec à faire les bons diagnostics et proposer de vraies solutions, tant aux classes populaires blanches qu'aux descendants d'immigrés post-coloniaux. »

Dieudonné et Alain Soral, en 2009Dieudonné et Alain Soral, en 2009 © Reuters - Gonzalo Fuentes

Nabil Ennasri constate lui aussi cet échec, et s’alarme du fait que le vote FN, auquel Soral a régulièrement appelé avant de fonder son propre parti, n’est plus tabou chez les musulmans français : « On essaie de dire que ce n’est pas parce que l’on dénonce le PS et l’UMP qu’on peut donner un blanc-seing au FN, qui propose un programme encore pire. Cette stratégie du pire fonctionne dans une communauté qui est depuis des années stigmatisée et se trouve dans une spirale de la frustration, de la rancœur et de la colère. Soral a compris cela, et il essaie de l’utiliser à son avantage. »

Le parti des Indigènes de la République doit lui-même faire face à ce constat : alors qu’il s’adresse en partie au même public que Soral, son discours porte beaucoup moins. Pourquoi ? « Parce que nous sommes complexes, et lui simpliste, juge Houria Bouteldja. Parce que nous refusons tout discours démagogique et qu’il s’en nourrit. Parce que nous ne sommes pas intégrationnistes et qu'il l'est dans sa version la plus radicale, parce que nous demandons aux populations post-coloniales de faire une véritable révolution dans leur façon d'appréhender notre territoire politique qui ne s'arrête pas aux frontières de l’État-nation, et que tout cela, c’est difficile à accomplir. »

Soral, lui, surfe sur la facilité. « Il joue très bien du sentiment victimaire, très présent chez certains jeunes musulmans, mais pas seulement eux : il récupère systématiquement les polémiques clivantes, qui créent des déçus, des révoltés, et sait très bien déployer des références issues de leur monde culturel », analyse Fateh Kimouche, fondateur du site Al-Kanz.

Il faut ajouter à ces séductions toute l'attractivité de la paire Soral-Dieudonné, « devenue pour une large partie de la jeunesse de banlieue la figure de la résistance face au système », souligne Ennasri. « Les deux font des vidéos et parcourent ensemble la France et les quartiers pour dire “nous sommes la véritable dissidence”, et ils tapent dans du beurre. » Ils sont aujourd'hui vus par beaucoup comme étant les seuls à oser une parole véritablement radicale.

Le meilleur exemple de la façon dont l’homme fort d’E&R et l’ex-humoriste surfent sur les sujets clivants est à chercher du côté de leur opposition au mariage pour tous. La théorie soralienne était formulée en novembre 2012 de façon saisissante : « Pour que les satanistes de notre oligarchie puissent nous dominer intégralement, il faut qu’ils détruisent tout, c’est-à-dire le peuple et la civilisation, assénait-il sans ciller. Et la légalisation du mariage homosexuel est une destruction d’une des structures de base de la civilisation. » En faisant référence au « satanisme », comme cela arrive régulièrement dans ses interventions, Soral fait du pied aux catholiques traditionalistes, acteurs classiques des oppositions aux réformes sociétales, mais aussi à une partie du public de culture musulmane, pour qui « le diable est présent quotidiennement, par exemple dans des invocations ou des prières régulières », indique Fateh Kimouche. Mais le discours touche bien plus loin.

En effet, explique le sociologue Éric Marlière, auteur de La France nous a lâchés et bon connaisseur des quartiers populaires, « dans une frange de la population où la culture ouvrière est encore forte, le virilisme, la place de l'homme dans la société, est encore un moteur important ». Cette culture, « alliée à la présence importante de la religion – l'islam mais aussi l'émergence rapide des églises évangéliques », y fait de l'opposition au mariage pour tous « un combat partagé par beaucoup ».


Le cas Farida Belghoul

Au premier rang de ces alliés de circonstance, il y a eu pendant très longtemps Farida Belghoul. Porte-parole de la marche antiraciste « Convergence » de 1984, à qui Mediapart a consacré un long portrait, elle est apparue aux côtés de Soral lors d’une conférence en juin 2013, et partage ses convictions, y compris sur le caractère « sataniste » du mariage pour tous. Dans le prolongement de cette alliance étonnante avec l’extrême droite catholique (elle a été plusieurs fois invitée sur Radio Courtoisie, ou dans une réunion organisée par des associations catholiques de droite), Belghoul est aussi devenue l’égérie des Journées de retrait de l’école (JRE), censée combattre la « théorie du genre », qui n’existe pas mais que les socialistes sont censés vouloir faire enseigner à l’école.

Farida BelghoulFarida Belghoul

Elle a même réussi à faire militer à ses côtés Ennasri, opposé au mariage pour tous et à la pseudo-« théorie du genre », malgré leurs divergences de vue sur Soral. « Si on laisse ce terrain-là à Soral, il aura un boulevard de prédication, justifie-t-il. La communauté que je côtoie est ultraconservatrice, et comme sur la question palestinienne, il a pu capter une partie de l’audience. » 

Mi-octobre, Belghoul et Soral ont finalement rompu, après la publication sur le site d'E&R d’un étrange communiqué annonçant le départ de plusieurs militants de l’association fondée par la militante des JRE. Dans la vidéo où elle acte sa rupture en s’en prenant longuement à Alain Soral, Belghoul raconte aussi (à partir de 50'30), comment leur partenariat s’est noué, notamment autour d’une détestation commune de la façon dont le PS a traité les jeunes d’origine maghrébine pendant des années. « Avant leur rupture, Farida Belghoul a été un produit d'appel de Soral, une véritable aubaine comme l’est encore Dieudonné, dit Houria Bouteldja, qui a écrit un long texte (ici et ) pour attaquer ses positions. Elle voue une haine viscérale (et justifiée) au PS depuis qu’il a récupéré le mouvement lancé par la marche de l’égalité de 1983, en créant SOS-Racisme. Elle fait porter le chapeau à l’UEJF mais à mon sens de manière caricaturale, ce qui convient parfaitement à la lecture complotiste de Soral. L'antiracisme moral et dépolitisé n'est pas réductible au rôle des sionistes. Et en même temps, elle a une très forte volonté d’intégration, me semble-t-il, d'où son rapprochement avec les milieux cathos. Elle était de ce point de vue une personnalité idéale pour Soral. »

Ce combat contre le mariage pour tous sert d’ailleurs une autre cause qui tient à cœur à Soral, et constitue une constante de ses discours depuis plus de quinze ans : la lutte contre l’affirmation de l’homosexualité, mais aussi contre le féminisme. Soral ne tolère pas qu’on remette en cause le sexisme et la position dominante de l’homme hétérosexuel dans la société. Un trait qu’on retrouve dans ses textes, empreints de virilisme et ouvertement homophobes (il lie régulièrement homosexualité et pédophilie), et souvent méprisants pour les femmes, surtout si elles se piquent de penser. Il en fera notamment la démonstration le 17 janvier 2011 lors de son apparition sur le plateau de Ce soir ou jamais face à la militante du Front de gauche Clémentine Autain. « Aucune mouvance n’est à ce point masculine, dominée par les hommes, hiérarchiquement et numériquement, juge Pierre Tevanian, pour qui le masculinisme est central dans la vision du monde de Soral. Chez les sympathisants d’Égalité & Réconciliation, qu’ils soient petits ou grands, blancs, musulmans, arabes ou noirs, ce qui fait le lien, le point commun, c’est la question de l’émancipation des femmes, toujours vécue comme un problème. »

Masculinisme, complotisme, conflit israélo-palestinien, auxquels il faut ajouter le « survivalisme », cette théorie défendue par Piero San Giorgio, ami suisse de Soral qui prévoit un effondrement imminent de la civilisation (excellemment présenté dans cet article de Gauchebdo)… Le côté auberge espagnole de l’argumentaire aurait de quoi laisser nombre de sympathisants sur le bord de la route. Comment Soral s’y prend-il pour les maintenir unis ?

En fait, tous les observateurs s’accordent pour dire que ses sympathisants n’adhèrent pas en bloc à tous les pans d’un discours particulièrement mouvant et protéiforme, et sans doute conçu pour toucher différents publics en même temps. « Son côté judéophobe n’attire peut-être pas plus de 20 % des jeunes de banlieue, mais il est surtout vu comme un contestataire et un excellent agitateur, avec un côté Robin des bois. En revanche, le côté patriote fonctionne beaucoup moins bien », estime ainsi le sociologue Éric Marlière. « Le propre de la parole de Soral, c’est qu’elle va très vite et qu’elle est pleine de digressions, complète Aurélien Montagner. Automatiquement, les gens qui l’écoutent font le tri et ne retiennent que les thèmes qui les concernent ou les convainquent le plus. » « Je n’ai jamais pris ce qu’il dit au pied de la lettre, témoigne en effet Achille, l’adhérent d’E&R. Moi, comme tous les sympathisants que je connais, nous allons presque systématiquement vérifier ce qu’il avance, et nous ne retenons pas tout. »

Pour autant, faut-il considérer le phénomène Soral comme un épiphénomène, peu décisif dans le climat actuel ? « C’est ce que j’entends parfois dans mon propre camp politique, ou dans mon univers universitaire, s’inquiète Pierre Tevanian. On explique que ni Soral ni Dieudonné ne sont au pouvoir, qu’ils n’ont pas l’appareil d’État avec eux et qu’ils ne sont plus invités dans les médias. Bref, qu’ils ne sont pas un vrai danger, contrairement aux gouvernements qui se succèdent. »

C’est exactement la position d’Étienne Chouard. Professeur de lycée qui s’est fait connaître d'un large public d'internautes en 2005 grâce à ses analyses rigoureuses sur les enjeux du traité constitutionnel européen, Chouard a aujourd'hui poussé son analyse jusqu’à promouvoir une assemblée constituante, la fin des élections et la mise en place du tirage au sort pour nommer les représentants politiques. Depuis plusieurs années, il est pris à parti un peu partout sur le Net parce qu’il accepte de côtoyer Soral et qu’il ne l’a pas classé sur la liste des infréquentables. Il s’en expliquait encore tout récemment, suppliant d’arrêter « de nous fabriquer des diables ».

Interrogé par Mediapart, il développe presque mot pour mot les arguments cités par Tevanian. Il indique d’abord que « comme j'ai peur de me tromper, comme Descartes, j'écoute tout le monde ». Il souligne avoir « bien compris que Soral n'est pas démocrate » et être « très effrayé par le racisme ». Pour autant, « dans l'urgence que je sens aujourd'hui, cela reste second, on a besoin de priorités », assure-t-il. « Il me semble que les maltraitances des communautés, les Noirs, les femmes, les juifs, les homosexuels, dont je ne renie absolument pas la lutte, c’est second par rapport à la domination de plus en plus totale d’une toute petite classe, des un pour mille, sur toute la population, explique-t-il. Quand je vois que les banquiers ont pris le contrôle des États-Unis, qu'il y a tant de gens de Goldman Sachs dans l'équipe d'Obama, à la direction de la Banque centrale et même de l'Union européenne (qui s'est construite de manière totalement antidémocratique), je suis beaucoup plus terrifié par cela. Je trouve cela premier. Et Soral me paraît être un des résistants à l'Union européenne. »

Une hiérarchisation des problèmes qui ne manque pas de faire sursauter Philippe Corcuff, dont le livre clame justement que « la gauche est dans le brouillard » face à Soral et consorts. « Ces néoconservateurs, toujours en guerre contre le “politiquement incorrect” et les “tabous”, sont de faux rebelles, mais ils sont en train de voler la critique sociale aux gens de gauche, s’alarme-t-il. Le problème, c’est que leur critique n’inclut pas du tout un horizon émancipateur : elle annonce une révolution conservatrice. Et la gauche ne s’en aperçoit même pas. »

  • Pour retrouver la première partie de cette enquête, cliquer ici.

BOITE NOIREDébutée il y a plusieurs semaines, cette enquête sur le phénomène Soral se décline en plusieurs volets sur Mediapart. Nous avons estimé collectivement que le sujet valait une étude approfondie (avant même que nous ne révélions que Soral et Dieudonné lançaient un parti politique ensemble). Les interviews ont été réalisées au cours du mois d'octobre et des premiers jours de novembre.

Contactés à plusieurs reprises par mail par Mediapart pour cette enquête, ni Alain Soral, ni les autres responsables d'Égalité & Réconciliation n'ont répondu à nos demandes pour organiser un entretien. Le seul adhérent à E&R à nous avoir répondu est Achille, cité dans l'article, qui nous a demandé de modifier son prénom pour que son adhésion ne lui pose pas de problème professionnel.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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