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Mariage pour tous : le coup de bluff de Nicolas Sarkozy

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Si comme l’écrivait André Gide, « l’intelligence, c’est la faculté d’adaptation », Nicolas Sarkozy peut se voir prêter bien plus que « deux neurones ». Car depuis plus d’un mois qu’il a entamé sa tournée de campagne pour la présidence de l’UMP, l’ex-chef de l’État ne fait que cela : s’adapter. Devant le public très “droite décomplexée” du Sud-Est, il n’avait pas hésité à réveiller le Buisson qui sommeillait en lui. Devant celui, ultra-conservateur, réuni le 15 novembre à l’initiative de Sens Commun, un collectif UMP émanant de la “Manif pour tous”, il a tenté l’un des plus gros coups de bluff de l’histoire des coups de bluff.

Nicolas Sarkozy au meeting de Sens Commun, le 15 novembre à Paris.Nicolas Sarkozy au meeting de Sens Commun, le 15 novembre à Paris. © ES

L’ancien président n’aime pas être pris à partie. Alors quand il commence ce samedi après-midi à aborder le sujet épineux du devenir de la loi Taubira en cas d’alternance en 2017 et que l’assistance lui répond en criant « abrogation ! », il sort la polissoire rhétorique : « Parfait, parfait. Quand on dit (que la loi) doit être réécrite de fond en comble, si vous préférez qu'on dise qu'on doit l'abroger pour en faire une autre... En français, ça veut dire la même chose... Mais ça aboutit au même résultat. Mais enfin, si ça vous fait plaisir, franchement, ça coûte pas très cher. » Le mot est lâché, la salle est ravie, Nicolas Sarkozy aussi, les “notifications push” des sites d’information sont envoyées. Bref, tout le monde peut rentrer chez soi satisfait.

L’analyse de ces quelques phrases – déjà interprétées par certains comme une prise de position ferme et définitive de l’ancien président sur le sujet – pourrait en effet s’arrêter là. Or, l’épisode de samedi est bien plus révélateur qu’il n’y paraît. D’abord, parce que Sens Commun peut s’enorgueillir d’être la seule structure à avoir réuni les trois candidats à la présidence de l'UMP au sein d’un seul et même meeting. Celui du 15 novembre se tenait salle Équinoxe à Paris, là même où le parti avait organisé son congrès national fin janvier 2014. À l’époque, Hervé Mariton, alors délégué général au projet, s’était largement répandu dans les médias pour expliquer à quel point il regrettait que les questions de société n’aient pas été jugées suffisamment importantes par ses collègues de l’opposition pour figurer dans ledit projet.

Dans le même temps, les différents mouvements issus de la “Manif pour tous” continuaient à défiler dans la rue, s’agaçant que la plupart des élus UMP se soient si rapidement détournés de leur « combat pour la défense de la famille ». Alors que s’est-il passé en dix mois pour que ce combat redevienne essentiel aux yeux des mêmes élus ? Le gouvernement a reculé sur la loi famille et n’a cessé de donner des gages à la frange la plus conservatrice de la société française sur la PMA (assistance médicale à la procréation) et la GPA (gestation pour autrui). Ce n’est donc pas un véritable risque politique qui a poussé les ténors de la droite à réempoigner la banderole du peloton de tête. En revanche, les responsables de l’opposition sont entrés en campagne pour la présidence de l’UMP, mais aussi pour les primaires de 2016. Et qui dit campagne, dit drague poussée.

Si la question du mariage pour tous ne concerne que très indirectement la future organisation du parti, elle se révèle omniprésente dans la bataille interne que mènent actuellement Hervé Mariton, Bruno Le Maire et Nicolas Sarkozy. La position des deux premiers sur le sujet est claire depuis fort longtemps. Le député de la Drôme, à qui l’on peut reconnaître de n’avoir jamais manqué un seul cortège de la “Manif pour tous”, veut purement et simplement abroger la loi Taubira, quand celui de l’Eure, qui s’est abstenu au moment du vote, parle de « réécriture pour lever les ambiguïtés sur les questions de filiation et de procréation médicalement assistée, et pour empêcher la gestation d'autrui ». C’est donc sur le troisième que se cristallisent les interrogations des militants UMP, qui sont bien partis pour l’élire à la tête du parti le 29 novembre.

Les militants de Sens Commun attendent l'entrée de Nicolas Sarkozy.Les militants de Sens Commun attendent l'entrée de Nicolas Sarkozy. © ES

Nicolas Sarkozy savait qu’il était attendu sur la question. Elle lui avait d’ailleurs été posée dès sa première prise de parole sur France 2, le 21 septembre. En guise de réponse, l’ancien président s’était contenté d’indiquer qu’on avait, selon lui, « utilisé les homosexuels contre les familles ». Depuis, il oscille. Donneur de séné par désir de rhubarbe, il essaie de contenter tout le monde, mais ne satisfait personne. Les propos qu’il a tenus samedi témoignent de ce tâtonnement. Car en l’espace de quarante minutes, l’ex-chef de l’État a dit tout et son contraire avec, il faut le souligner, ce talent dont seuls les rhéteurs ont le secret.

Son discours en montagnes russes semblait tellement téléguidé par les réactions de la salle Équinoxe qu’il est difficile d’en dégager ne serait-ce qu’un fil conducteur. Essayons donc de le reprendre point par point. L’ancien président a d’abord expliqué la raison pour laquelle il n’avait pas mis en place, durant son mandat, le contrat d’union civile, pourtant promis en 2007. Parce qu’il était trop occupé à « relever la croissance », « faire baisser le chômage » et « sauver l’Europe » (sic), les réformes de société lui semblaient « inutiles ». Quelques minutes plus tard, la crise ne s'est pas arrangée, mais ces mêmes réformes deviennent « centrales ».

Meeting de Sens Commun, le 15 novembre à Paris.Meeting de Sens Commun, le 15 novembre à Paris. © ES

Sur la loi Taubira, Nicolas Sarkozy passe en une poignée de secondes d’une « réécriture de fond en comble » à une « abrogation » à « un mariage pour les homos et un mariage pour les hétéros ». S’ensuit un développement ubuesque sur la différence entre l’amour et le désir qui n’a rien à envier aux dialogues de la série Les mystères de l’amour. « Que vous soyez hétérosexuel ou homosexuel, vous n'avez pas besoin de moins d'amour », lance l’ex-chef de l’État. L’assistance est complètement perdue, elle ne sait plus s’il faut huer, siffler ou applaudir. Du coup, elle fait les trois.

À l’issue du meeting de Sens Commun, l’entourage de Nicolas Sarkozy joue les services après-vente auprès des journalistes perplexes. Non, l’ancien président n’a pas cédé face aux militants, « il n’a fait que répéter ce qu’il dit depuis plusieurs semaines déjà ». Mais quand on demande des éclairages sur « ce qu’il dit » précisément, les choses se compliquent. « De toute façon, il est encore dans le temps de la réflexion, explique notre interlocuteur. Il souhaite discuter et trouver un consensus avec sa famille politique. » Non loin de là, le député et maire UMP du Touquet (Pas-de-Calais), Daniel Fasquelle, se félicite que l’ex-chef de l’État se soit « largement inspiré » de la proposition de loi qu’il envisage de déposer et de la note qu’il lui a transmise sur le sujet mercredi dernier.

Au premier rang du meeting de Sens Commun : Claude Goasguen, Laurent Wauquiez, Philippe Gosselin, Daniel Fasquelle...Au premier rang du meeting de Sens Commun : Claude Goasguen, Laurent Wauquiez, Philippe Gosselin, Daniel Fasquelle... © ES

Un peu de Daniel Fasquelle par-ci, un peu de Sens Commun par-là… Le projet que construit sous nos yeux Nicolas Sarkozy a tout de la réflexion de bric et de broc. La clef du fameux « rassemblement », peut-être, mais qui en dit long sur l’aspect caméléon de l’ancien président. Or, si cette stratégie fait mouche auprès des fans sarkozystes, elle ne fera guère illusion au-delà de l’élection du 29 novembre. Les adversaires de l’ancien président l’ont bien compris, eux qui placent déjà leurs pions dans l’optique d’une primaire ouverte en 2016.

C’est ainsi qu’Alain Juppé a récemment déclaré aux Inrocksêtre « favorable à l'adoption par un couple de même sexe ». Une ligne modérée qui pourrait s’avérer aussi fructueuse que dangereuse, dans l’équilibre entre droite centriste et droite radicale. Or, il est assez étonnant de constater que les militants les plus conservateurs de l’UMP n’attendent pas forcément qu’on les brosse dans le sens du poil, ils aspirent simplement à la limpidité. Aussi Bruno Le Maire a beau avoir été conspué samedi, il n’en est pas moins ressorti grandi aux yeux de bon nombre de personnes croisées en marge du meeting de Sens Commun.

« Même si je ne suis pas d’accord avec lui, il a le mérite d’être clair, confie ainsi Baudoin, 24 ans, soutien d’Hervé Mariton. Le problème de Sarkozy, c’est qu’on voit qu’il est en campagne. Il dit un peu “abrogation” pour faire plaisir. » « Ouais, il a vendu sa soupe et puis c’est tout », glisse encore une militante. Les débats qui entourent la question du mariage pour tous et du devenir de la loi Taubira agissent comme un révélateur de ce qui se joue actuellement à droite. À l’exception peut-être du député de la Drôme, le scrutin de novembre ne semble être un enjeu pour personne. En revanche, il apparaît de plus en plus clairement comme le signal de départ de la course à l’Élysée.

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